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Billet de blog 30 mars 2016

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Quelles séries télé regardez-vous? Et comment?

Dans le cadre du séminaire consacré aux séries télévisées contemporaines qu'il donne au Jeu de Paume (Paris) chaque vendredi à 18h30 jusqu'au 22 avril, Emmanuel Burdeau adresse quelques questions à des amateurs de tous horizons, afin de mieux savoir quelles séries chacun regarde et — tout aussi important — comment.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans le cadre du séminaire consacré aux séries télévisées contemporaines qu'il donne au Jeu de Paume (Paris) chaque vendredi à 18h30 jusqu'au 22 avril, Emmanuel Burdeau adresse quelques questions à des amateurs de tous horizons, afin de mieux savoir quelles séries chacun regarde et — tout aussi important — comment. 

1. Comment regardez-vous les séries (ordinateur, télé ; fichiers, DVD ; téléchargement, VF ou VO, avec ou sans sous-titres) ? Quelle importance a selon vous ce « dispositif » ?

2. À quel rythme, à quelles heures, selon quels rituels les regardez-vous ? Pourquoi ces préférences ?

3. Quelle série récente, postérieure à 1995 — le défi est de n’en citer qu’une — a bouleversé votre vision du « genre » ? Pourquoi, en quelques mots ?

4. Quelle série en cours vous semble incarner l’avenir du « genre » ? Pourquoi, en quelques mots ?

De premiers résultats ont été publiés sur le site du Jeu de Paume : ici.

En voici d'autres. Toute personne désireuse de répondre est la bienvenue ; écrire à : emmanuel.burdeau2@gmail.com, avec quelques mots de présentation.

Illustration 1
Breaking Bad

Marie-Fleur Albecker Professeure d’histoire-géographie et blogueuse

1. Je n’ai pas de télé donc toujours sur mon ordinateur, en streaming - j’en regarde une telle quantité que je ne pourrais pas les stocker, mais j’achète en DVD mes séries « cultes », DVD que je ne regarde jamais, bien sûr. Satisfaction de la possession à portée de main. Sans sous-titres bien sûr, pour avoir le prétexte de pratiquer mon anglais. Liberté de s’assujettir à l’image n’importe où, n’importe quand. 

2. Une à deux heures par jour, si je ne lis pas ou je n’écris pas (c’est par alternance), en binge-watching total pour les bonnes séries Netflix ou Amazon, sinon selon le rythme des sorties, donc beaucoup le lundi… En ce moment Girls, The Good Wife, The Walking Dead, Shameless, The Family et Elementary ; bon, ça fait donc plus qu’une à deux heures là-dessus. Je suis hyper-fidèle à de vieux soaps qui m’ont vu grandir mais qui tiennent toujours leurs promesses de mélodrame, ah Grey’s Anatomy ! Je n’ai pas de préférences, si ce n’est que je regarde plutôt sur mon canapé quand il fait jour et dans mon lit quand il fait nuit. Le cinéma (sur l’ordinateur), les séries et les livres, c’est l’évasion. Quand je suis vraiment au fond du trou, il m’est arrivé de laisser tomber des séries, par exemple Horace and Pete très récemment (c’est quand même super déprimant), mais que je reprendrai bientôt je pense. 

3. Bon, ben, je vais répondre comme tout le monde The Wire, quoiqu’étant une femme je dois dire que Sex and the City a beaucoup compté aussi, mais pour d’autres raisons. Je travaille sur les Etats-Unis et quand je vivais à New York j’ai réussi un double défi : comprendre l’accent de Baltimore sans sous-titres (ça m’a beaucoup aidée pour mes entretiens de thèse) et comprendre mieux les Etats-Unis (on dirait que cette série a été faite par des sociologues, mais humains). Je me souviens d’ailleurs avoir eu du mal à « rentrer dedans » parce que j’avais du mal à m’habituer au rythme plutôt lent. Last but not least, Jimmy McNulty et Stringer Bell ne dormiraient pas dans la baignoire. 

4. Ça commence à bien faire avec « une série » ! Ce fascisme ! Bon, alors, il y a Girls qui est pour moi une série absolument remarquable sur une certaine féminité (même si c’est sûr, c’est pas The Wire niveau spectre socio-ethnique) – et pourtant je trouve ce que produit Judd Apatow assez affligeant du point de vue du féminisme, la plupart du temps. Les séries de trash-politique avec leurs accents shakepeariens comme Boss, House of Cards ou Baron noir (malgré le désastreux contre-emploi d’Anna Mouglalis, mais passons), qui sont l’épitomé de la crise politique que traversent les démocraties libérales. En séries policières, j’ai récemment trouvé Murder (série britannique) assez remarquable, comme Making a murderer : des réflexions sur le rapport entre série, documentaire et enquête. Je trouve aussi que les séries historiques peuvent être de la balle, par exemple Un village français (malheureusement comme c’est sur France 2, je n’arrive pas à convaincre mes élèves de le regarder), The Knick, Wolf Hall ou 1992 (qu’on pourrait aussi classer dans les séries politiques sur la montée du berlusconisme). Un regret, la science-fiction me semble assez molle ces derniers temps, à quand le prochain Battlestar Galactica ? Sinon, les chefs d’œuvres, mais il faut quand même un peu s’accrocher, je dirais Fargo et The Leftovers.

Illustration 2
Better Call Saul

Marie Bortolotti Etudiante en classes préparatoires

1. Ordinateur (Netflix, fichiers téléchargés, streaming) et home cinema (Netflix, coffrets DVD). VO sous-titrée, parfois sans sous-titres lorsqu'un épisode vient de sortir et que je n'ai pas la patience d'attendre la traduction en streaming. Netflix est sans doute la meilleure solution pour voir toujours plus d'épisodes sans que la qualité d'image ou le budget en pâtissent.

2. Je suis ce qu'on appelle une sérievore. Cette pathologie se caractérise par une consommation erratique et le plus souvent frénétique d'épisodes à toute heure du jour et de la nuit. J'en suis atteinte depuis presque cinq ans et mon score sur l'application TVShowTime est actuellement de 2 mois 9 jours 11 heures et 55 minutes (ça devrait être plus, mais je suis en prépa). Généralement j'aime bien manger et boire du thé lorsque j'en regarde (devant Twin Peaks, mon rituel était donut/café), mais je peux aussi prendre un bain, me laver les dents, me poser du vernis. Je n'ai cependant jamais poussé l'hérésie jusqu'au sport, parce qu'un certain niveau de concentration est tout de même requis pour apprécier un épisode à sa juste valeur.

3. Fargo. Coup de maître. Chapeau bas. Chapeau pointu. 10 mini-films par saison, une photographie, un scénario, une direction d'acteur et des raccords métaphoriques qui n'ont rien à envier au grand écran. (En revanche, rien ne surpassera jamais Dexter en terme de générique. Et puis avant 1995, Twin Peaks, comme tout le monde).

4. Fargo. Parce que le format d'anthologie à l'échelle d'une saison permet, tout en conservant l'esprit et l'esthétique de la série, de renouveler efficacement les enjeux narratifs (et par extension l'intérêt du public). Une histoire, douze épisodes, les scénaristes savent où ils vont, pas de prolongations ennuyeuses ou tirées par les cheveux (ou encore, d'intense frustration lorsque la série est annulée inopinément).

Illustration 3
Baron noir

Gabriel Bortzmeyer Critique et universitaire. Travaillant à une thèse sur les figures du peuple dans le cinéma contemporain.

1. Ordinateur, téléchargement, sous-titres anglais. 

2. Dépend des périodes. Les séries sont pour les soirs où je rentre tard. Un épisode maximum, sauf quand c'est une session de travail sur une série particulière. Bref, aucune régularité : parfois des semaines sans série, parfois des semaines avec ou un deux épisodes, parfois plusieurs saisons dans la semaine. Aucun rituel au sens propre. 

3. Treme, parce que j'y ai vu la tentative d'un non-récit, d'un récit sans finalité, sans orientation, d'une pure chronique seulement faite du défilé des jours, et qui minimise l'action au sens traditionnel pour en faire un pur passage du rien, ou du peu dont est faite la vie. 

4. True Detective, mais cela m'inquiète : c'est une tentative de synthèse entre récit cinématographique et format sériel, et j'y vois plutôt une régression. Mais les réactions peuvent, hélas, représenter un avenir (ceci dit, la première saison est formidable, comme on sait).

Illustration 4
Mad Men

Thomas Clolus Cinéphile, membre du Conseil d’Administration du Café des Images

1. Je regarde les séries sur mon ordinateur domestique après les avoir téléchargées à partir de lui, sans doute par goût de continuité entre le support à partir duquel je déniche les séries et l'interface par laquelle elles continuent par le visionnage à venir jusqu'à moi. Cela relève aussi d'un plaisir physique de proximité entre mon bureau et moi, un rapport d'intimité accru entre mon ordinateur et moi. Piètre linguiste, je regarde systématiquement les séries étrangères accompagnéees de sous-titres. J'imagine que l'impression de facilité d'accès et de souplesse du contrôle que je ressens par l'informatique se combine très bien avec la représentation que je peux avoir des séries dans notre monde comme de plus en plus abondantes, en aisance de circulation où l'embarras et le privilège du choix devient la norme. 

2. De toute façon de manière très irrégulière. J’attends souvent que les séries et les saisons passent l'actualité. Je découvre la plupart des séries a posteriori du gros de l'accueil public et critique. La quantité de productions sérielles me dépasse très largement, alors, par manque d'énergie et de courage, je me limite à quelques objets qui ont été adoubés par d'autres lors de leur actualité. Également, je regarde les saisons plutôt par blocs, en quelques jours, avec souvent plusieurs épisodes sur une journée espacés par des pauses, de l'après-midi jusqu'à tard le soir. Il faut que je sois dedans, immergé. Je n'ai pas très bonne mémoire non plus et c'est ma façon d'essayer d'appréhender cela comme un tout, une unité. Je suis en cela un spectateur de Cinéma qui adapte tant bien que mal sa pratique de cinéphile à ces objets monstres, fleuves, morcelés et ingrats que sont les séries télé. Tenter de compenser l'existence temporelle sérielle, intermittente et dispersée, durable et fuyante par une logique de concentration, de réduction. 

3. Les Soprano ! L'anecdote amusante est que ça ne m'a ma frappé d'emblée. J'avais commencé à regarder la première saison en me disant que c'était intéressant, sans plus. C'est en reprenant un ou deux ans plus tard, et c'est en cela un symptôme consubstantiellement sériel, que, sur la durée, je me suis dit avec évidence combien c'était absolument remarquable. Et plus j'avançais dans la série, plus ça pesait, plus ce sentiment d'importance de l'objet dans son ensemble s'approfondissait. Là, j'ai pour la première fois par moi-même, physiquement, ressenti que la série télé, c'était effectivement du grand Cinéma. Les Soprano, par sa qualité romanesque, son intelligence vis à vis des personnages, son sens des histoires et de l'Histoire supplantait la relative faiblesse du Cinéma américain présent dans les salles. Et cette prise de puissance ne s'est aucunement démentie depuis, tout au contraire. 

4. Il y aurait une relative imposture pour moi à répondre à cette question car, comme je le disais, je suis loin d'être le plus en prise avec l'actualité du territoire sériel. Toutefois, je me permettrai d'émettre un souhait : que la série Louie, par sa souplesse de jeu, de travail de durée des séquences et de relations qu'elles entretiennent entre elles encourage les séries à se libérer, à s'émanciper encore un peu plus d'elles-mêmes et proposent des formes et des formats toujours plus surprenants, aventureux et volatiles.

Illustration 5
True Detective

Vera Derrida Lycéenne

1. Toujours sur mon ordinateur, elles proviennent du téléchargement ou plus rarement de Netflix. Avec sous-titres anglais. Le visionnage sur écran portable, bien qu’il soit étroit est parfaitement adapté à mon mode de vie : il me permet d’être le moins possible dans la salle commune où se trouve la télévision et de ne jamais m’en servir. Je peux ainsi rapidement passer de la série au travail (bien que ce soit plus souvent l’inverse qui se produise). 

2. Parfois un épisode entre les moments de travail de l’après-midi, souvent au moment où je commence à avoir faim, rien de plus triste que de manger en travaillant. Le soir, avant de lire, en dînant j’en regarde toujours un - parfois le deuxième voire troisième si ma journée n’a pas été très productive. Il semblerait donc que les séries soient étroitement liées à la nourriture et au repos dans mes rituels. En une semaine — selon la longueur moyenne des épisodes, je regarde souvent une saison d’une dizaine d’épisodes. Le problème de l’immédiateté du téléchargement c’est que rien ne peut ralentir ma consommation d’épisodes, l’excès arrive vite. 

3. La première saison de True Detective, pour le parfait usage du temps dans ses plans. Pour la première fois j’ai regardé une série comme un artefact complexe, dont la fabrication mérite d’être étudiée. Après celle-ci, de nombreuses séries ont renforcé autrement ce sentiment. 

4. Difficile. The Leftovers n’incarne aucun avenir, sauf celui d’un « genre » qui s’appuierait sur le doute. Peut être que Baron Noir pourrait incarner un hypothétique futur pour la série française. Je penche pour les premières saisons de Louie, son alliance intelligence-hasard-humour me semble très prometteuse.

Illustration 6
Girls

Gérald Duchaussoy Responsable de Cannes Classics et chargé de mission au Marché du Film Classique au Festival Lumière

1. Pendant longtemps, j'avais un ami qui achetait tout ce qui paraissait chez Album en DVD. Ce fut mon moyen de prédilection. Puis le téléchargement et le "replay" ont modifié cette habitude. En revanche, la VO, sans sous-titres pour les séries anglo-saxonnes, demeure la norme. Sur ordinateur, à la télévision ou sur tablette, mes frontières de visionnage ont totalement éclaté sans que j'y perçoive quelque inconvénient que ce soit.

2. Cela dépend du temps dont je dispose, bien que je préfère de plus en plus enchaîner une série dans sa continuité. J'y trouve des qualités de développement narratif et scénaristique ainsi qu'une forme compacte qui me donne le sentiment de traverser un tunnel me liant de manière forte à une histoire sans possibilité de m'échapper.

3. The West Wing (A la Maison Blanche) m'a balayé du fait de ce jeu politique et médiatique qui ne laisse aucun répit au spectateur qui a étudié l'histoire américaine que je suis. En outre, l'énergie qui s'en dégageait m'a fait prendre conscience que l'on franchissait une étape et que le cinéma se devait de rester à niveau !

4. A ma grande surprise, la série qui m'a très impressionné ces derniers temps fut Baron noir qui, tout comme Les Beaux mecs en 2011 et la première saison de Kaboul Kitchen, m'a plongé dans la réalité de notre société et de ses basses manœuvres. Difficile d'affirmer que cela représente l'avenir des séries. Cela dit, si cela fait prendre conscience à des décideurs que le public est avide de choc, j'en serais on ne peut plus ravi.     

Illustration 7
Louie

Ariane Gaudeaux Enseignante et auteure de « La Balade sauvage (Badlands) de Terrence Malick » (Editions de la Transparence, 2011)

1. IMac (ou Ipad, très rarement). Netflix, streaming, DVD, télé. Avec ou sans sous-titres. L’important est que ce soit simple, pratique et de bonne qualité.

2. A midi et parfois le soir. Pour être raisonnable. 

3. Six Feet Under. Pour la complexité très réaliste des personnages, leur profondeur, la photographie très soignée, le montage précis, poétique et discrètement évocateur, le scénario d’une sensibilité aussi cynique que touchante, laissant une grande place à l’implicite, et l’idée de la volatilité des instants. 

4. The Leftovers. Pour son intensité dramatique, parce qu’elle sonne juste par rapport à notre époque, parce qu’elle flotte entre les genres, parce que sa structure narrative est souvent surprenante et nous fait voguer d’un personnage à l’autre à un rythme irrégulier. C’est une série émouvante, subtile, onirique, mystérieuse, dense, grave et profonde.

Illustration 8
Fargo

Rémi Lauvin Etudiant en Master 2 (Recherche) à Paris 7, sous la direction d’Emmanuelle André.

1. Je télécharge les fichiers dans la meilleure définition possible, en version originale, puis je trouve les sous-titres en anglais. Je visionne ensuite les épisodes sur mon ordinateur. Pour certaines séries (policières, le plus souvent), je me réserve des créneaux durant lesquels le visionnage m’accapare totalement : au casque, désactivant la wifi et fermant toutes les autres fenêtres, je ne fais rien d’autre, sans interruption. Pour d’autres, de format généralement plus court et dans des genres comiques, je me rends sur des sites de streaming, sans souci de VF ou VO — je choisis au plus rapidement disponible. Dans ce deuxième cas de figure, il m’arrive fréquemment de faire autre chose, parfois même de n’écouter que d’une oreille. Souvent, cela concerne des épisodes de sitcoms déjà vus et revus dans le désordre.

2. Je ne suis qu’une poignée de séries au long cours, semaine après semaine, depuis le début (The Walking Dead Game of Thrones ; True Detective ; Dexter et Breaking Bad en leur temps). Pour les séries que je découvre une fois qu’elles sont terminées, je visionne généralement les épisodes par blocs de saisons (une saison en 3 ou 4 jours : Six Feet Under ; The Wire). Quand une série me plaît, j’essaie d’espacer les visionnages de saisons différentes de plusieurs mois. Je digère mieux les événements de chaque saison ainsi, et le désir frustré, puis dégonflé, renaît avec plus de vigueur. Je visionne ces séries le soir : je commence pendant le dîner, dans le salon, et termine dans ma chambre. Pour les séries comiques de format court (Simpsons ; Friends ; Scrubs), mes visionnages ressemblent davantage à des « pioches » dans le bain d’épisodes disponibles en streaming.

3. Breaking Bad — parce que la série gonflait chaque semaine en audace. A mes yeux, c’est comme si une série avait ingéré toutes les réactions et l’engouement qui l’entourait, tout en restant au-delà des attentes et des questionnements classiques sur l’issue de la fiction (non pas « qui/quoi ? » mais « comment/dans quelle mesure/jusqu’où ? »). Cela m’a donné l’impression qu’une série était autre chose qu’un programme (littéralement, un objet dont le développement suivait des rails tracés à l’avance) — un organisme qui grandit au contact de son succès. Une série qui donne à voir et dit à la fois : « vous n’avez encore rien vu… »

4. Making a Murderer — Non pas parce qu’il s’agit d’une des séries les plus belles, mais parce que je crois y voir un nouveau paradigme, entre série-télé et télé-réalité. C’est aussi parce que la série semble ouvrir une brèche, en termes d’écriture : au-delà du storytelling virtuose et des situations ou héros exceptionnels, la série peut se tourner vers des images du réel déjà mises en scène (ici, le processus judiciaire). La série-reportage en avenir ? Terminé, le temps des acteurs ?

Illustration 9
Les Soprano

Maël Le Garrec Professeur de philosophie en classes terminales.

1. Je les regarde sur l'ordinateur, en téléchargeant les fichiers par Bittorrent ; très rarement en DVD, seulement lorsqu'une série m'apparaît, avec un temps de retard, incontournable et qu'un ami a entretemps acheté le coffret, et peut me le prêter. Les fichiers sont en version originale, les sous-titres aussi, par commodité (ce sont les plus faciles à trouver) mais aussi par scrupule (mon anglais n'étant pas parfait, j'aurais peur de louper une expression, un mot saillant dans la langue d'origine).

2. Le rythme : à la fois échelonné et à court terme. Pas de binge watching (deux épisodes maximum à la suite, trois si c'est du 26 minutes), je ne supporte pas la saturation qui s'installe, l'engourdissement. Je regarde des séries par intensité : un avis, un article, une photo, et j'essaie immédiatement de me lancer, de regarder tous les épisodes, de manière soutenue, régulière, dans les semaines qui suivent, et ainsi de l'avoir vue (Nietzsche parle de « brèves habitudes », dans Le Gai savoir). D'où par la suite des périodes blanches, sans séries. Donc pas de rituel en soi, pas de forme qui préexiste au désir de regarder cette série-là.

3. The Office, Ricky Gervais. Parce que pour la première fois, j'ai vu une série qui était, sur un thème, sur certains affects, des vies, en avance sur n'importe quelle forme autre artistique ou intellectuelle. Je me souviens l'avoir vu en DVD, qu'on m'avait offerts, début 2006 seulement. Je préparais l'agrégation de philosophie, j'étais plongé dans Etre et temps de Heidegger, qui était une révélation. Pour me détendre, j'ai regardé The Office, alors que le concours approchait. J'ai immédiatement pensé que ce que je voyais était (pour moi, mais pas seulement...) au moins aussi important qu'Etre et temps, sans pouvoir encore dire exactement ce qui y était traité, problématisé, exploré et qui ne l'avait pas encore été auparavant. The Office supplantait la philosophie, et je ne m'en suis toujours pas remis.

4. Je ne suis pas vraiment de séries actuelles, en tout cas pas de manière à pouvoir motiver un pronostic. Alors je dirais The Leftovers, justement parce que je n'arrive pas à y plonger, qu'elle me semble objectivement captivante, mais qu'elle me laisse à l'extérieur – sur la touche, et je me demande si cela signifie quelque chose quant à la nature des séries actuelles.

Illustration 10
House of Cards

Clémence Madeleine-Perdrillat Réalisatrice

1. Je regarde les séries sur mon ordinateur. Je les télécharge et j'attends toujours les sous-titres français. J'aime regarder une série lors de sa parution, ainsi je me sens proche de ce qui se passe dans d'autres pays.

2. Je regarde souvent le soir après mon travail et le dîner, vers 22h. Généralement je regarde deux épisodes de 52 minutes dans mon lit, ou plusieurs de 26'. J'aime ce moment assez intime avec les séries, j'ai un sentiment de proximité que je n'aurais pas avec la télévision, d'ailleurs je n'ai pas de télévision. Lorsque je suis en couple j'aime partager ce moment si l'autre aime les même séries et que nous sommes au même stade dans les saisons. J'ai le souvenir d'avoir vu les 5 premières saisons de Mad Men avec un homme que j'ai aimé, c'était un rituel important pour nous, un vrai rdv et le sentiment de découvrir ensemble quelque chose de rare.

3. Les Soprano. J'ai découvert grâce à cette série l'importance des personnages, j'ai eu le sentiment de faire partie de cette famille. La fin de la série m'a attristée comme si un monde s'arrêtait.

4. La série qui incarnait l'avenir du genre pour moi c'était Mad Men qui est à mon sens la plus belle création en série. Aujourd'hui je ne trouve pas d'équivalent, sauf peut-être dans Girls qui est moderne, drôle et qui a, selon moi, un ton unique de sitcom tragi-comique. 

Illustration 11
The Leftovers

Cécile Montigny Co-fondatrice d'APAR.TV et productrice. 

1. En streaming et toujours en VO, depuis mon ordi que je connecte à ma tv (pour avoir un grand écran et du bon son) car la plupart des films que je regarde sont piratés. Mais chut, les agents d’Hadopi sont partout. 

2. En binge watching. Avec des provisions, téléphone éteint, en immersion totale, tard le soir, ou la nuit. Parce que ça change tout. 

3. Derek, de Ricky Gervais. Parce qu’il est le maître du genre « mockumentaire » que j’affectionne particulièrement.. Parce qu’il est étonnant de voir à quel point le principe du faux documentaire peut trouver plusieurs résonances chez Ricky Gervais. La sincérité enfantine, la fragilité, la pureté du personnage m’a transportée. Parce que j‘en ai marre du cynisme ambiant. Dans Derek, il n’y a pas de drogue, pas de sexe, pas de violence mais beaucoup de tendresse et d’empathie. Je peux rire et pleurer à 10 minutes d’intervalle dans le même épisode. C’est un chaud/froid permanent, comme la vie.  

4. House Of Cards, parce que les temps de production se raccourcissent. Qu’on arrive scénaristiquement à mélanger la fiction avec la réalité. Et je pense que dans les années à venir ce procédé va s’intensifier dans le sen où ce genre de séries/soap opéra peut permettre d’appréhender une nouvelle forme de prospective télévisuelle.

Illustration 12
The Office

Guillaume Orignac Critique (Chronic’art), auteur de David Fincher ou l’heure numérique (Capricci).

1. J’ai toujours regardé les séries télévisées sur l’écran pour lequel elles sont produites. Soit, avant le développement d’internet, au rythme parfois irrégulier de leurs diffusions sur les chaînes de télé française, soit, avec les sites de téléchargement, en lisant les fichiers video à l’aide d’un boîtier branché sur la télévision. Dispositif qui me semble tout autant naturel que conventionnel. La convention étant d’éviter de les regarder seul. La consommation frénétique de séries prend parfois des allures de shoot opiacé et addictif.

2. Dès lors que le carcan de la diffusion télévisée a sauté, le rythme choisi a été celui d’un visionnage quotidien de deux à trois épisodes pour épuiser une série en une semaine. Cela avec la volonté de briser l’idée du rendez-vous régulier étalé sur plusieurs mois, et ramener la série vers l’expérience d’un film très long. Reste qu’en suivant en direct la diffusion d’une nouvelle série, on se contraint à la voir au rythme généralement hebdomadaire de leur diffusion. Et donc à substituer à l’expérience du voyage, ramassé mais intense, que suppose la vision d’un film, celle de l’accompagnement familier. Cela crée probablement des affects singuliers, en nouant sa vie à celle de personnages fictifs, mais permet rarement de mesurer la qualité en elle-même de la série. 

3. The Wire a été et reste, à ce jour, la plus grande série télévisée que j’ai pu découvrir. Parce que David Simon a fait de son principe même un mode d’exploration du tissu social, en répartissant chaque saison comme une porte d’entrée dans une communauté humaine. C’est à la fois très malin dans son cadre général et éblouissant dans les détails. Sa quatrième saison implantée dans le système éducatif américain s’élève à la hauteur d’un mélo néo-réaliste. En utilisant les codes de la fiction sérielle, The Wire permet surtout de retrouver ce qu’est l’essence de la télévision rêvée, un regard critique et attentif sur la société contemporaine. 

4. Je ne sais si True Detective est une série en cours, ou plus simplement récente. Mais elle a en tout cas, indépendamment des qualités qu’on lui prête ou qu’on lui nie, ouvert l’horizon des séries vers une nouvelle forme, plus ramassée et tenue, où tous les épisodes seraient entièrement écrits par la même personne et filmés par un réalisateur unique. Où il s’agit moins d’imposer une cohérence à coups de feuilles de styles que de retrouver le chemin de l’auteur un peu solitaire, quitte à verser dans le fossé parfois. Et, au final, d’hybrider le temps du cinéma avec celui de la télévision. 

Illustration 13
The Wire

Virginie Sassoon Auteure et enseignante à l'institut français de presse, coordinatrice du #WES festival (Web En Séries) et du Txiki festival, festival de cinéma pour enfants.

1. Je regarde les séries sur mon ordi portable en VOST. Mon ordinateur portable est comme une extension de moi-même, un dispositif mobile qui m’accompagne partout, dans mes déplacements, à l’intérieur comme à l’extérieur. 

2. J’ai des phases addictives, parfois jusqu’à l’épuisement ! C’est un plaisir assez transgressif d’enchaîner sur un nouvel épisode à 2h du mat’ alors qu’on doit se lever aux aurores le lendemain! J’aime découvrir les séries à deux ou en même temps que des ami-e-s, pour pouvoir en parler, discuter des personnages qui deviennent familiers, comme des potes ou des collègues. Au bout de deux saisons ils font partie du quotidien ! 

3. J’ai adoré Six Feet Under, qui propose une réflexion inédite sur la mort, à travers une immersion affective dans l’univers d’une entreprise familiale de pompes funèbres. Le dernier épisode est extraordinairement émouvant…The Wire m’a beaucoup impressionnée et marquée, par son ambition et l’aridité, aussi, des premiers épisodes. 

4. Les web-séries représentent aujourd’hui un espace de création foisonnant… Ploup, Osmosis, Meufisme, La Loove sont des formats courts qui répondent à un mode de consommation ultra-connecté. C’est aussi le sentiment d’un rapport plus direct, plus libre, avec les créateurs. Reste à trouver le mode de financement de l’avenir ! 

Illustration 14
Derek

Nicolas Vieillescazes Editeur

1.Je les regarde soit, à partir de fichiers téléchargés, a) sur mon ordinateur (la plupart du temps) ou b) sur mon téléviseur ; soit, toujours sur mon ordinateur, sur Netflix. Dans le premier cas, je regarde (ou revois) des séries « choisies », autrement dit des séries – récentes, le plus souvent – que j’ai décidé de regarder ; dans le second cas, le visionnage fonctionne un peu comme la télévision : me soumettant à l’offre disponible, je peux regarder un peu n’importe quoi (cela vaut aussi pour les films). Dans le cas où je choisis, je m’astreins à une discipline : comme la série m’intéresse a priori, je la visionne de façon plus attentive et m’efforce de la suivre même si elle me déçoit. Sinon, je regarde un, deux épisodes ou plus, puis j’abandonne totalement ou pendant quelque temps. Le plus souvent, j’oublie rapidement l’avoir vue. Une série qui ne m’intéresse que peu présente l’avantage d’être un bouche-trou – exactement comme pour les livres. J’ai besoin de regarder des séries comme j’ai besoin de lire des romans, et le dispositif fondé sur les fichiers, Netflix et l’ordinateur permet d’emporter les séries un peu partout avec moi (bien que je n’aime pas en regarder dans le train). 

2.Le soir, chez moi, est le moment dédié à la fiction (audiovisuelle ou romanesque). Habitude contractée de longue date, je n’arrive pas à lire un roman ou à regarder une série dans la journée. Je n’en ai pas non plus le temps. Mais, travaillant sur les idées, ce n’est pas seulement un moment de détente et d’oubli, mais aussi un moyen de continuer à réfléchir par d’autres moyens : les fictions que s’invente le monde contemporain pour se penser.  

3.Sans hésiter une seconde : The Wire. Parce qu’elle porte moins sur des personnages que sur des mécanismes sociaux, des espaces et des groupes, ce qui les façonne, ce qui les détruit. 

4.Better Call Saul : elle est nécessairement finie et déterminée par sa fin et la transformation de l’échec en réussite (comment Saul et Mike deviennent ce qu’ils seront dans Breaking Bad ; comment cette fiction secondaire va rejoindre sa matrice, et peut-être transformer notre perception de celle-ci ; et comment, tout secondaire qu’elle soit, dans l’ordre de production, elle va devenir une source, une parmi d’autres peut-être, dans l’ordre du récit). Par ailleurs, comme Breaking Bad, elle repose entièrement sur la contingence, qui me semble constituer l’un des traits dominants de la fiction contemporaine : personnages et situations s’apparentent à des coordonnées arbitraires – on aurait pu en choisir, en ajouter, en retrancher d’autres – qui se déploient non pas selon un ordre rationnel (comme, par exemple, dans le mélodrame, avec sa mécanique tragique) mais de manière chaotique. Capacité infinie de la fiction à s’engendrer elle-même, tant qu’il y aura des spectateurs, mais aussi reflet d’une condition contemporaine marquée à la fois par les conditions rigides qui s’imposent aux différents acteurs sociaux et par l’instabilité et l’imprévisibilité que ce cadre produit. The Walking Dead, autre série fascinante à mes yeux, fonctionne exactement de la même façon.

Illustration 15
Horace and Pete

Maud Wyler Actrice

1. DVD. VO. Qualité. Respect du droit d'auteur.

2. Par ci par là. Aucune addiction.

3. The Office. Liberté. Mélange des genres. Génie du jeu.

4. Louie. Génie du jeu. Contre-performance. Insolence.

Illustration 16
Les Vampires

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