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Billet de blog 8 juillet 2024

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Etonner la catastrophe - 8 juillet 2024

Melting pot de réflexions personnelles et politiques sur la demie victoire de la gauche au lendemain des élections législatives anticipées de 2024.

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8 juillet

Ce matin j’ai ouvert les yeux à 5h30 en me disant : « Mais que va-t-on faire avec 182 pauvres sièges à l’Assemblée Nationale, dont la moitié sont au PS alors que le RN en a 124 à lui tout seul ? ». Hier soir, déjà, je n’arrivais pas à être dans la joie. Un peu, je souriais, mais pas complètement. Il y a un truc qui cloche, comme un piège qui s’ouvre et dans lequel nous pourrions si facilement tomber. Alors, ce matin, je ressens de nouveau l'angoisse de tout ce qui échappe à notre contrôle. Mais bon, je suis une dramaqueen. Deux heures plus tard, le NFP gagne, mais France Inter invite d’abord Brice Teinturier, Sébastien Chenu et François Bayrou – avec un peu de Marine Tondelier. Yaël Goz pérore en étalant sa bêtise : « La France n’est, pour le moment, pas encore prête à tenter la grande aventure du Rassemblement National ». Je ne suis pas une dramaqueen, la France est toujours un pays presque fasciste, et notre sursaut à gauche n’est toujours qu’un sursis.

Cette demie-victoire minuscule m’angoisse. Je redoute que les gens ne normalisent le fait d’avoir un tiers de députés racistes à la tête du pays, et un tiers de racistes convaincus parmi leurs voisins. Pourtant cette victoire était le seul scénario positif envisageable – le moins mauvais à tout le moins : la gauche crée la surprise, tient bon le front, mobilise les masses, résiste bulletin par bulletin, alliance par alliance, accord par accord. La victoire, notre victoire, c’est d’avoir rendu mis le pays en état de chaos politique ingouvernable. De quel genre de victoire s’agit-il là ? De quel projet ?

Le RN et Macron auraient pu gouverner ensemble en cas de victoire du RN : ce scénario est évité. Reste à savoir quelle alliance la gauche fera pour gouverner avec Macron, et à quels renoncements, et à quelles trahisons elle consentira. Ce que je crains, c’est qu’il n’y ait aucun tumulte, juste une gauche molle, apaisée par cette minuscule victoire, et qui se rendort dans son confort. Certains se réjouissent d’avoir gagné un peu de temps pour leur survie. Je comprends. Moi aussi. Je ne suis pas en première ligne des personnes visées, mais j’ai encore ma vie à vivre, et les espaces de liberté que j’ai conquis dans ma vie privée, je ne veux voir aucune force politique me les arracher.

Depuis hier, je reçois des dizaines de messages de félicitations, parce que j’ai beaucoup raconté sur les réseaux sociaux la campagne que nous avons menée dans la première circonscription des Yvelines face au député sortant macroniste et à quatre autres candidats et candidates de la droite et de l’extrême-droite, alors que tous les maires et élus locaux étaient alliés pour nous faire perdre, avec le soutien national des médias. Et nous avons perdu, sans surprise, mais nous nous sommes battus avec toute l’énergie que nous avions. Je reçois plus de messages pour cette victoire (nationale) de la gauche que pour mon anniversaire. Pourtant, je me demande de quel temps nous disposons pour réorganiser nos luttes et consolider le barrage. Six mois, si le président démissionne ? Un an, s’il dissout l’Assemblée nationale à nouveau ? Deux ans, avant qu’une mairie sur trois ne bascule à l’extrême-droite ? Trois ans, avant que Marine Le Pen ne puisse devenir présidente de la République ? Entre temps, combien de fois la gauche se sera-t-elle sabotée, en mettant en avant des Roussel et des Ruffin prêts à trahir, des Tondelier à la veste verte gonflée du vent qu’elles ont en poupe alors qu’on sait très bien que toutes brillantes qu'elles soient, never trust a white fem, c’est comme les socialistes, elles tiennent pas mieux la barre ?

En deux ans, le RN est passé de quatre millions d’électeurs à plus de dix millions (en incluant la frange Ciotti des LR). Comment appeler ceci une victoire ? Alors, oui, malgré tout, cela montre que dans une France qui glisse vers le fascisme, quand on parle aux gens les yeux dans les yeux, on peut lutter contre la propagande de CNEWS, les algorithmes des réseaux sociaux et les idées racistes et misogynes du Rassemblement National. Et, oui, cela nous donne la preuve que nos idées sont bonnes, que nos idées sont belles, que nos idées sont justes, et qu’elles méritent d’être défendues, puisqu’elles résistent. Mais ça n’est pas assez.

Mesure-t-on seulement l’énormité de la mobilisation qu’il a fallu sur le terrain pour faire valoir nos idées face à la déferlante médiatique d’extrême-droite et arracher par un travail acharné cette trop courte victoire ? On ne peut pas tenir cette intensité dans la durée. Pourtant, nous devons faire toute l’année comme si les fachos allaient nous prendre le peu que nous avons. Nous ne devons pas retourner nous coucher. Je crois aussi qu’on mesure trop mal à quel point ce sont les quartiers populaires qui ont sauvé la France hier, dans la mesure où ils constituent 52 % des votes pour le NFP. On mesure trop mal que ce sont ceux qui sont traînés dans la boue, pour leur soi-disant communautarisme, qui ont préservé la République française quelques mois de plus. Et quoiqu’on en dise, c’est Mélenchon qui fait voter les quartiers populaires – ainsi que les orgas et assos qui font tenir la gauche et qui se sont tant mobilisés.

Notre seule victoire, finalement, c’est cette mobilisation. Nous avons compté nos forces, nous avons appris à nous organiser, ensemble, et nous avons goûté au sel addictif de la victoire. Nous ne devons pas y renoncer. La tâche me semble immense, pourtant.

  • Dans les campagnes qui votent RN, l’abstention atteint parfois 50 % ; et dans les quartiers qui votent à gauche également. Il va falloir aller chercher et convaincre, et repolitiser. Il va falloir délocaliser les luttes, et aider les camarades ruraux à couvrir des territoires énormes et pas desservis par les transports en commun, ne pas s’entretenir dans notre parisianisme snob et conquérant. Écouter d’autres récits que ceux auxquels nous sommes habitués, des récits de victoires impossibles en territoires hostiles.
  • Il va falloir organiser ces luttes pour qu’elles incluent davantage les parents d’enfants petits (mutualiser les moyens de garde?), les personnes racisées (qui sont les plus exposées aux agressions verbales et physiques), les personnes pauvres (en se taisant et en écoutant, en arrêtant de centrer tout notre discours sur la valorisation du travail salarié), les militant-es handicapé-es (prendre en compte systématiquement la variété des handicaps représentés au seins de nos groupes d’action), et les queers et personnes LGBTQIA+ (en prenant la peine de préciser nos pronoms par exemple).
  • Il va falloir utiliser cette gigantesque mobilisation et les rencontres incroyables que nous avons toustes faites pour prendre l’offensive et la mettre au service de notre calendrier, c’est-à-dire : mettre notre Premier ministre au pouvoir, puis : s’en tenir au programme, les forcer à s’en tenir au programme, et aussi : préparer les prochaines échéances électorales – législatives, municipales, présidentielle – et encore : faire peur aux fachos et les remettre à la place qu’ils n’auraient jamais dû quitter, le gouffre de la honte. Enfin, ne pas oublier, pour s’organiser toute l’année au plus proche de nos quotidiens : se syndiquer, pour défendre nos conditions de travail, et rejoindre des assos et des orgas à proximité pour s’impliquer dans la vie locale et densifier nos réseaux.

A titre personnel, je ne veux plus jamais qu’un jeune de dix neuf ans m’arrête dans la rue en me voyant tracter pour me demander si Bardella va l’obliger à renoncer à l’une de ses deux nationalités. Et je ne veux plus jamais qu’un enfant de six ans, près d’un terrain de foot, me demande si Bardella va le chasser de sa maison. Et je ne veux plus jamais qu’un enfant de onze ans fasse des blagues sur Bardella qui va payer un billet d’avion gratuit à sa mère pour qu’elle retourne dans son pays. Je ne veux plus jamais avoir à regarder ces enfants dans les yeux pour leur dire fermement, en imitant la détermination d’une Fatima Ouassak : « enfant, amix, ils ne toucheront pas à un cheveu de vos têtes », avec le coeur qui s’effrite dans ma poitrine. Je suis déter, et j’ai appris, en trois semaines, que je pouvais remplacer la peur par l'action : « étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait », dit Victor Hugo. Nous, on ajoute : ici, c’est chez nous. On ne bougera pas, et on continuera de fabriquer un monde vivable et des conditions de vie dignes pour toustes. Bon courage avec ça, les fachos.

On a trois ans pour abolir le gouvernement afin que plus aucun facho ne s’y fasse jamais élire ; trois ans pour démanteler la police afin que si le RN passe aux prochaines élections, ils n’aient pas une force armée de 300000 fonctionnaires de police pour les soutenir ; trois ans pour fermer les prisons et les centres de rétention pour que si le RN passe, il ne puisse pas les utiliser comme camps de concentration. (@projet_evasions)

On en a ras-le-bol des idées pourries de l’extrême-droite, on en a ras-le-bol des idées pourries de l’ultra-libéralisme, et on en a même ras le bol des commentaires à la con qu’on peut avoir dans tous les médias aujourd’hui, on veut changer l’ambiance, on repasse à l’offensive, on reconstruit la gauche. (Philippe Poutou)

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