La guerre sociale, mythe et réalité
Forts ou faibles...
La guerre sociale fait-elle rage actuellement ? Bien sûr l'expression amène immédiatement à penser à la fin des services publics dont tout le monde subit les conséquences mais dont quelques un-es encaissent les bénéfices. "Enfin, se réjouissent-ils, un enrichissement libre et non faussé au détriment de la santé des plus fragiles redevient possible" Et on ne peut pas dire que nous trouverons là des arguments contre l'idée d'un conflit généralisé qui est bien à son apogée actuellement.
Néanmoins dans le cas qui nous intéresse le sens originel de la guerre sociale est plus explicite. En effet, la guerre sociale originelle est celle que la République romaine et ses alliés italiens se livrèrent trois années durant au sujet de différences dans l'accès aux droits et notamment le traitement inégal en matière de justice entre citoyens romains et alliés italiques. Bien que participant à l'effort de guerre autant sinon plus que les romains, les italiques avaient des droits civiques réduits. Comme l'écrivait La Fontaine dans Les Animaux Malades de la Peste : "Selon que vous serez puissant ou misérable/ Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir."
Aujourd'hui, un ancien président ayant déjà eu de multiples démêlés avec la justice et en ayant d'autres en cours pourrait se voir infliger, pour avoir tenté de corrompre un magistrat, une peine de quelques mois de bracelet électronique et l'enfant que les parents ne peuvent abriter sous un toit, se verrait abandonné à la rue par les services de l’État en dépit des lois internationales sur la question et deux militantes des droits de l'enfant, cherchant à protéger ceux-ci pourraient se voir reprocher un possible "trouble à l'ordre public".
C'est malheureusement une réalité bien présente que les mêmes qui hurlent contre une justice laxiste, ne se lassent des rodomontades de matamore que lorsqu'il s'agit de répondre de leurs propres actes et que la multiplicité de ceux-ci rend la thèse du malentendu très peu crédible... "L'ensauvagement", la "barbarie" sont toujours dénoncés dans le même sens, celui des plus faibles qu'il faut contrôler, et opposés à une "responsabilité", un "pragmatisme" qui sont leur apanage.
Cette guerre sociale amène parfois les patriciens à s'enivrer de leur propre sentiment de grandeur et l'on peut lire à l'occasion des propos d'une auto-satisfaction et d'une arrogance étonnante sous leur plume, comme lorsqu'ils rendent hommage à des esclaves dont ils méprisent totalement la descendance...

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La répression dans l'éducation nationale
Dans ce contexte, l'institution scolaire doit favoriser les conditions de l'acceptation par les italiques de la domination des citoyens romains. Pour ce faire il est nécessaire de surveiller et encadrer au maximum la liberté d'expression des enseignant-es qui pourraient autrement se montrer trop critique envers la doctrine des patriciens. Mais cela ne suffit pas, il convient également que les enseignant-es deviennent les garant-es de la bonne moralité et que leurs élèves ne soutiennent pas des thèses séditieuses pouvant à terme discréditer l'organisation sociale telle qu'elle est.
Ainsi une enseignante ne doit pas laisser émerger le début d'une réflexion sur ce qui est et ce qui pourrait être différent. L'empathie ne doit pas amener à prendre des positions qui pourraient amener une remise en cause des choix des patriciens. L'exemple de l'enseignante sanctionnée par le rectorat pour avoir laissé ses élèves organiser une minute de silence pour Gaza semble t-il aller en ce sens ?
Il est évident que pour ne pas arriver à de telles extrémités les moyens doivent être mis sur le recrutement des enseignant-es afin de s'assurer leur docilité, leur maniabilité et qu'il convient de les inonder d'injonctions (de préférence contradictoires) afin de ne pas laisser leur réflexion s'installer et prendre le dessus.
Il convient également de faire en sorte de privilégier des modalités d'enseignement directives et autoritaires qui sauront mieux montrer par l'exemple le fonctionnement social entre patriciens et italiques. L'école est une institution fondamentale pour l'édification d'un tel type de société, il convient donc de s'assurer d'un enseignement et d'apprentissages adaptés pour les futur-es citoyen-nes dont il n'est pas souhaitable que la conscience de leurs droits soit trop marquée.
Aurais-je poussé à l'extrême le parallèle entre la guerre sociale romaine et celle que nous pourrions être en train de vivre ? Sans aucun doute, mais que l'on réfléchisse aux fondements sur lesquels est censée reposer notre société et leur réalité, nul doute que la distorsion entre l'égalité et la fraternité proclamée dans la devise de notre république et la réalité interroge et que la question de l'enfance et des droits de l'enfant est à ce niveau révélatrice.
Les droits de l'enfant
Service public d'éducation, vraiment ?
Que dire ? Les difficultés du service public d'éducation sont toujours plus grandes pour remplir dignement ses missions, la liste est longue et douloureuse :
- Postes laissés vacants ou occupés par des personnels non formés, non qualifiés qui n'ont que leur courage et leur bonne volonté à offrir.
- Politique d'inclusion sans aucun moyen attribué pour en garantir la réussite et, par conséquent, situations de souffrance se multipliant dans les classes pour des enfants n'ayant pas les adaptations auxquelles ils ont le droit.
- Difficultés des prises en charge des situations de danger pour les enfants par les services sociaux et médicaux débordés et en sous effectif.
- Liberté d'expression des lycéen-nes bafouée.
- Tri social accru avec les évaluations nationales dans chaque niveau de classe, des nouveaux programmes élitistes et les déclarations tapageuses de la ministre Borne sur l'orientation à réfléchir dès la maternelle.
- Inégalités accrues entre un enseignement privé financé en large part par l'argent public et un enseignement public sans moyens.
- Révélations sur des agissements connus par les services de l'éducation nationale dans certains établissements privés et possiblement couverts dont l'exemple le plus tristement célèbre est celui de Bétharram.
De quelque côté que l'on regarde la situation est consternante et l'institution en grande souffrance. Mais comment garantir aux enfants de ce pays la mise en œuvre de leurs droits les plus élémentaires, tels que l'accès à l'éducation, le droit à la différence, la liberté d'expression ? Cette situation est consternante mais finalement à l'image du reste de notre société, tout simplement...
Quelle place dans cette société pour les enfants ?
Voici une seconde question dont la réponse n'est pas plus réjouissante que la première. Un communiqué de l'ICEM - Pédagogie Freinet publié en février 2025 résume très bien la situation :
Fin janvier 2025, le Défenseur des droits alertait et plaçait l’État face à ses responsabilités au sujet de l’Aide Sociale à l’Enfance, mais aussi sur la prise en charge des enfants à la rue (plus de 2 000 chaque nuit), sur l’accès aux soins. "De graves atteintes à l'intérêt supérieur et aux droits des enfants" étaient dénoncées.
À la mi-février, le projet de réforme du droit des mineurs arrivait au parlement, initié par le parti présidentiel, LR et le RN. Celui-ci est nourri des fantasmes de la droite et de l’extrême-droite de « l’ensauvagement » et prévoit la fin de l’excuse de minorité pour les enfants de 16 et 17 ans, un recours accru aux centres éducatifs fermés et un durcissement du Code de la Justice Pénale des Mineurs.
Depuis quelques jours, c’est le pensionnat Notre-Dame-de-Bétharram qui donne une horrible illustration de l’abandon des enfants par l’État et en l’occurrence par son actuel premier ministre et ancien ministre de l’Éducation nationale François Bayrou. Les faits sont accablants et illustrent le mépris envers les droits les plus élémentaires des enfants. Couvrir ainsi que l’a fait l’actuel premier ministre les violences sexuelles, des viols et des violences physiques ayant eu lieu dans un établissement scolaire est la marque ultime du déni de l’État des droits des personnes les plus faibles qu’il est censé protéger : les enfants.
L’ICEM – Pédagogie Freinet rappelle que la France est signataire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, que celle-ci l’oblige à reconnaître, mettre en œuvre et faire appliquer les droits des enfants jusqu’à leur majorité. Cela implique que l’État doit se remettre en règle là où ses obligations légales ne sont plus respectées ainsi que le demande le défenseur des droits et ne doit pas aller à l’encontre des principes fondamentaux de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant malgré les tentations démagogiques des politiciens les plus réactionnaires. Dans l'affaire Notre-Dame-de-Bétharram, la justice doit faire son œuvre pour que les droits de toutes les victimes soient enfin respectés après des années de déni avec la complicité de plus en plus évidente de l'État en la personne d'un ancien ministre de l'Éducation nationale.
Tant que cela ne sera pas effectif l’ICEM – Pédagogie Freinet soutiendra et encouragera toutes les démarches légales demandant la mise en règle de l’État français avec le droit international et impulsera ou prendra part, dès que possible, à toutes les initiatives d'actions possibles prévues en ce sens localement ou nationalement.
Depuis la rédaction de ce communiqué la situation de l'enfance s'est-elle améliorée dans notre pays ? Qu'on en juge avec la publication du rapport du Collectif Les Morts de la Rue qui fait état pour 2024 de la mort de 19 enfants de moins de 4 ans, avec la réforme de la justice des mineurs qui a été adoptée, officialisant la fin de l'excuse de minorité à partir de 16 ans et avec l'affaire de Bétharam qui est devenue une affaire gigantesque, ayant déclenché un #metoo de l'enseignement privé, révélant des pratiques qui avaient cours dans de nombreux établissements privés. Bref, rien qui permette d'entrevoir le début d'une amélioration, une lueur d'espoir en provenance d'institutions de plus en plus coupées de la réalité et violentes et qui font le douloureux tableau dans lequel les citoyens et les citoyennes doivent se débattre pour tenter de continuer à faire vivre les idéaux de Justice, de Solidarité, de Fraternité, d’Égalité, idéaux tous mis à mal.
Les fourmis militantes
Deux ans de Collectif ou la création de la fourmilière
Le Collectif Pas d'Enfant à la Rue existe depuis plus de deux ans maintenant et ses membres ont vu leurs yeux se déciller au fur et à mesure des déconvenues avec des autorités administratives d'abord peu concernées puis distantes et aujourd'hui méprisantes voire agressives. Le glissement vers une société toujours plus violente et en rupture par rapport aux droits de l'enfant et notamment son article 27 ,alinéa 3, stipulant que :"Les États parties adoptent les mesures appropriées, compte tenu des conditions nationales et dans la mesure de leurs moyens, pour aider les parents et autres personnes ayant la charge de l'enfant à mettre en œuvre ce droit et offrent, en cas de besoin, une assistance matérielle et des programmes d'appui, notamment en ce qui concerne l'alimentation, le vêtement et le logement." est clair et observable à l’œil nu.
En effet, au départ l'idée était de signaler et d'alerter sur des situations problématiques pensant d'abord qu'il s'agissait de problèmes indépendants de la volonté des services d'hébergement puis il a bien fallu ouvrir les écoles pour ne pas laisser les élèves quitter l'école pour aller trouver un banc, une cage d'escalier, un pas de porte pour passer la nuit en attendant le lendemain matin... Une liste des logements vacants dans la métropole tourangelle a été demandée à la mairie, à la préfecture, à la Direction Académique des Services de l’Éducation Nationale sans aucun retour de personne. Ainsi le scandale du sans-abrisme s'accompagne du scandale de centaines de logements vides et occupables mais que personne ne souhaite réquisitionner et des écoles qui accueillent des enfants sans-abris possèdent des logements inoccupés...
Voyant que l'alerte n'occasionnait pas d'amélioration, bien au contraire même, la décision a été prise de changer de modalité d'action en occupant le palais des sports. Une occupation de lieu public, espéraient les membres du Collectif, obligerait à régler le problème du sans-abrisme infantile ne serait-ce que pour libérer le lieu occupé. Si la municipalité a eu, à cette occasion, une réaction claire, décidée et courageuse, la préfecture, encore une fois, a fait la sourde oreille et délégué au maximum à d'autres la gestion du problème.
Le problème s'est reposé ensuite de manière de plus en plus régulière. Le Collectif a tenté de varier les lieux d'occupation afin de sensibiliser d'autres responsables, comme le conseil métropolitain ou la paroisse et à chaque fois la bonne volonté était la même et le désir d'intercéder réel mais, à chaque fois également, la Préfecture bottait en touche en minimisant ses interventions et en refusant d'assumer pleinement ses responsabilités.
Cette radicalité à ne pas remplir ses missions d'hébergement d'urgence de la part de la Préfecture et cette absence de dialogue ont continuellement tendu la situation au point qu'on peut se demander si la volonté de la Préfecture, à rebours de ses obligations légales, ne serait pas de faire en sorte que des enfants dorment dans la rue.
Dans ce contexte les événements du 1er avril ne sont finalement que la suite de la radicalisation des institutions contre les droits des enfants.
La chasse aux fourmis
La fourmi est travailleuse, infatigable mais elle est aussi fragile et, lorsqu'elle se montre agaçante par son inlassable travail de militante des droits des enfants, qu'elle empêche d'exclure en rond, il est facile de l'écraser. C'est exactement dans cette logique que s'inscrit la tentative en cours de museler le Collectif.
Le 1er avril marquait la fin du plan hiver et le Collectif avait anticipé la situation problématique qui n'allait pas manquer d'apparaître ce jour en organisant un appel à la grève dans l'éducation soutenu par la totalité des organisations syndicales.
Ce sont 60 personnes qui se sont retrouvées le matin devant la Direction des Services Départementaux de l’Éducation Nationale pour un dialogue avec le DASEN "positif et bienveillant" selon les normes du langage officiel mais durant lequel celui-ci aura surtout expliqué, sans surprise, qu'il ne pouvait rien faire.
Ensuite, après un pique-nique devant la Direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités, le Collectif s'est dirigé vers le Palais des Sports où un appel au rassemblement lancé par un collectif citoyen était en cours. Là, les informations ont commencé à tomber sur le nombre d'enfants à la rue pour la soirée : 32. Le préfet peut-il imaginer ce que cela peut faire de découvrir au fur et à mesure de la journée du mardi qui s'avance que des dizaines d'enfants, d'élèves doivent aller dormir dans la rue le soir venu ? Peut-il comprendre que pour des enseignant-es cela soit inacceptable de voir ses élèves partir après l'école pour aller se cacher dans une cage d'escalier, sur un banc ou un porche discret ?
Le collège Michelet était tout à proximité alors puisqu'après les cours les élèves n'avaient nul lieu où aller, les membres du collectif les ont finalement ramenés là où certains d'entre eux passent leurs journées en attendant qu'une solution soit trouvée pour la nuit. Quoi de plus normal pour des êtres humains de faire preuve d'empathie envers le sort de ses prochains, à fortiori quand ceux-ci sont des enfants ?
Pour la suite du récit voici le communiqué produit par le Collectif le lendemain de l'action :

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Exagéré de parler de violence ? Un article faisant le récit de la soirée par la Nouvelle République, va clairement dans le même sens...
Quant aux suites, le projet d'intimider les militant-es des droits des enfants ne pourrait être plus clair que par un recours à une procédure de justice. Les petites fourmis militantes prenant trop d'importance et empêchant trop ostensiblement de laisser des enfants à la rue en toute quiétude, le rappel à la loi est la réponse, dérisoire, ridicule, honteuse, d'institutions à la dérive moralement et en perte de sens, aux valeurs un peu trop actuelles pour être totalement honnêtes...

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Nous en appelons à la fourmilière entière et solidaire
Voilà où nous en sommes et voilà pourquoi la pétition de soutien pour Aurélie et Vanessa est si importante. La tentative d'intimidation en cours est très déterminante car au delà de leur cas personnel et de l'injustice flagrante dont elles sont victimes, c'est la perpétuation et la pérennisation d'un État d'injustice permanent bien plus grave qui est en jeu : celui de dénier à tous les enfants que compte ce pays leurs droits les plus élémentaires.
Quelle honteuse jurisprudence risque de ressortir de tout cela ?
Alors, si la fourmi seule n'est rien, la fourmilière entière peut réussir à déjouer les plans d'extinction de la contestation de toutes celles et tous ceux qui partout dans ce pays brandissent l'article 27 de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant comme étendard et portent avec fierté et à raison leurs valeurs de solidarité, d'égalité, de justice.
Signer la pétition de soutien à Aurélie et Vanessa : https://www.change.org/SoutienPourAurélieEtVanessa

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