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Billet de blog 14 juin 2025

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Inquiétées pour avoir mis des enfants à l'abri ? Le témoignage de Véronique Decker

Véronique Decker fait partie des premières signataires de la pétition de soutien à Aurélie et Vanessa, enseignantes de Tours inquiétées par la justice pour avoir mis des enfants à l'abri. Son expérience est claire et simple : jamais, pour des faits comparables, elle n'a vécu de telles pressions et c'est exactement ce genre de gestes éducatifs dont notre société à besoin aujourd'hui

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Qu'est-ce qu'éduquer aujourd'hui ?

Les temps sont durs pour les enseignant-es ayant une éthique et souhaitant participer à l'éducation de leurs élèves. En effet, la lecture de la rubrique éducation de ces dernier jours nous apprend qu'occuper un lieu pour permettre la mise à l'abri d'enfants à la rue est un "trouble à l'ordre public" comme c'est le cas pour Aurélie et Vanessa ou permettre à des lycéens d'organiser une minute de silence pour les morts de Gaza revient à "sortir de son devoir de réserve" comme pour la collègue de Sens qui vient d'être "blamée" pour cela

Autrement dit il est demandé aux enseignant-es de laisser les enfants dormir dehors car cela ne représente aucun trouble et de ne pas se positionner contre un génocide parce que ce n'est qu'un point de vue et libre à chacun de commettre un génocide s'il le souhaite, ce sera peut-être même bientôt un droit, qui sait... Allez éduquer des enfants avec cela.

Bien sûr on pourra toujours interdire les armes blanches dans les collèges et mettre des vidéos surveillance pour contrôler les contrevenant-es pour garder le contrôle mais comme toujours il apparaîtra que les cas de violences commises par des enfants désespérés, non pris en charge par les services médicaux et/ou sociaux, sans repères éducatifs autres que ceux des médias dominants et donc prêts à n'importe quelle extrémité seront toujours en augmentation.

Qu'importe, cela est le prix à payer pour s'assurer une saine compétition source de profits individuels décuplés pour une minorité et d'acceptation résignée voire reconnaissante pour la multitude restante. 

Ce qu'est réellement l'éducation

Tout n'a pas toujours été ainsi : jusqu'à un passé récent l'éducation était comprise, y compris par l'institution Éducation Nationale, bien qu'imparfaitement, comme un ensemble d'actes, de pensées et d'acquisition de connaissances devant permettre à l'enfant de se développer et de s'émanciper. Quand cela n'était pas possible des aides étaient mises en place.

Aujourd'hui avec le saccage en cours de tous les services publics et l'extension de la diffusion des idéologies les plus réactionnaires et anti-sociales qui soient tout cela est rendu dans bien des cas impossible. L'éducation n'a jamais été et ne sera jamais un simple ensemble de compétences à acquérir afin de permettre à la machine économique de marcher à plein. 

Pour grandir un enfant doit avoir des exemples de ce que sont des adultes sains, exemplaires, dignes. C'est exactement ce qu'Aurélie et Vanessa sont aux yeux de leurs élèves. Elles ont refusé que leurs copains, leurs copines, leurs camarades dorment à la rue. Une démocratie saine devrait remercier ces adultes aux valeurs fortement ancrées permettant aux enfants d'avoir des modèles rendant possible une vie en société digne pour tous et toutes. C'est aussi ce type de modèle qu'à offert Véronique Decker durant toute sa carrière d'enseignante et de directrice à Bobigny. Elle aussi a vécu ces situations, elle aussi a réagi de la même manière mais, elle, n'a jamais eu ce type de répression à subir. Aujourd'hui elle soutient bien entendu Aurélie et Vanessa dont elle partage les conceptions de la dignité et du respect des valeurs que doit porter chaque enseignant-es.

Son livre, Trop classe ! Témoigne de son expérience et de la réaction de sa hiérarchie à l'époque, à mille lieues de ce qui se passe aujourd'hui à Tours pour Aurélie et Vanessa. Chapitre 44, "Une nuit à l'école" :


Comme notre école a accueilli beaucoup d’enfants roms, nous avons vécu avec eux de nombreuses expulsions irrationnelles, jetant à la rue sans rien ceux qui n’avaient déjà pas grand-chose, détruisant le peu de biens, et les forçant à une vie de Sisyphe. À chaque fois, nous nous sommes battus à leurs côtés, car ce n’est pas la peine d’enseigner la morale si on est indifférent aux drames de l’existence. Là, il s’agissait de deux familles qui avaient trouvé à s’héberger dans un tunnel qui passe sous la voie de chemin de fer, pour permettre aux conduites de chauffage urbain d’aller de l’autre côté. Le tunnel était sombre, mais bien chauffé, et très près de notre école. Un matin, les enfants sont venus nous avertir qu’ils allaient être expulsés. Nous avons donc appelé en mairie, en préfecture, les élus, les fonctionnaires, l’inspection, toutes les personnes censées veiller à ce qu’en France, des enfants ne dorment pas dans les rues, car pour nous, normalement, la vie comme la racontait Zola, c’était fini.

Mais rien, enfin, si, des réponses dilatoires, des promesses vagues, et nous sommes jeudi, la journée avance et, petit à petit, les numéros ne répondent plus, il est 18 heures, puis 19 heures, l’astreinte nous dit qu’elle ne parvient pas à joindre des élus... Alors, à 20 heures, nous décidons de rester là, dans l’école, avec eux, les enfants, leurs parents, leurs grands-parents. Nous ne pouvons pas nous résoudre à les laisser à la rue. Nous sortons les tapis de yoga, nous allons chez nous chercher des duvets, et nous veillons à ce qu’il n’y ait aucun bruit et très peu de mouvements afin de ne pas mettre les alarmes en action.


Le lendemain, l’inspectrice me téléphone et me demande s’il est vrai que j’ai ouvert l’école pour accueillir des Roms et me rappelle à la loi afin que je comprenne toute l’illégalité de la situation.


Mais voilà, madame l’inspectrice, je savais bien que c’était illégal. Sauf que laisser des enfants dormir dehors aussi c’est illégal, non ? Devant le
dilemme de deux illégalités, j’ai préféré la moins pire, celle qui utilisait seulement un bâtiment public en dehors de ses heures légales d’ouverture.


Finalement, le vendredi à 14 heures, nous obtiendrons un hébergement d’urgence, puis une place provisoire sur un terrain appartenant à la Ville. Il suffira alors de sacrifier notre matériel personnel de camping pour installer les familles dans des abris précaires, mais hors d’eau. Mais pour moi, cela a été dramatique, car ce jour-là, j’ai pris conscience que désormais, le progrès social s’était mis à reculer. Devant les enfants médusés, j’en pleurais à l’entrée de l’école.

Signer la pétition de soutien à Aurélie et Vanessa : https://www.change.org/SoutienPourAurélieEtVanessa

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Véronique Decker, militante pédagogique et syndicale, directrice d'école honoraire © Véronique Decker

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