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Billet de blog 14 octobre 2017

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« Big brother is watching you » de l'anticipation à la réalité.

« Big brother is watching you » de l'anticipation à la réalité : Les Appareils Idéologiques Numériques Transnationaux (AINT). Plusieurs universitaires estiment que ces Appareils Idéologiques ne rentrent pas dans la logique propre des appareils d’État classiques, mais dans le cadre d’une idéologie dominante globalisée et directement structurés par les acteurs économiques de la classe dominante.

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Illustration 1

L’approche marxiste des Appareils Idéologiques d’État (AIE) demeure pertinente sur le fond. Tous les penseurs issus du courant marxiste révolutionnaire s’accordent sur la validité d’un postulat posé par Marx. Les Appareils Idéologiques, composantes essentielles des superstructures, sont complexes, elles n’induisent pas mécaniquement des modes d’aliénation linéaires au service de la classe dominante. Et ce constat peut s’appliquer aux Appareils Idéologiques Numériques Transnationaux (AINT).

En terme plus développé, peu importe la nature de l’AIE déployé (Presse, Éducation, Religion, etc…), l’individu devient le sujet de ses propres représentations inculquées par un discours dominant. Chaque AIE comporte ses propres contradictions et l’inadéquation du discours et de la conscience des rapports socio-productifs réels, peu générer une prise de conscience qui peut se traduire en révolte, voire en processus de rupture avec le discours dominant. Dans ce cas là l’individu devient un « mauvais sujet » et c’est l’Appareil d’État, composante répressive des superstructures, qui cible et traite ce mauvais sujet en fonction de sa capacité de nuisance pour le maintien de l’ordre social établi.

De ce point de vue, rien n’a changé. Les médias et réseaux sociaux sont étroitement surveillés par les services spécialisés dans l’interception électronique. Même si des logiques financières compromettent dans une moindre mesure leur efficacité (contradictions internes), ces services peuvent potentiellement identifier tout mauvais sujet sur le réseau. Les dernières lois répressives en France, par exemple, renforcent les moyens d’actions en ce sens.

Une analyse critique concernant ces nouveaux appareils est indispensable. Plusieurs universitaires estiment que ces Appareils Idéologiques ne rentrent pas dans la logique propre des appareils d’État classiques, mais dans le cadre d’une idéologie dominante globalisée et directement structurés par les acteurs économiques de la classe dominante (multinationales, mass-média). Si les États conservent leur autonomie de gestion pour leurs mises en œuvre, notamment au niveau des instances de contrôle et de régulation, l’impact de ces AINT sur les comportements individuels et collectifs est une donnée fondamentale dans la stratégie pour toute organisation de classe. Dans son délire de l’illimité, le Capitalisme ne déraisonne pas qu’en terme de croissance économique illimitée avec des ressources disponibles finies (déni de réalité), mais aussi en terme de contrôle illimité de la conscience, des désirs et de l’affect de ses sujets.

Assujettissement ou conditionnement ?

          Les outils que l’on peut regrouper au sein des AINT sont complémentaires et variés. Actuellement dans le champ syndical les effets nocifs du management numérique sont au cœur des préoccupations. Ici notre réflexion ne portera que sur 3 types d'outils :

  • L’information en continu (Radio, Télévision, Web)

  • Les réseaux sociaux

  • Les animations de divertissement autocentrées (Télévision, Web)

            Les médias d’information en continu, par ailleurs redondants sur divers supports, matraquent littéralement l’auditeur, qui même s’il opère un processus de distanciation critique, est pour le moins influencé, consciemment ou pas, par ces médias. La différence avec la presse bourgeoise des XIX ème et XX ème siècles réside dans la portée et la constance des messages diffusés. Combien même chaque individu est libre d’en discuter dans un cadre collectif, les sujets (terme que l’on peu différemment comprendre ici) sont déjà posés.
Le mauvais sujet aura donc beaucoup plus de difficulté à recentrer le traitement de l’information, il se heurtera à des résistances induites en continu.

Dans cette bataille de classe autour de l’information, se pose également la problématique des médias de ré-information, domaine dans lequel les néo-fascistes et islamo-fascistes excellent dans l’art de la manipulation. Il ne faut pas également négliger les médias complotistes.
La perduration de ces médias est ambivalente du point de vue de la classe dominante. D’un côté toute source pouvant entretenir la confusion aide à déstructurer le rapport au monde réel et qui plus est aux rapports socio-productifs. Mais d’un autre côté ces médias peuvent générer des mouvements contestataires violents. Mouvements qui justifient de part leurs existences des parts de marché très lucratives du marché de l’armement et du renseignement, donc en définitive utiles à la classe dominante et au marché capitaliste.

Quoi qu’il en soit, l’information dominante formate la représentation de l’information à l’échelle individuelle et de masse. Le problème étant que le discours de rupture ne dispose pas de la même force médiatique. L’information de classe du XIX eme siècle est inefficace en termes de portée, ce qui n’était pas le cas de la propagande révolutionnaire des deux siècles précédents. La culture du zapping concernant des séquences d’informations courtes engendre le besoin de discours courts, ce qui affaiblit les capacités de concentration et de production intellectuelle. L’adhésion au discours de rupture d’une organisation de classe est souvent parcellaire et source d’instabilité de la base militante.
Une vraie question se pose aux directions révolutionnaires. Comment contrer le ‘Big Brother’ planétaire qui semble aujourd’hui s’incarner ? Dans le contexte, le soutien démocratique aux médias indépendants respectant éthique et déontologie est une nécessité, dans un premier temps.

          L’interconnexion de masse générée par les réseaux sociaux crée des constantes contradictoires. Le courant anarchiste, concernant Internet en général, parle de Cyber-pouvoir de domination. En 2016 le réseau social Facebook comptait 1,86 milliard d’utilisateurs actifs durant tous les mois de l’année, dont 1,23 milliard actif tous les jours. La barre des deux milliards d’utilisateurs a été franchie en 2017. Facebook est donc sur le plan quantitatif la première communauté humaine organisée. 48% des 18 – 34 ans débutent leur activité journalière par la consultation de leur compte facebook. Le constat est sans appel ; un manque d’investissement des réseaux sociaux est contre-productif du point de vue de la diffusion des idées, mais un dilemme se pose aux organisations de classes. S’appuyer sur un AINT de la classe dominante implique le renforcement de celui-ci et surtout la tutelle de ce dernier sur la classe. Par ailleurs, si une organisation de classe n’est pas présente sur les réseaux, elle s’exclue de la possibilité d’exploiter leurs contradictions (cf. printemps arabes, révolutions 2.0). A contrario si toute la diffusion du discours de rupture est axée sur les réseaux sociaux, l’organisation de classe disparaît brutalement du champ politique en cas de répression numérique.

Au niveau individuel, la mise en œuvre d’une personnalité de synthèse numérique sur les réseaux sociaux est de nature anxiogène, surtout pour les 91% des 18-24 ans. Le temps passé sur les réseaux sociaux engendre des trouble du sommeil, des troubles la personnalité et impactent directement les rapports socio-productifs. Les réactions aléatoires des utilisateurs sur les réseaux sociaux expose le sujet à une sélection totalement arbitraire (popularisé ou ignoré ou stigmatisé). Cela modifie la perception du sujet en tant qu’acteur social, qui tant à réduire son champ d’action à celui de sa personnalité numérique de synthèse. L'individu en réseau devient un bien de consommation, au même titre que l'information, sur des temps courts. Ici on ne parle pas de Zapping mais de Nexting.

La portée de la diffusion des idées sur les réseaux sociaux est donc liée à deux paramètres principaux :

  • Impact visuel et immédiat de la communication sur le champ émotionnel.

  • Moyens financiers et/ou techniques pour accroître la diffusion.

Un discours qui ne retient pas l’attention finit temporairement dans les poubelles de l’histoire. Dans tous les cas la forme et les moyens entament la pertinence du fond. Le discours de classe 2.0 nécessite une hyper spécialisation.

Le courant anarchiste underground a bien anticipé le problème en développant des outils de diffusion et de préservation pour les discours alternatifs sur les réseaux sociaux. De ce fait ils ont devenus les mauvais sujets faisant l’objet d’un ciblage spécifique de la part de tous les services de renseignements. La structuration d’outils de classe sur les réseaux pose des questions d’organisation et d’éthique qui sont centrales et plus que jamais d’actualité.

          Les animations de divertissement autocentrées ne sont pas à proprement parler des activités similaires aux jeux de la Rome antique visant à faire diversion et maintenir l’ordre social et politique établi.
A la fin du XXeme siècle sont apparues dans les sociétés occidentales des animations spécifiques relevant de la sphère dite de « télé-réalité ». Le terme n’est pas adéquat puisque la génération Y et la suivante visionnent généralement ces émissions en replay sur les smartphones et tablettes.
Ces animations impactent 50% des jeunes de 15 à 34%. Par le biais du voyeurisme, la structure de ces animations cible les failles narcissiques individuelles et font la promotion d’un hyper-individualisme axé sur la compétition et la sélection. Leur contenu idéologique renforce le discours dominant sur la mise en concurrence des individus et par extension des forces productives.
Par ailleurs, la valorisation de la débilité intellectuelle et de réactions primaires dans le champ émotionnel favorisent de fait une régression des rapports socio-productifs au détriment de la conscience de classe.

La confusion entre popularité (qui est reconnu par la collectivité) et notoriété (qui fait le buzz) entraîne des processus contradictoires de stigmatisation ou de starification rapides. Cette hyper sélection individuelle est conforme aux processus violents de sélection et d’évaluation introduits par le néo-libéralisme sur le marché du travail.
Les animations autocentrées relèvent donc d’une AINT culturelle particulièrement nocive sur le plan idéologique et doivent être combattues, car même si une partie des auditeurs opèrent une distanciation critique, il n’en demeure pas moins que les mécanismes de représentation induits ne peuvent rester sans conséquences.

AINT et segmentation de la classe.

          Le poids des AINT dans les rapports socio-productifs handicapent le travail de conscientisation des masses par le conditionnement et le confinement individuel. Le taux de reproduction de militants et de cadres dans les organisations de classe est en baisse constante ou instable (turn over) alors que la crise du capitalisme actuelle et ses effets dévastateurs sur les masses devraient au contraire provoquer un afflux militant.

Plus l’on passe de temps devant un écran (à l’exception de taches spécifiques en prise avec le réel), moins on est un acteur social réel. La forte utilisation des réseaux sociaux est donc liée à un isolement perçu fort, mais elle pourrait aussi offrir des opportunités de socialisation et de politisation qui ne sont pas optimisées par le courant marxiste révolutionnaire.

Le temps passé en ligne comporte des interactions avec d’autres individus, mais celles-ci ne se traduisent pas nécessairement en de “vraies” interactions sociales et collectives. Une partie de la classe ne se mobilise plus et n’exprime plus sa solidarité sur le terrain, mais elle l’exprime une solidarité virtuelle qui ne modifient en rien le rapport de classe. Cette confusion entre acteur socio-productif réel et personnalité numérique de synthèse nuit considérablement à l’organisation de classe.

Les modèles et structurations d’organisations ouvrières encore en vigueur à la la fin du XX eme siècle ne sont plus adaptées. Il faut changer de logiciel et promouvoir une stratégie pour faciliter le passage du « Que Cliquer » au « Que Faire ». En s’inspirant de la fonction du ‘Community Manager’ développé au sein des AINT, l’organisation de classe doit penser et mettre en œuvre ses propres ressources.

          Les animations autocentrées participent directement de la segmentation de la classe en diffusant en boucle la promotion de la survie individuelle au détriment des autres. La gestion des rapports sociaux y est tellement caricaturale dans ses aspects d’immédiateté et de consommation des autres en tant que ressources pour le seul profit personnel, que c’est comparable en tout point à l’hyper-individualisme cynique et destructeur introduit par le néo-libéralisme dans les années 80.

Les notions de collectif et de solidarité sont totalement absentes ou réduites à des séquences arbitraires et aléatoires (comme la charité dans les AIE religieux). Cela participe d’une représentation des rapports socio-productifs où il y aurait des faibles et des forts, des prédateurs et des proies. Ce conditionnement trouve un prolongement naturel dans la sphère d’un AIE classique, le système éducatif, et dans le monde du travail. L’augmentation des phénomènes de harcèlement dans ces deux contextes différents est certes multi-causale, mais influencé directement par la culture de «l’élimination du concurrent » notion très présente dans les émissions de télé-réalité.

L’appauvrissement du langage incarné par les idiots utiles de la télé-réalité prépare le terrain à l’hégémonie de la novlangue néolibérale. L'un des buts de cette novlangue néolibérale est de détruire symboliquement toute forme de hiérarchie (y compris sur le plan moral) pour ne plus avoir à la penser. Le but étant d’empêcher la classe d’avoir conscience d’elle même et de pouvoir remettre en cause les rapports socio-productifs.

          A travers l’apparition des AINT, le poids des superstructures et le rapport avec les infrastructures s’en est trouvé modifié. Les mécanismes d’aliénation mentale de la classe ont sans doute gagné en efficacité. Mais comme tout appareil idéologique inhérent au système capitaliste, des contradictions internes peuvent êtres exploitées. Les utilisateurs ont le pouvoir d'introduire d'autres usages. Cela implique un surcroît d’adaptation et de mise-à-jour dans la conception des organisations de classe.

La discipline de fer prônée par Engels concernant l’avant-garde révolutionnaire, postulat repris par Lénine se heurte frontalement aux AINT. L’homme nouveau et exemplaire ne se décrète pas et l’élitisme militant peut entraîner des effets pervers et dérives bureaucratiques. Face à la puissance des outils d’aliénation globalisés, la potentialisation des différents niveaux de consciences et d’action doit se faire de la manière la plus efficace et la plus distanciée possible. De même qu’une véritable réflexion doit permettre de définir une stratégie face aux AINT.

Internet est l’enjeu central de l’heure, cette colonne vertébrale des AINT est avant tout, sur le plan historique, une création de l’armée U.S (cf. ARPANET). Différents courants libertaires pensent que la mise en place d'un internet militarisé aura été à l'origine de la création massive et volontaire de cyber-pouvoirs de domination sur l'ensemble des peuples par les grandes cyber-puissances et les multinationales, interférant sur le fonctionnement et dénaturant même totalement toutes les formes d'organisation du pouvoir connues avant son apparition. L’actualité récente ne peut qu’amener les marxistes révolutionnaires à partager ce point de vue.

Le débat reste ouvert sur la question du « Que Faire 2.0 ».

Desideriu Ramelet-Stuart

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