Disons-le tout de suite : je suis un plouc, tout ce qu'il y a de plus plouc. Je n'ai aucun diplôme prestigieux, je suis "français de souche" comme on ose aujourd'hui à peine le dire, quadragénaire, salarié dans une boite de sous-traitance pour l'industrie, même pas cadre, payé assez sensiblement en-dessous de la moyenne (si j'en crois les statistiques –mais, entre nous, je demande bien où ils vont les trouver, leurs salariés, pour parvenir à 2000€ de moyenne), habitant un F3 pas très jeune, dont je serai réellement propriétaire dans 17 ans (inch'Allah…), dans la périphérie d'une ville de province moyenne. Bref, un plouc.
Cette présentation flatteuse n'a pour but que d'expliquer d'où je parle : je ne suis pas un universitaire, je n'ai pas de formation en sociologie, je n'ai aucun bagage en sciences humaines qui garantirait le sérieux épistémologique de mes "analyses", je ne revendique aucune rigueur scientifique particulière, tout juste un bagage culturel qui est (peut-être?) plutôt dans la bonne moyenne... pour un plouc, s'entend!
Ce qui va suivre n'a donc aucune autre prétention que d'être le point de vue de ce plouc, avec ses moyens et ses outils à l'avenant.
Je lis ou entends depuis plusieurs jours, sur MDP ou ailleurs, des tentatives diverses d'explication de la montée du FN : pourquoi "Marine" séduit, pourquoi elle convainc, pourquoi ceux qui sont en colère vont vers elle, et bien peu vers Besancenot ou Mélenchon, etc.,etc.
Moi qui n'ai jamais voté FN et n'ai pas le moindre attrait pour le nationalisme, si j'ai pu trouver fort intéressant ce que j'ai lu à ce sujet, je reste assez étonné de ce que je n'y trouve pas : un peu de "sympathie" pour le phénomène FN.
Car à mes yeux de plouc, il y a des causes tant internes qu'externes à ce succès, c'est-à-dire des causes liées aux caractéristiques propres du FN et de sa "cheffe", et d'autres qui ont trait à la "situation" actuelle en général.
Mais pour les appréhender, il faut être capable d'accorder au FN certaines qualités, être capable de laisser de côté (ne serait-ce que ponctuellement) le jugement moral ou politique qu'on porte sur lui en "bon citoyen", pour le regarder autrement que de haut.
Et la première de ces "causes internes", qui me saute aux yeux, c'est que Marine Le Pen a énormément de charisme, elle est d'une intelligence manifeste, elle est une oratrice hors-pair, à la rhétorique extrêmement habile. Bref elle est douée, vraiment très douée. Pour tout dire, si l'on s'en tient à ce genre de qualités-là, elle est sans doute l'une des plus douées des personnalités politiques du moment, ni plus ni moins. Éprouver de la défiance (voire plus…) envers cette personne et ses idées, c'est une chose, ne pas être capable d'admettre, au nom de cette défiance, ce qui saute aux yeux de ses électeurs, c'est être dans un déni qui ne pourra que renforcer ces gens dans leurs convictions.
La seconde de ces causes internes, que je suis encore plus étonné de ne l'avoir ni lue ni entendue, c'est que Marine Le Pen a toute la lattitude qu'elle veut pour dénoncer "légitimement" les dérives des politiques actuelles! Et si elle l'a, c'est pour une raison très simple : elle n'a jamais exercé la moindre responsabilité politique "sérieuse", elle n'a jamais été aux commandes de rien (si ce n'est son parti). Elle a donc beau jeu de rigoler des difficultés de ceux qui sont réellement confrontés aux vrais problèmes de l'exercice du pouvoir. Quelqu'un qui n'a jamais rien fait de concret peut toujours affirmer que SI il devait faire, lui, il ferait vachement mieux que tout le monde : ça ne coûte rien. Un peu comme les vies parallèles que l'on se fantasme, gamin (où l'on s'imagine rock-star, ou je-n'sais quel autre destin exceptionnel), n'ont pas grand mérite à être bien plus excitantes que la "vraie" vie quotidienne, banale…
Les causes "externes", maintenant, sont peut-être plus douloureuses à admettre. Elles ont trait aux questions "sensibles" qu'aborde le FN (ou plus largement l'extrême droite), quant à l'état de notre société. Et à nouveau il faudrait, je crois, être capable d'un peu de "sympathie", plutôt que d'être dans l'opposition frontale (sans jeu de mot) systématique. Pour le dire autrement : ce n'est pas parce qu'on a le plus grand mépris pour les réponses que donne le FN qu'il faut mépriser aussi ses questions.
Malheureusement, je vois deux stratégies aussi mauvaises l'une que l'autre :
- Dans une certaine "droite", on accepte de poser les mêmes questions que le FN, mais c'est pour y apporter peu ou prou les mêmes réponses, une xénophobie Canada-Dry sans le moindre intérêt.
- À gauche, on fait bien souvent comme si les questions que pose le FN ne peuvent être qu'intrinsèquement "mauvaises".
Cette deuxième stratégie me parait encore plus catastrophique (peut-être parce qu'elle vient de "mon" camp).
Oui, il y a manifestement un problème de sur-délinquance dans les populations issues de l'immigration . Que sur cette base, un certain nombre de personnes puissent parvenir à des conclusions parfaitement dégueulasses, racistes, xénophobes : c'est une évidence, il suffit malheureusement de tendre l'oreille pour s'en rendre compte. Cela justifie-t-il le fait qu'il ait fallu des années pour que ce fait social soit admis, regardé en face, l'ayant abandonné en attendant à ceux qui bâtissent leur haine dessus… et jetant dans leurs bras tous ceux qui sont sensibles à ces problèmes, puisqu'ils étaient les seuls à en parler.
Parmi les thèmes de l'extrême droite est apparu celui du "remplacement de populations" par l'immigration, et les angoisses identitaires qu'il fait naitre. Doit-on "taboutiser" toute évocation de ce phénomène, nier qu'il ait une quelconque réalité, ou n'y répondre que par le mépris ou l'indignation? Bien sûr que l'augmentation de populations immigrées change le "paysage" en Europe, et que "l'identité" d'un pays blancho-blanc et "chrétien" de tradition (à défaut de pratique ou de conviction) évolue quand une bonne partie de sa population a la peau mate et/ou est de culture musulmane, deux ou trois générations plus tard. Et bien sûr que ça peut amener des questionnements, voire des problèmes, qui ne se posaient pas auparavant. Les "identitaires" ont eu beau jeu de ressortir ce rapport de l'ONU (qui se fout des problèmes d'extrême-droite en France et de ce qu'il y est de bon ton d'aborder ou d'éviter) qui traite des questions d'immigration avec le même vocabulaire que Renaud Camus! Comme ils ont l'air malins, ceux qui s'indignent justement de ce vocabulaire-là, quand ils s'aperçoivent qu'une institution comme l'ONU –qu'on ne saurait, par nature, soupçonner de xénophobie– l'emploie sans problème…
Ne pas oser aborder la question du racisme anti-Blancs me semble tout aussi catastrophique. En outre, faire comme s'il n'existait pas est parfaitement raciste pour le coup, paradoxalement. Eh quoi? Il n'y aurait donc que les Blancs qui seraient capable de racisme? Les Noirs ou les Arabes seraient "génétiquement" à l'abri d'une telle dérive? On peut toujours rétorquer –et ce serait d'ailleurs vrai– que les conséquences sociales du racisme anti-Blancs sont incomparables avec celles du racisme anti-Noirs ou anti-Arabes : je ne connais pas un seul Blanc à qui on ait refusé un emploi ou un appartement parce qu'il était Blanc. Mais une fois posé cet état de fait, on n'a pas répondu aux questions de jeunes gens qui, en banlieue, sont en souffrance, au lycée, parce qu'ils sont méprisés en tant que "céfran". Être conscient de cela ne suffit pas à nier totalement ceci.
J'espère que les quelques (très rares?) lecteurs qui tomberont sur ce blog comprendront la part de provoc' qu'il y a à employer le terme de "sympathie" à propos du FN. Je n'appelle évidemment pas à une quelconque complaisance envers un parti qui n'en mérite à mes yeux aucune, ni à la moindre adhésion, même partielle, à ses théories. Je milite pour une "sympathie" qui tâche de comprendre le FN et ceux qu'il séduit, sans approuver, sans valider, sans justifier, mais qui comprend tout de même, au-delà du seul jugement moral habituel.