Le 11 Novembre est un jour de fête, en France. Non pas un jour de fête nationale mais un jour de fête nationaliste. C’est la date anniversaire de l’armistice mettant fin à la guerre de 14-18. On pourrait penser que c’est pour célébrer le retour à la Paix qu’on lieu des rassemblements autour des monuments aux morts, mais en fait c’est pour célébrer la victoire sur l’Allemagne et son alliée l’Autriche, qui avait été à l’origine de cette guerre dont la cause profonde était une rivalité dans une compétition impérialiste (d’où sa dimension « mondiale ») entre les puissances européennes auxquelles s’associeront les Etats Unis d’Amérique. Le traité de Versailles sera la concrétisation de la victoire des deux principales puissances coloniales comme en témoignent notamment le partage du Cameroun et le démantèlement de l’empire ottoman la mainmise sur les territoires arabes, notamment la Palestine. On sait comment Hitler utilisera le sentiment d’humiliation ressenti par les allemands : « L'Allemagne sur tous ». Le nationalisme totalitaire est une valeur.
Il se trouve que mon grand-père en 1914 était autrichien et il a donc fait la guerre dans l’armée autrichienne, dans le secrétariat de l’Etat Major, à Vienne, d’après ce que j’ai compris de ce que m’a dit mon père qui ne parlait guère de ses parents morts, déportés, à Auschwitz en 1943 après avoir été arrêtés par une police française complice de l’envahisseur allemand. Mon père, lui, à ce moment là combattait les allemands au sein de l’armée française. Vivant en France, marié à une française mais apatride à la suite des décrets de Nuremberg, il s’était engagé volontairement dans la Légion Etrangère, et même à deux reprises, en 39 lorsque l’armée française s’est battue contre l’armée allemande et en 42 lorsque, à la suite du débarquement américain au Maroc, l’armée française a rejoint de Gaulle. Je me souviens, enfant, avoir joué avec sa fourragère verte et rouge qu’il avait gardée en souvenir. Il aimait regarder, sur place puis à la télé, la Légion défiler le 14 juillet sur les Champs Elysées, et j’ai toujours respecté cet attachement à son histoire. Pourtant je me demande aussi pourquoi la commémoration de la Prise de la Bastille, qui peut être reconnue comme l’évènement initial de la Révolution Française, doit faire l’objet d’un défilé militaire. Lorsqu’Eva Joly, dans le cadre de sa campagne pour l’élection présidentielle avait exprimé le désir que ce défilé militaire soit remplacé par une manifestation civile, comme cela se fait dans certains pays, j’ai applaudi des deux mains. D’où vient la nécessité sociale de valoriser l’armée, sinon pour donner à la nation une dimension de valeur ? Et l’on sait où cela mène.
Mais soyons raisonnables. N’aura-t-on pas besoin d’une armée si nous étions attaqués ? Nous ne sommes plus au temps où l’on a vu disparaître le service militaire obligatoire pour les jeunes hommes. Le son des guerres, des guerres proches de chez-nous, se fait entendre. L’Ukraine est voisine de la Roumanie et de la Pologne qui font partie de l’Union Européenne. La Palestine-Israël, au carrefour des 3 continents, est aux portes de l’Europe. Comme beaucoup, je vis dans la crainte d’une nouvelle guerre mondiale. Mais, même avec mon âme de résistant et de militant, je dois reconnaître que je n’ai pas prise sur le partage du monde entre les puissants auquel on assiste actuellement. Certes, tout en étant profondément athée, je soutiens le mouvement antisioniste initié par l’Union des Juifs Français pour la Paix. Mais, comme mon maître Brassens et réformé dès le conseil de révision pour raison de santé au lendemain de la guerre d’Algérie, j’ai l’armée en horreur. Comme lui, lors du 11 novembre, je revendique que « celle que j’préfère, c’est celle de 14-18 ». Mais, que voulez-vous ? Ma première petite-amie était allemande et j’ai vécu 10 ans dans un village de la plaine de Caen où un allemand silésien, placé là comme prisonnier en 44, avait trouvé refuge. Alors je pense qu’on pourrait, enfin, mettre fin à la commémoration de la victoire de 1918, car, comme dit le poète : « Mourons pour des idées, mais de mort lente »