Diagram[me]s : entreprise d'encouragement

Autant qu’à la puissance de ses promoteurs et à l’enthousiasme de leurs partisans, l’extrême-droitisation du monde doit ses progrès à la lâcheté de quiconque s’en accommode. Objectera-t-on qu’il est injuste d’appeler lâches les myriades d’individus que tétanise le cynisme des potentats qui se partagent la planète et s’emploient à la dévaster ? Il est assurément compréhensible que la brutalisation en cours et la répression qu’encourent celles et ceux qui s’aventurent à y résister suscitent la frayeur et la réticence à s’exposer. Toutefois, ce ne sont ni la peur ni même la tentation d’y céder qui font de nous des pleutres, mais bien plutôt le déni dont elles sont l’objet.

Admettre qu’on n’ose pas s’élever contre la cruauté des gouvernants et l’impudence des milliardaires qui les entourent n’est pas encore faire preuve de couardise. Celle-ci se déclare lorsqu’on en vient à justifier sa propre inaction en arguant qu’il n’existe pas d’alternative, que la situation est trop confuse pour dicter un quelconque engagement ou, pis encore, que la gravité de l’heure ne doit pas être exagérée. À cet égard, nombre de politiciens modérés, d’experts raisonnables et de médiateurs impartiaux jouent un rôle décisif d’entrepreneurs de découragement, dans la mesure où, soucieux de ne pas compromettre leurs carrières, ils se donnent pour tâche de légitimer le renoncement, la circonspection ou la complaisance.

À l’inverse, les recherches et les enquêtes qui se confrontent à ce qui nous arrive et essaient d’en saisir les ressorts contribuent sinon à faire reculer la lâcheté du moins à entraver notre propension à nous y abandonner. À défaut d’être suffisant pour nous arracher à la résignation, acquérir une perception plus fine des facteurs et des enchaînements dont procède notre effroyable actualité semble nécessaire tant à la conjuration de la mauvaise foi et des forfaitures qu’elle autorise qu’à la formation des solidarités susceptibles de donner la force de résister. En outre, explorer et croiser les différentes dimensions de la catastrophe en cours aide à ne se tromper ni de combat ni d’époque.

Aussi est-ce du désir de contribuer modestement à une urgente entreprise d’encouragement qu’est né Diagram[me]s, média bilingue anglais/français. Toutes les trois semaines environ, le collectif à l’origine du projet propose de longs entretiens filmés avec des chercheurs, des journalistes et des activistes issus de plusieurs pays et dont le travail porte sur des domaines tels que :

• les mutations récentes du capitalisme financiarisé
• le renouvellement des formes de déni climatique
• les réalignements géopolitiques générés par la crise de la mondialisation d’après-guerre froide
• la configuration composite de l’internationale réactionnaire
• l’émergence de foyers de résistance à la convergence du néolibéralisme et de l’illibéralisme

Chaque entretien est accompagné d’un important dossier documentaire consacré aux personnages, concepts, institutions, mouvements et événements évoqués au cours de la conversation.

En libre accès depuis la fin du printemps, Diagram[me]s compte déjà plusieurs épisodes. Nos premiers invités sont :

• Eyal Weizman, architecte anglo-israélien

• Quinn Slobodian, historien canadien

• Melinda Cooper, sociologue australienne

• Thea Riofrancos, politiste étasunienne

• et Joe Lowndes, politiste étatsunien

Ils seront suivis par :

• Verónica Gago, philosophe argentine
• Ziad Majed, politiste franco-libanais
• Daniela Gabor, économiste roumaine
• Naomi Oreskes, historienne des sciences américaine

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