Spinoza, De la liberté de penser dans un Etat libre
Arendt, La politique a-t-elle encore un sens ?
Weil, Note sur la suppression générale des partis politiques
Carnets de L'Herne 2017, 6€50 pièce, 80 p environ.
3 petits livres pour 3 grands problèmes.
- La politique a-t-elle encore un sens ? (Arendt)
- Faut-il supprimer les partis politiques ? (Weil)
- Quelle est la place de la liberté de penser dans un Etat libre ? (Spinoza)
Non seulement la brièveté incite à aller droit aux réponses mais "l'actualité" (électorale ...) pourrait, prétexte, alimenter l'invite.
Pour H. Arendt, la politique est (inversion de la formule de Clausewitz) "finalement devenue une poursuite de la guerre dans laquelle les moyens de la ruse se sont provisoirement introduits à la place des moyens de la violence."
A axiomatiser l'intuition d'Arendt, la suppression des partis politiques selon S. Weil devient platement théorématique. Même si la philosophe concrètement engagée l'explique en 3 motifs :
"... On peut en énumérer trois :
Un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective.
Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres.
La première fin, et, en dernière analyse, et unique fin de tout parti politique est sa
propre croissance, et cela sans aucune limite.
Par ce triple caractère, tout parti est totalitaire en germe et en aspiration. S'il ne l'est pas en fait, c'est seulement parce que ceux qui l'entourent ne le sont pas moins que lui.
Ces trois caractères sont des vérités de fait évidentes à quiconque s' est approché de la vie
des partis.
Le troisième est un cas particulier d'un phénomène qui se produit partout où le collectif domine les êtres pensants. C est le retournement de la relation entre fin et moyen..."
De ces 3 caractéristiques, on pourra inférer que les partis politiques n'ont pas besoin, strictement, d'être liquidés du dehors. Contenant en eux-mêmes leur propre fin, ils s'effondrent sur eux-mêmes.
CQFD et CQLOPV (Ce Que L'On Peut Voir) en notre actualité brûlante ou en train de brûler.
Grande idée de S.Weil : l'esprit de parti, c'est la démission de l'esprit.
Et inversement.
Ainsi Spinoza.
Contre cette démission, le prince des philosophes avance la liberté de penser. Et Spinoza de citer Quinte-Curce : "il n'y a pas de moyens plus efficace que la superstition pour gouverner la multitude..."
Spinoza prolonge la surprise de La Boétie qui s'étonnait de "l'esprit" de soumission généralisée.
Ce que à quoi Spinoza aspire, on le sait, c'est à simplement un peu de démocratie qui permette aux esprits d'être libres. Simplement. C'est peu et c'est tout.
Et les esprits démocrates authentiques, i.e libres, promeuvent la contradiction possible, le débat, et ne craignent pas le dissensus. On comprend que l'esprit totalitaire les craignent à leur tour, les accusent d'hérésie, de déviations diverses voire perverses et ourdissent (et suggèrent...) des complots (réels au dehors / imaginaires au dedans...), brandissant les étendards de grosses transcendances démagogiques, soufflant sur les braises des bûchers purificateurs.
Qu'est-ce qu'un Etat libre n'est pas une question spinoziste. Pour lui, la liberté est le but et la fin de l'Etat. Concrètement, l'Etat ne devient libre que si la liberté de penser est possible et permise. Et plus la liberté de penser est possible, plus l'Etat sera libre.
On comprend dès lors aisément la mise à distance de tout communautarisme, de toute religion, de tout parti politique et autres affaires privées de même farine.
"Moins on accorde aux hommes la liberté de pensée, plus on s'écarte de l'état qui lui est le plus naturel, et plus par conséquent le gouvernement devient violent." (Spinoza)
Exprimer librement sa pensée n'est ni imposer un système de pensée(s) ni être imposé par un système de pensée(s). C'est plutôt - exigence inouïe - tenter de se hisser vers la pensée de multiplicités de pensées possibles. La tolérance en découle. Elle n'empêche pas la résistance (tri sélectif ?) à l'Opinion, aux Opinions sur rue, en instituts de sondage et en réseaux sociaux, qui inondent désormais notre monde orwellien.
Ces 3 grandes questions prennent une autre tournure :
- Le sens de la politique ? Ou comment vivre ensemble aujourd'hui.
- A quoi bon supprimer les partis politiques ? Ou comment ils aiment leur propre mort.
- La place de la liberté de penser ? Ou comment elle se réduit à zone de résistance.
3 petits livres de 3 grands esprits libres, pour éviter les principales pollutions, ces bruits articulés, assourdissants et inaudibles, qui nous assaillent.