Les paradoxes de la postérité
Benjamin Hoffmann
2019 Editions de Minuit
243p, 29€
De qui se souvient-on ? De ses proches, de ceux que l’on a croisés. Dans le meilleur des cas. Pour le meilleur ou pour le pire. Chacun ses panthéons. Chacun ses enfers. Parfois les uns croisent les autres, en compensation ou contamination.
Plus précisément, que reste-t-il ( de nos amours ) des êtres morts que l’on a connus ? Chacun ses réponses.
Encore plus précisément : que reste-il de nos lectures et de nos non-lectures ?
Encore plus plus précisément : de quelle oeuvre passée, de quel auteur ( mort ) se souvient-on ?
Encore plus plus plus précisément : qu’est-ce qui fait que telle oeuvre, tel titre, tel auteur, telle autrice passe à la postérité ? et de quelle postérité s’agit-il ?
Ainsi la problématique - posée par Benjamin Hoffmann - semble-t-elle s’incrire dans une série de sorites dont les suites ici sont classées en trois groupes et trois sous-groupes… ( mais c’est c’est doute par commodité et clarté de présentation et de lecture ).
Neuf séries séries de paradoxes dans une collection paradoxale mais déjà légendaire pour les lecteurs de Minuit. Elle s’honore de Deleuze et Rosset, de Lapoujade et Grossman, de Didi-Hubermann et Szendy, de Marx et Hamel… pardon pour les autres, faut bien stopper les séries sinon c’est chiant et je ne souhaite pas les refiler aux oubliettes de la postérité - en serais-je capable ? - Non.
L’organisation des ces séries limitées ( par nécessité mais proliférantes ) tient dans une table des matières que je ne vais quand même pas recopier pour la cause littéraire. On y rencontrera ( avec des rengaines et sur des rythmes enjoués ) : Diderot, Casanova, Sartre, Molière, Bouddha, Rousseau, Champollion, Chateaubriand, Orwell …Ouf, ça fait neuf.
Les paradoxes de la croyance, de l’identité et de la médiation ne sont pas épuisés pour autant. C’est un des multiples aspects positifs de ce travail passionnant et éclairant. Certains y verront une faiblesse. Nous y détectons une oeuvre ouverte qu’un Eco n’aurait pas manqué de lire tant il lisait.
En effet, à quoi bon écrire ? A quoi bon écrire quand la majorité des oeuvres sombrent dans l’oubli ? Question de temps. A quoi bon écrire encore après avoir lu un splendide essai sur les paradoxes de la postérité ? Et cette question ne concerne pas seulement les écrivains ou les écrivant(e)s. L’essai peut très bien s’appliquer à la peinture, à la musique, à la philosophie ou à la science. A quoi bon lire à la fin ? A quoi bon faire de la philosophie, de la science ou de l’art ?
C’est là la limite absurde, paradoxale et, au fond, très kantienne. Inutile et incertain d’aborder ces rivages absurdes ou paradoxaux. Il faut vivre. Il faut lire. Il faut écrire. Il faut créer. Il faut se divertir. Par delà l’absurde et le paradoxal. Par delà la mort et les maladies.
Et rire. Rire de tous nos désirs d’éternité. Avec ou contre Ferdinand Alquié, passé dans une postérité confidentielle, précaire et provisoire, telle que nous, telle que vous. Tel est le fond mis en forme, à la surface d’une chronique sitôt lue sitôt oubliée.
Ce qui reste, c’est ce qui dure un peu plus longtemps. A peine plus.
Didier Bazy