Il est décidément des ornières creusées de longue date dont nous ne parviendrons pas à sortir. L’exemple le plus frappant en est actuellement le « grand Paris express », monstrueux projet hérité de l’ère sarkosiste.
Insuffisants avant d’être achevés
Dans la droite ligne des vues pharaoniques chères à notre ancien président, il s’agit de rien moins que d’une ligne de métro ultra moderne ceinturant Paris sur 200km dont le coût estimé s’élève, pour l’instant, à 20,5 milliards d’euros, financé par l’emprunt pour les trois quarts. A ne pas confondre avec le plan de modernisation des RER et métros existants qui s’y ajoute et dont la note s’élèvera à 12 milliards d’euros, là encore selon des estimations susceptibles d’avoir à supporter de sérieux dérapages.
On sait très bien, pour l’avoir souvent vécu, que ce genre d’équipements prestigieux ne sera pas encore achevé qu’il s’avèrera insuffisant et que des voix s’élèveront pour réclamer plus encore. Les emprunts contractés ne s’en seront pas moins ajoutés à la dette faramineuse qui mine notre économie. Le paiement des seuls intérêts continuera de donner prétextes aux mesures d’austérité, avouées ou non, qui l’étranglent.
Curieusement, dans ses dernières pages, le volumineux document émis en juillet par la Société du Grand Paris (SGP), maître d’ouvrage du projet, passe du mode indicatif au conditionnel le plus prudent pour estimer que le développement économique induit « pourrait » créer « entre 140.000 et 380.000 emplois d’ici à 2035. » Difficile d’être plus flou… Quels emplois ? A quoi correspondent ces chiffres ? Pourquoi une fourchette d’une telle ampleur ?…
La loi inique du néolibéralisme
On est là très exactement dans le schéma ultralibéral fort bien décrit par le philosophe Michel Feher le 28 juillet dernier, sur le site Mediapart. Pour faire oublier la course effrénée à l’endettement et à la surenchère des marchés financiers, on s’empresse de rassurer. On agite le leurre de la création d’une poignée d’emplois dont nul ne sait s’ils existeront vraiment et surtout à quels régimes de « souplesse » ils seront soumis pour rassurer les investisseurs. C’est, selon Michel Feher, « le paradigme de la protection » auquel il voudrait que la gauche substitue « la notion de compétition. »
Telles que vont les choses, il ne semble pas que ce soit cette fois-ci, autour de ce délirant projet de métro et d’extension débridée de la mégalopole parisienne, qu’il sera entendu… On voit mal les « investissements alternatifs » qu’il appelle de ses vœux s’intéresser à un tel monstre.
On sait par ailleurs qu’il serait vain de compter sur une hypothétique relocalisation des entreprises qu’on a laissé partir aux quatre vents des pays aux coûts salariaux les plus bas, pour répondre à l’urgent besoin de réindustrialisation de notre économie. Et ce n’est pas en se résignant une fois pour toutes à la dictature inique du crédit imposée par les marchés financiers qu’on pourra espérer voir émerger les nouvelles entreprises qui en feront la trame. On sait bien que, dans les premiers temps de leur vie et jusqu’à ce qu’elles aient atteint une certaine taille, elles resteront livrées pieds et poings liés au cynisme de la spéculation.
Ouvrir la voie à l’économie alternative
Les « investissements alternatifs » que Michel Feher appelle de ses vœux apparaissent dès lors comme une intéressante proposition de seconde voie permettant de ne pas céder à la résignation et de contrebalancer l’exorbitant pouvoir actuel des marchés financiers.
Pourquoi pas ? Certes l’économie alternative, si elle existe chez nous, n’a jamais débordé d’un stade assez marginal. Les banques, au pouvoir spéculatif desquelles elle échappe, y ont veillé. Mais qu’est-elle après tout si ce n’est une forme de retour aux origines où les capitaux étaient mobilisés autour d’un projet précis et leur rendement soumis aux variations des résultats de celui-ci ? On n’est pas loin de l’idée de la « tontine » dont on sait les grandes réussites qu’elle a induit chez les asiatiques qui la pratiquent, sans qu’ils aient eu besoin d’aller frapper aux portes des banques et donc sans qu’ils aient eu à se soumettre à la dictature du marché financier.
Quelques incitations administratives affranchissant ces placements alternatifs de l’abusive férule bancaire et concernant tant l’épargne que les entreprises, suffiraient à nous sortir de la logique unique de la financiarisation totalement toxique pour les petites entreprises. Mais ces mesures pourraient utilement se compléter d’une réflexion sur la localisation de ce nouveau tissu industriel dont tout le monde souhaite l’émergence.
Serait-il judicieux de le surajouter aux concentrations urbaines déjà existantes ? On retrouve ici les investissements monstrueux réclamés par l’équipement en moyens de transports de la région parisienne totalement asphyxiée par son développement exponentiel, alors que d’immenses parties du territoire national sont laissées à l’abandon.
Les campagnes regorgent de projets
Sous prétexte qu’en ces temps de restrictions, on ne peut pas simultanément satisfaire la politique de la ville et entretenir ces espaces ruraux, on y sacrifie les infrastructures, tant en services publiques qu’en routes, transports en commun, etc. Or, au désir récurent d’innombrables jeunes de s’installer à la campagne correspondent à peu près autant de projets de créations d’activités. Entreprises souvent minuscules, mais toujours innovantes, très souvent inspirées par les nouvelles technologies, parmi lesquelles se trouvent, pourvu qu’on leur en laisse la chance, celles qui seront les leaders de demain.
Pour admettre l’idée que l’espace rural peut être la « nouvelle frontière » à la conquête de laquelle lancer ces nouveaux entrepreneurs qui redoreront le blason de notre économie, il faut d’abord faire table rase de vieux préjugés. Cette nouvelle industrie que tout le monde appelle de ses vœux n’a que faire des « zones industrielles » ou « d’activités » chères aux années soixante, ni même de quelque concentration urbaine que ce soit. Le temps n’est plus des énormes réservoirs de main-d’œuvre et de moyens de communications routiers ou ferroviaires pour la disposition desquels on était disposé à payer le prix fort.
Les zones rurales sont plus attractives
Il est bien plus important, aujourd’hui, de disposer d’une liaison Internet efficace que d’un embranchement SNCF dont n’auraient que faire la plupart de ces nouvelles activités. Moins chères, plus souples, plus généreuses en place disponible, les zones rurales apparaissent tout naturellement plus attractives pour ces entreprises d’un nouveau genre. Sans préjudice d’une qualité de vie incomparable.
Pour contrebalancer l’exorbitant pouvoir du marché débridé instauré par la pensée néolibérale, l’économie alternative apparaît, pourvu qu’on s’en donne les moyens, comme un outil très intéressant. Par manque de visibilité, il risque pourtant de ne pas apparaître avant longtemps comme un véritable choix offert aux investisseurs. L’associer à un but de revitalisation du territoire rural serait la démarquer dès le départ du système financier actuel et lui assigner une véritable mission susceptible de motiver les détenteurs de capitaux moins soucieux de spéculation que de placements.
A travers la Caisse des dépôts et consignations et quelques-unes de ses filiales, dans le cadre de la banque d’investissement actuellement en projet, la France dispose des moyens d’initier une telle entreprise. Ce n’est évidemment pas elle qui aura raison du néolibéralisme et de ses dérives catastrophiques, mais il aura cessé, dans une telle occurrence, de détenir dans sa seule main tous les cordons du pouvoir financier. Il faudra bien qu’il en tienne compte.
Didier Cornaille