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Billet de blog 6 août 2013

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Piscine, tourbillons et baïnes

Nager dans une piscine animée d'un tourbillon, même si ça n'est pas un maelström ça avantage dans un sens, dans l'autre, ça revient au même sur un aller-retour, ça gêne ceux des lignes de droite et ça avantage ceux des lignes de gauche ?

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Nager dans une piscine animée d'un tourbillon, même si ça n'est pas un maelström ça avantage dans un sens, dans l'autre, ça revient au même sur un aller-retour, ça gêne ceux des lignes de droite et ça avantage ceux des lignes de gauche ?

Suite aux championnats du Monde de Barcelone où Myrtha pools a eu l'idée peu lumineuse de coordonner ses turbines pour placer les nageurs dans ce qui n'est certes pas un fouet à mayonnaise mais n'est pas non plus l'eau calme et immobile qu'on attend d'un bassin impartial, des voix se sont élevées pour demander d'arrêter les turbines (Lionel Horter, Fabrice Pellerin avait demandé un peu avant sans beaucoup être entendu qu'on arrête de jeter les meilleurs nageurs par-dessus les océans avec la bénédiction de la fédé) et même d'autres voix qu'on n'attendait pas dans ce domaine pour se lancer dans leur vice favori de programmation ou de critique de l'ordre établi, avec quelques pages de code et des calculs ou des remarques pertinentes : le dieu Python semble confirmer qu'en tournant en rond dans un rectangle, l'eau aurait bien pu empêcher les nageurs de s'affronter aussi loyalement qu'on aurait pu l'espérer d'un championnat du Monde.
Mais la question qui tue c'est "courant dans un sens à l'aller, dans l'autre au retour, ça ne change rien, non?", à laquelle un courageux intervenant a tenté de réagir, parce que la sagesse populaire, c'est comme la poussière dans les lames de parquet, faut se lever tôt pour en venir à bout.

Le rêve de Gaston
Certes Gaston Lagaffe peut dormir une heure et rêver de faire tout le boulot deux fois plus vite dans la deuxième heure. S'il y arrive il aura effectivement obtenu le même résultat: deux unités de travail dans deux unités de temps, zéro plus deux divisé par deux ça fait bien un tout rond, il a mérité son salaire (si si il paraît qu'il y a encore des gens qui ont un salaire de nos jours!). Dans ce cas un ralentissement de 100% suivi d'une accélération d'autant (l'effet du vent?) donne bien le même résultat final au numérateur, mais il n'y a aucun rapport entre un nageur de compétition et Gaston Lagaffe, n'est-ce-pas?
Il se trouve que les nageurs ne cherchent ni l'heure de travail ni les longueurs (encore que quand on en voit faire 15 km par jour on se demande si quelqu'un ne leur aurait pas fait croire ?) mais bien le temps. Et pour faire un temps, il ne suffit pas de faire la longueur, il faut aussi aller vite.
Le vice de la chose c'est que si chacun connaît la définition de la vitesse : distance divisée par le temps, les règles mathématiques sont formelles, ça implique que le temps c'est la longueur divisée par la vitesse qui se retrouve au dénominateur.
v = d/t  =>  t = d/v

Diviser pour faire régner l'or
Or la division a de fâcheuses habitudes, par exemple elle n'est pas commutative. C'est une grosse surprise des élèves vers la cinquième quand on essaie de leur inculquer des notions comme la masse volumique, alors qu'ils savent bien que deux gâteaux divisés par trois gourmands ça n'a rien à voir avec trois cookies partagés par deux goinfres.
De plus et c'est plus subtil, les ajouts ou soustractions au numérateur et au dénominateur n'obéissent pas à l'intuition commune mais à des règles aussi mathématiques qu'implacables.
L'histoire de l'offre de la TVA au client est célèbre parce tout le monde sait qu'elle est de 19,6% (oubliez-le tout de suite, ça va changer bientôt), mais que peu se rappellent que c'est sur le prix hors taxes.
Donc si votre concessionnaire préféré vous propose de vous offrir la TVA, demandez-lui donc plutôt une remise de 18% (qui elle s'entend toujours sur le prix total), s'il ne va pas demander à son chef confirmation, vous ferez une affaire.
Démonstration : votre voiture vaut 1000 EUR (on peut rêver, faire des maths ça aide certains), ça fait un prix TTC de 1196 EUR.
Si le concessionnaire vous offre la TVA, vous payez 1000 EUR, les meilleures arnaques sont toujours les plus simples. Si vous obtenez une remise de 18%, vous payez 82% de 1196, soit 9807,20, "à vos cassettes" disait le cinglé Averty, vous pouvez remplacer par une calculette pour la vérification et vous me devez pas loin de 100 EUR si on partage le bénéfice.
Donc une remise de 18% c'est bien mieux que de ne pas payer une augmentation de 19,6% mais vous aurez bien du mal à le caser dans un dîner en ville, parlez plutôt de la différence entre le diligere d'Augustin d'Hippone et le amare commun pour dire aimer en latin, ou du dernier épisode de Plus belle la vie, c'est un peu la même chose mais il faut s'adapter à l'auditoire.
Et quel rapport avec nos nageurs jamais sur le podium en ligne 1 et bien trop souvent dorés en ligne 6, 7 ou 8 ? C'est en fait la même chose, on ajoute ou on soustrait des vitesses, mais c'est au dénominateur du calcul qui donne le chrono de la piscine dont la longueur est invariable. Tant pis pour ceux qui auraient lu Lorentz ou Einstein, c'est pas demain que les effets relativistes même restreints perturberont les mètres de la FINA (et Cornel pourra continuer à en discuter en roumain avec Roxana).

Calcul et équations
Prenons donc la vitesse du nageur, comme on est sympa on leur mettra un grand V comme celui de la victoire, et un petit v pour la vitesse du courant, moins considérable et surtout beaucoup moins susceptible.
Pour un Florent ou une Camille dans l'eau les rapports sont évidents, on sait tout de suite qui c'est qui gagne.
Pour une Marie-Chantal ou un Gaston dans une baïne le rapport des vitesses peut être très différent, les calculs restent les mêmes et démontrent dans les deux cas que le courant c'est mal, surtout dans l'eau, comme aurait dit Claude François, mais ça fait bien plus mal à ceux qui sont capables de 0,5 m/s sur une longueur (courant chez les "nageurs" du public de piscine) qu'à ceux qui tiennent deux fois plus vite et dix fois plus longtemps, sans parler des champions de Barcelone..
À l'aller contre le courant :
ta = L / (V - v)
avec L longueur de la piscine (grand bain à Barcelone = 50 m)
au retour avec le courant :
tr = L / (V + v)
total L / (V - v) + L / (V + v)
Avec v = 0 qu'on serait en droit d'espérer (c'est pas pour ça qu'on fait les compéts en piscine et pas dans les rivières ?) les deux temps sont égaux, mais statistiquement Barcelone n'a pas de chance d'où j'en déduis que v n'est pas nul, contrairement à l'argument de la bouteille à la surface de la piscine qui nous est servi précisément par les mêmes qui nous vantent les fonds plats de 3 mètres de profondeur pour expliquer l'excellence des performances des nageurs.
Donc quand ils font de bons temps c'est parce que l'ensemble des trois mètres de profondeur de nos superbes installations contribuent à les porter vers la victoire et quand on chicane pour des turbines c'est juste les 10 cm de la surface qu'on teste pour voir que ça ne devrait rien changer?
Comme rien ne vaut une démonstration chiffrée et sans sortir les graphiques de Langlet à la télé (j'aime bien ceux de ipython.org ci-dessus), voyons comment ça se passe avec un calcul numérique (ça se disait Cul-Nu en prépa je trouve que ça va bien avec les piscines, surtout à Georges Vallerey).
L = 50 m là vous avez compris c'est le règlement
V = 2 en unités SI, soit mètres par seconde, je sais que Florent fait mieux sur 50 (21 à 22 secondes aux 50) mais si j'enlève le plongeon on n'est pas si loin et Camille sur 400m fait moins bien (60 secondes au 100)
v = 0,2 c'est pas 20 cm qui vont vous faire peur les filles, même si une seconde c'est plus inquiétant ?
Je trouve donc (à vos cassettes de music-hall !)
ta = 50 / (2 - 0,2) = 27,77
tr = 50 / (2 + 0,2) = 22,73
Total 50,50
mais même Gaston aurait vu que pour faire un aller-retour de 50 m à une vitesse de 2 mètres par seconde il suffit de 50 secondes tout rond. Le courant au retour ne compense pas totalement ce qu'on a perdu à l'aller, sur 10 pour cent perdus il n'en comble que 9.
Donc on peut voler cinquante centièmes à nos nageurs sur l'aller-retour avec un courant dix fois moins rapide qu'eux, et on continue de chronométrer au centième et à disqualifier un relais qui se gourre de 4 au lieu de trois, vous êtes sûr que tout va bien dans les règles de la FINA ?
Pour les relais les chauvins peuvent oublier : les françaises n'ont pas accédé à la finale mais les français ont gagné l'or en ayant mérité l'argent, le courant dans un sens et dans l'autre est même plutôt orienté vers le coq gaulois sur ce coup-là.

La revanche d'Audiard à la limite
Mais pour finir voyons un cas plus limite où Florent, Yannick, Fabien ou autre Jérémy se prendrait pour Gaston: si v = V, un courant aussi rapide que le nageur?
Grave problème dit ma calculette: pas moyen de faire le premier calcul. Mais ça Audiard l'avait déjà dit sans parler d'infini comme Einstein: un con qui marche (Lino Ventura, rappelez-vous le taxi) va toujours plus vite que deux intellectuels assis, le nageur n'arrive tout simplement jamais au bout de la première longueur, donc plus la peine de parler de la deuxième, hors course il est en piscine, bien pire en mer.
Ceci démontre que quand on perd au dénominateur, on peut ne jamais le rattraper, et les nageurs des mois d'été feraient bien d'étudier leur vitesse par rapport à celle du courant des baïnes : Gaston ou les intellectuels assis sont toujours au moins assurés de garder leur position à défaut de leur place.

Reste à traiter le problème
Donc il y a un problème évident au 50 m où les lignes 1, 2 et 3 nagent à contre-courant quand les lignes 6, 7 et 8 nagent avec le courant, un écart même faible de courant signe la victoire ou le fond du classement :
50 / 2,35 = 21,28 (pas si loin du temps de la médaille d'or nage libre)
50 / 2.25 = 22,22 (pas loin du dernier temps de la finale)
avec un courant de cinq centimètres par seconde, l'effet est direct et évident, de premier ordre mathématiquement
Mais il y aussi un problème moins évident mais démontrable (de deuxième ordre diront les matheux) comme exposé ci-dessus:
les lignes 4 et 5 qui ont le moins de courant et qui reçoivent aussi les meilleurs nageurs ou au moins ceux qui ont fait les meilleurs temps de qualification sont avantagées, non seulement par moins de vagues comme dans tous les bassins (et ça fait partie du règlement) mais aussi dans celui de Barcelone par un courant qui les avantage sur toutes les épreuves et apparemment d'autant plus que la ligne est éloignée du centre (1 et 8 ayant l'effet maximal).

Références et sources
Données brutes Omegatiming:
www.omegatiming.com/File/Download?id=00010D020101001902FFFFFFFFFFFF02
L'article du blog natation Le Monde qui lève le lièvre:
http://natation.blog.lemonde.fr/2013/08/04/un-tourbillon-au-coeur-de-la-piscine-des-mondiaux/
Linuxfr:
https://linuxfr.org/users/patrick_g/journaux/le-tourbillon-mysterieux-des-mondiaux-de-natation
Calculs et code en Python avec jolis graphiques:
http://nbviewer.ipython.org/6151106/1500_women_free.ipynb
France Info sans plus d'info pour autant:
http://www.franceinfo.fr/natation/divers-des-courses-faussees-a-barcelone-1095021-2013-08-05

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