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Billet de blog 14 janvier 2019

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Le Gabon malade de la Françafrique

Le Gabon, comme tous les états nés de la pseudo décolonisation à la française souffre d'une maladie congénitale: le syndrome françafricain.

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   Ces états artificiels dont les frontières ont été le plus souvent tracées d'un trait de plume sur une carte d'état-major ne doivent leur existence qu'à la fantaisie de leurs colonisateurs. Ils n'ont aucune autre légitimité ethnique ou politique et ils peinent à vouloir imposer une "identité nationale" factice calquée sur le jacobinisme français quand leur seule voie d'avenir serait de se tourner vers le fédéralisme.(°) Quant à leur supposée souveraineté internationale, elle aussi est factice. La décolonisation gaulliste est un génial tour de passe-passe qui permet à "La-Patrie-des-Droits-de-l'Homme" de continuer à exploiter les richesses des pays soumis tout en n'ayant aucune charge à assumer vis à vis des populations autochtones. Ces dernières en sont réduites à essayer de survivre dans la misère tandis que les richesses de leurs terres participe à notre relative prospérité; elles sont livrées pieds et poings liés au bon plaisir de gérants agréés par la tutelle lutécienne et bénéficiant d'une carte blanche concernant leur gouvernance tant qu'ils garantissent les intérêts économiques et stratégiques de l'ex puissance coloniale. Mais malheur au président africain qui prendrait au sérieux sa prétendue indépendance et montrerait des velléités d'émancipation,  n'est-ce pas M. Gbagbo ? Cette politique permet aussi à la France de conforter ses illusions de "Grandeur" en bénéficiant d'un poids supérieur à son rang réel dans les instances internationales grâce aux états-vassaux qu'elle contrôle. Quand au  mythe de la " Francophonie" sur lequel se base notre "rayonnement culturel" , il ne s'agit ni plus ni moins que de colonialisme linguistique...

    Ainsi, l'accession à la "l'indépendance nationale" du Gabon en 1960 n'a apporté aucun remède à ce scandale d'un pays riche dont les habitants sont condamnés à la précarité par un système opaque  imposé de l'extérieur. Ce n'est pas l'arrivée au pouvoir d'Ali Bongo, après les 42 ans de règne de son père Omar qui a arrangé les choses, au contraire.Vincent Hugeux écrit sur le site de l'Express ce que tous les responsables politiques français savent pertinemment  mais feignent d'ignorer: "(...) Ali Bongo occupe la magistrature suprême depuis près d'une décennie sans jamais avoir été élu. Tout indique qu'en 2009, il fut proclamé vainqueur au mépris de la vérité des chiffres. Quant à sa 'réélection' en août 2016, elle résultera d'une fraude arithmétique d'anthologie, perpétrée dans la province du Haut-Ogooué, fief familial".  Sa volonté affichée de rupture avec la politique paternelle et ses promesses de faire du Gabon un "pays émergent" sont restées lettre morte et les conditions de vie de la majorité des citoyens gabonais se sont encore détériorées.

   Le malaise prend une nouvelle tournure avec l'absence prolongée du "distingué camarade" depuis le 24 octobre dernier: victime d'un malaise lors de sa participation au "Davos du désert" il doit être hospitalisé à Ryad avant d'être accueilli au Maroc par son ami Mohamed VI .( Étonnamment personne n'a eu l'idée de le faire profiter d'un de ces établissement hospitaliers de "classe internationale" dont il se vantait d'avoir doté son pays.) Le gouvernement gabonais n'a pas daigné informer la population sur l'état de santé réel de son président, évoquant un jour une "fatigue légère" puis une "fatigue sévère" avant d'avouer "des saignements" inquiétants...Il faudra attendre une enquête du journal le Monde pour apprendre qu'il s'agirait en fait d'un AVC. Cette opacité a alimenté le "kongossa" (°°) laissant le champ libre aux plus folles rumeurs sur fond de querelles intestines au sein du clan Bongo qui fait tout son possible pour empêcher la vacance du pouvoir d'être prononcée, ce qui amènerait la présidente du Sénat, Mme Lucie Milebou-Aubusson, à assurer l'intérim; or, Mme Milebou-Aubusson est apparentée à Jean Ping, le véritable vainqueur du scrutin de 2016. La contestée présidente de la cour constitutionnelle, Mme Marie Madeleine Mborantsuo est à la manœuvre: elle bricole illégalement la constitution pour permettre  au vice-président et au premier ministre de remplacer le chef de l'état empêché . En même temps on sert au peuple la fable d'un président en voie de guérison tenant fermement la barre depuis son grabat marocain. Deux courtes  vidéos muettes ne parviennent pas à  rassurer ceux qui doutent de ses capacités à gouverner. La mise en scène du 31 décembre pour les traditionnels vœux de nouvel an ne fait qu'accentuer les doutes; les gabonais découvrent un Ali Bongo fantomatique, amaigri, les yeux vides et le regard étrangement fixe, sans aucun battement de paupières, souffrant manifestement d'une hémiplégie droite, et éprouvant de la difficulté à ânonner un discours de 2 minutes d'une voix pâteuse et en butant sur les mots.L'auteur facétieux de ce texte lui faisait promettre son prochain retour afin de continuer "à mettre toute (s)on énergie et toutes (s)es forces (...) à l'amélioration de nos conditions de vie au quotidien." Au vu de son bilan il y a plutôt de quoi s'inquiéter...Cette apparition pathétique d'un malade transformé en marionnette par son entourage n'a fait que relancer les conjectures.

C'est dans ces circonstances que se sont déroulés les événements du lundi 07 janvier qui , pour l'instant, suscitent plus d'interrogations que de certitudes. Les dirigeants gabonais parlent d'une tentative de coup d'état ce qui est démenti par les faits. Ce qui est avéré, c'est l'occupation vers 4 heures du matin de la maison de la radio par un quarteron de  jeunes militaires de la garde républicaine emmené par le lieutenant Kelly Ondo Obiang, commandant de la garde d'honneur. Cet officier entouré de deux de ses camarades a lu une proclamation à l'antenne faisant part de sa volonté de rendre sa dignité au peuple gabonais, de " sauver la démocratie" et de "mettre en déroute toutes les manœuvres en cours visant à la confiscation du pouvoir par ceux qui dans la nuit du 31 août 2016 ont lâchement fait assassiner nos jeunes compatriotes avec le soutien des institutions illégitimes et illégales." Il faut savoir que ce jeune homme était sous les ordres direct de Frédéric Bongo, frère d'Ali: on peut se demander s'il n'a pas eu  connaissance de projets factieux qu'il a cru pouvoir empêcher ? En tout cas il n'a jamais parlé d'une prise de pouvoir, au contraire son souci était de réunir les forces vives du Gabon pour lancer une sorte de "grand débat national" et la mise en place d' un "comité de restauration" chargé de conduire le pays sur la voie d'une véritable démocratie. Plus que d'un putsch il  s'agissait donc d'une tentative désespérée  destinée à créer un choc psychologique dans l'opinion de la part de jeunes gens conscients de la situation intolérable  faite à leur peuple. Pour cela ils méritent le respect.

D'autres aspects  de cet évènement  sont à éclaircir:

- à 8h46, le site internet de  RFI publiait une information urgente:"Au Gabon, une source proche de la présidence affirme que tous les points stratégiques sont sous contrôle ainsi que les abords de la radio. Toujours selon cette source, les militaires ne veulent pas utiliser la force contre ceux qui ont pris le contrôle de la radio  (...)" Cette dernière phrase indique t-elle que les rebelles bénéficiaient d'une certaine sympathie parmi les autres militaires et donc que le pouvoir n'est pas assuré du soutien entier de son armée?

-les autorités   ont qualifié  de "plaisantins" ces jeunes gens  courageux qui ont mis leur vie au service d'un idéal démocratique. Était-il vraiment nécessaire  de tuer deux d'entre eux s'il ne s'agissait que d'une plaisanterie ? N'était-il pas possible de les arrêter sans effusion de sang? Et s'il est vrai que les militaires gabonais refusaient d'utiliser la force contre leurs camarades, qui est responsable de ces morts? On parle sur les réseaux sociaux de la présence de "blancs" sous uniformes gabonais; le Maroc a nié toute implication dans cette affaire, faut-il en conclure que ce sont des français qui ont fait ce "sale boulot"?

-Le silence du Président Ali Bongo devient assourdissant . S'il va vraiment aussi bien que le prétendent ses partisans, comment se fait-il que huit jours après ce qui nous est présenté comme une tentative de coup d'état dirigé contre lui il n'ait encore eu aucune réaction alors qu'il  est censé avoir signé  dans la nuit de vendredi à samedi (à l'heure des fantômes ?) un décret nommant un nouveau premier ministre  et un autre  la nuit suivante  pour la nomination des ministres? A-t-on déjà vu un chef suprême des armées ne pas réagir à une tentative de putsch?

 La tutelle française, elle, a réagi par la voix de M. Le Drian en condamnant "toute tentative de changement de régime extra-constitutionnel" et en affirmant que "la stabilité du Gabon ne peut être assurée que dans le strict respect des dispositions de sa constitution"(sic). Une fois de plus M. Le Drian fait dans la blagologie. S'il avait pris la peine de lire la constitution gabonaise il saurait que le peuple gabonais ne bénéficie d'aucune des protections que cette constitution  est censée lui assurer. Que n'a-t-il eu la même réaction lors des fraudes électorales de 2009 et de 2016 et des actes criminels qui s'en sont suivis? Il est vrai que ces crimes ont probablement été commis à l'aide d'armes vendues par la France ce qui ne peut que réjouir ce zélé commis voyageur des Industries de la Mort qui a depuis longtemps rejeté son humanisme socialiste pour se faire le serviteur de la déraison d'état. Comment peut-on se prétendre progressiste et assumer ce côté obscur de la république française que constitue sa politique africaine? M. le Drian aspire à terminer sa carrière dans le fauteuil  moelleux de président du conseil régional de Bretagne. Il ne devrait pas oublier que l'anticolonialisme fait partie de l'ADN de la gauche bretonne . Gageons que cette dernière, solidaire des peuples en lutte pour leur dignité, ne laissera  pas un  triste valet de la Françafrique venir jouer les petits ducs de Bretagne...

(°) c'est la voie proposée par un des opposants les plus respectables du Gabon: M. Luc Bengone Nsi fondateur du MORENA, mais dont la parole est hélas trop rare.

(°°) commérages

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