Bienvenue à toutes et à tous
S comme Samuel. Le lundi 31 août 2009, , il y a 5 ans déjà, je tenais une chronique sur la rentrée de Samuel. Samuel comme des millions d'enfants entrait pour la première fois dans une école, au Cours Préparatoire. C'est toujours un évènement cette première fois. Pour les parents et pour les enfants. L’angoisse des mamans (bien sûr les papas travaillent, eux !) l'angoisse est dense et visible sur les trottoirs des établissements scolaires au moment de ce grand moment, le moment de la séparation. Ce que les enfants apprennent d’abord lorsqu’ils vont à l’école pour la première fois, c’est que pour exister pleinement, devenir autonome, il faut apprendre à se séparer de ceux à qui on est attaché. Quelques larmes, un sourire crispé, le geste d’une petite main levée et voilà qu’on passe d’un monde à un autre. On est devenu un peu plus grand.
Samuel a cinq ans et demi, il entre en CP. C’est un petit garçon intelligent et affectueux. Samuel est handicapé. On est tous handicapés mais son handicap à lui est bien visible. Il le porte sur lui. Il marche avec difficulté mais va où il a envie d’aller, il s’exprime aussi avec difficulté mais sait se faire comprendre. Ses sourires arrivent presque à faire oublier son handicap. Avec lui, on saisit mieux ce qu’est un geste, ce que c’est que porter une cuillère à la bouche, d’aller d’un point à un autre, en somme, ce que c’est que d’être avec un corps qui toujours nous rappelle à l'ordre et nous empêche de désirer en rond.
Aujourd'hui, Samuel à 11 ans. Il entre en sixième. Il a grandi, non sans difficultés. Lorsqu'on est handicapé, en grandissant, on apprend comme les autres enfants beaucoup de choses passionnantes mais on apprend aussi à renoncer à ses rêves, à changer ses désirs pour se plier à l'ordre du monde.
En grandissant, on apprend aussi la cruauté de ce qu'on appelle « le milieu ordinaire », le milieu où certains adultes bornés – ou mort-nés - rendent l'administration des choses et des êtres tatillonne et tracassière. On ne compte pas les bâtons mis dans les jambes déjà bien fragiles de Samuel pour l'empêcher de s'intégrer, de s'insérer dans ce milieu pas si ordinaire. A son entrée en CP, ce fut une rallonge électrique indispensable à l'usage d'un ordinateur qui lui fut d'abord refusée car jugée trop menaçante pour le reste de la classe. Pour cette entrée en sixième, ce sont et l'ordinateur, et la table et la chaise qui se liguent contre lui et refusent de le suivre. Ils sont pourtant à Samuel ce qu'est le fauteuil roulant à Antoine. Avec la complicité d'adultes zélés et respectueux des règles et règlements, ces objets vitaux pour l'enfant handicapé ont bien failli gagner la bataille et rester confortablement inutile dans un placard en attendant la venue très hypothétique d'un autre Samuel parfaitement identique à Samuel.
On ne dit pas « handicapé », on dit être « mis en situation d'être handicapé ». Ainsi va le monde !
Didier Martz, 4 septembre 2014
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