Ainsi va le monde n° 221 - C comme … Catastrophe
Bienvenue à toutes et à tous
C comme … Catastrophe. Je reviens sur la catastrophe provoquée par le typhon Haiyan aux Philippines rayant de la surface de la terre plus de 10000 personnes. J'y reviens parce que l'évènement est déjà effacé des écrans. Il n'aura pas fallu 15 jours pour que les victimes soient rayés des cartes-mémoire à faible capacité de nos médias. Balayés les enfants-orphelins par la victoire des Bleus au fooball ; balayés les veuves et les veufs par le tireur qu'on dit vite fou comme on l'a dit aussi vite de celui qui assassina le président Kennedy ; balayés l'ampleur des dégâts aux Philippines par la fine couche de neige qui paralysa ce commerçant français contraint lui-même de balayer devant son pas de porte. Actualités obligent. On ne peut arrêter leur cours, charriant pêle-mêle et sur le même plan : publicités, météo, cours de la bourse, foot, neige, paradis fiscaux, crise, guerre de 14, morts, meurtres et catastrophes.
Selon le Robert historique de la langue française, catastrophe est emprunté au latin catastropha qui lui-même vient du grec katastrophê, formé sur strophê « action de tourner, volte, évolution » avec l'élément kata- (qu'on retrouve dans cataclysme, catacombes) qui signifie « vers le bas ».
Le latin catastropha au IVe siècle devient « bouleversement, fin, dénouement » et, plus tardivement, au théâtre, « dénouement de l'intrigue ». Il s'étend ensuite aux évènements de la vie quotidienne. De la mort, par exemple, on dira qu'elle est un dénouement au sens théâtral. Le dénouement souvent sanglant des tragédies classiques l'infléchit négativement en « événement fâcheux », « funeste et malheureux ». C'est de là que provient le sens moderne courant de « désastre brusque et effroyable », spécialement à propos d'un accident causant de nombreuses victimes comme dans une catastrophe aérienne ou d'un événement lourd de conséquences pour la collectivité comme une catastrophe économique. Son usage tend à être fréquemment hyperbolique, tant dans l'interjection catastrophe ! que dans la locution « en catastrophe » «risquer le tout pour le tout » ou « agir de façon bâclée ». La langue familière l'abrège et le banalise par un usage à tout propos en « cata ». Une mauvaise note au devoir de philosophie et « c'est la cata ». Tout étant catastrophique plus rien ne l'est.
On s'est beaucoup interrogé à l'époque déjà lointaine, sur les causes de la catastrophe philippine : le vent, le réchauffement climatique, la pluie. Entendons-nous. Il n'y a de catastrophe qu'à la condition que des humains soient concernés, directement ou indirectement. Elle est d'autant plus « funeste et malheureuse » qu'il y a d'humains touchés. Un typhon qui souffle sur une mer désertique n'est pas vraiment une catastrophe. Les catastrophes ont ainsi toujours lieu là où il y a une forte concentration d'hommes, de femmes et d'enfants. Elles s'abattent de préférence sur les pauvres qui ont une propension fâcheuse à se regrouper dans des zones exposées et à loger dans des habitations fragiles et de fortune. Ainsi, les pauvres transforment un phénomène qui aurait pu rester naturel et insignifiant en catastrophe humaine.
Aussi, ni le vent, ni le réchauffement, ni la pluie ne sont les causes valables, efficientes dirait Aristote, de la catastrophe. Sinon elle serait naturelle. Et on a vraisemblablement intérêt à ce qu'elle le soit. En effet, comme le dit Hannah Arendt, personne ne se met en fureur devant un tremblement de terre. C'est seulement au cas où l'on a de bonnes raisons de croire qu'il y a des raisons humaines aux catastrophes et qu'on pourrait y changer quelque chose, que la fureur éclate. Ainsi va le monde !
Didier Martz, 28 novembre 2013
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