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Billet de blog 8 mars 2015

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Ainsi va le monde n°278 - Le Désert des Tartares

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 Le 7 janvier 2015, à 11 heures, un massacre avait lieu dans les locaux de la rédaction de Charlie-Hebdo et de ce jour, plus rien n'aurait plus dû être comme avant. 56 jours après...

Giovanni Drogo, jeune officier, est affecté au fort Bastiani. Il voit dans cette affectation le début d'une autre vie, une vie d'aventure, plus large, plus libre. Pourtant à voir ce fort, au milieu de nulle part, à la lisière d'un désert qu'on appelle le désert des Tartares, on imagine mal qu'il puisse s'y passer quelque chose. Et en effet, rien ne s'y passe et ne s'y est jamais passé. Mais comme un idéal ou un rêve, le fort est à la fois loin et proche, réaliste et absurde, lieu de tous les possibles.

 Et les occupants du fort ne vivent et ne survivent que dans l'espoir d'une attaque tout aussi imaginaire des Tartares. L'espoir est le bon compagnon de l'ennui, il laisse entendre que c'est mieux ailleurs ou que ce sera mieux plus tard. Bon remède à l'impatience, l'espoir fascine et obsède les habitants du fort Bastiani. L'espoir les fait vivre tout en consumant la meilleure part de leur vie. Le jeune officier Drogo pensait lui « avec soulagement qu'il était en dehors », une sorte de « spectateur non contaminé » par les habitudes et la routine. Il était évident pour lui que dès quatre mois passés, il quitterait ses compagnons. « Mais pourquoi ce petit vieux continuait-il de le regarder fixement avec cette expression ambiguë ? Pourquoi Drogo éprouvait-il le désir de siffloter un peu, de boire du vin, de sortir au grand air ? » Avait-il besoin de se « prouver à lui-même qu'il était vraiment libre et tranquille ? » Etait-il si sûr de lui ? On devine la réponse. Quelques petits mois plus tard, la force dont on dit que les habitudes sont chargées s'empare de l'officier fougueux, sclérose sa conscience et va le clouer au fort pour de longues années. Au rythme morne et insipide des activités du fort, « quatre mois avaient suffi pour l'engluer ».

 Dino Buzzati et son livre le Désert des Tartares paru en 1949 interrogent l'idée de destinée humaine en terme de fatalité. Cette puissance occulte qui déterminerait le cours des événements d'une façon irrévocable non pas parce que son but serait écrit depuis toute éternité mais parce que le destin des hommes se nouerait insidieusement et doucement dans leur routine.

 La vie comme elle va envase progressivement la conscience et engloutit les jours les uns après les autres, au point qu'ils ne semblent plus différents. Même s'il arrive qu'un événement suffisamment fort en vienne bouleverser le cours et que toute la société se met en branle et s'excite à l'idée qu'enfin quelque chose arrive, très vite la monotonie reprend ses droits et les jours redeviennent les mêmes. Le 7 janvier 2015, à 11 heures, un massacre avait lieu dans les locaux de la rédaction de Charlie-Hebdo et de ce jour, plus rien n'aurait plus dû être comme avant. 56 jours après, le calme est revenu dans les consciences, non par indifférence, mais par le mépris du temps pour les évènements, si forts soient-ils. Ainsi va le monde.

Didier Martz, philosophe, Mercredi 4 mars 2015

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