Il s'appelle Charles Eugène Miroy (1828-1871), prêtre de son état. Originaire de Mouzon dans les Ardennes, il administre le village de Cuchery dans la montagne de Reims au moment de la déclaration de la guerre avec les Prussiens. Les habitants de Cuchery prennent des positions diverses vis-à-vis de l'ennemi : certains subissent passivement, d'autres collaborent pour essayer de profiter de la situation, d'autres enfin essaient de résister. L'abbé Miroy a pris ce dernier parti : il pensait que « la qualité de citoyen ne s'efface pas devant l'état de prêtre » ; et quand il faut cacher quelques fusils pour les soustraire à la réquisition prussienne, il propose l'autel de son église. L'opération se fait de nuit, avec quelques amis, discrètement, mais pourtant, le lendemain, l'abbé reçoit une « menace de dénonciation de détention illégale d'armes de guerre ». (Le drame de Cuchery, Henri vidal.)
Quelques jours s'écoulent, les fusils disparaissent mystérieusement après le vol des clés de l'église. Sur ces entrefaites, un détachement prussien venu pour une nouvelle réquisition essuie, le 6 février 1871, quatre ou cinq coups de feu isolés qui ne tuent ni ne blessent personne mais qui exaspèrent les Prussiens. Ils menacent d'incendier le village si les auteurs des coups de feu ne leur sont pas remis. Les habitants prennent peur et l'abbé est accusé. Il est emmené à Reims et tenu au secret.
S'il faut en croire le journal La vie à Paris du 6 octobre 1909, un professeur d'allemand a servi d'interprète pendant le procès de l'abbé Miroy et il rapporte le dialogue suivant entre les Prussiens et l'abbé :
- C'est vous qui avez caché ces fusils sous l'autel ? Demande le Prussien.
- C'est moi, répond l'abbé.
- Pourquoi les aviez-vous mis là ?
- Pour les distribuer aux paysans et pour nous en servir pour vous chasser de chez nous si nous l'avions pu !
- Vous n'avez aucun repentir de votre acte criminel ?
- Criminel ? Dites naturel ! J'en suis fier et je recommencerais si j'étais libre ! S'exclame l'abbé.
Il sera jugé et fusillé contre le mur du cimetière du Nord. Quand l'exécution du prêtre de Cuchery se répand en ville, l'émotion et l'indignation montent et quelques personnes lancent une souscription pour élever un monument à la mémoire de cette mort injuste, violant l'armistice signé le 29 janvier. Le docteur Adolphe Hanrot propose à Saint-Marceaux, le sculpteur rémois, de se charger de cette commande.
Terminée en 1872, la statue est admise au Salon, mais, déception !... Adophe Thiers demande à Saint-Marceaux ainsi qu'à quelques autres artistes de renoncer à exposer, pour ne pas irriter les occupants. Et ce sera le deuxième enterrement de l'abbé. Ressuscité, le monument sera inauguré au cimetière du Nord le 17 mai 1873.
La statue couchée en bronze de 2 mètres de long et de 0,80 mètre de large n'est plus sur la tombe de l'Abbé Miroy depuis 2006, pour cause de sécurité. Après l'absence au Salon de 1872, Charles Miroy est à nouveau enterré, à l'abandon dans les caves sombres du musée des Beaux-Arts de Reims. Réapparu en 2014, le temps d'une exposition, le voici remisé à nouveau dans les réserves du musée pour un troisième enterrement, privant la mémoire collective d'une œuvre magistrale et du symbole de la résistance à toutes les formes d'oppression. Il faut sauver l'abbé Miroy ! Ainsi irait mieux le monde !
Eléments fournis par Lucette Turbet, spécialiste du sculpteur René de Saint Marceaux
Didier Martz, essayiste, 7 avril 2016 - www.cyberphilo.org