Ainsi va le monde n° 286 – Les Précieuses Ridicules et la réforme des Collèges
Jean-Baptiste Poquelin dit Molière fut baptisé le 15 janvier 1622 en l'Eglise Saint-Eustache à Paris. Il est mort, toujours à Paris, le 17 février 1673. Entre les deux dates, il vécut. Il fut l'auteur de nombreuses comédies dont les Précieuses Ridicules. Pour mémoire, les Précieuses désignent ces femmes qui au XVIIème siècle ont initié et suivi une mode où on se préoccupe de bonnes manières, d'élégance et de beau parler. On tient à l'époque des salons, les amis intimes de la dame étaient reçus eux dans la « ruelle, cet espace laissé entre le lit et le mur de la chambre de la dame. C'est dans ces lieux que se forgent les bons mots et se composent les belles tournures.
Molière, dans sa pièce, fustige ce langage plein d'emphase auxquels s'adonnent les Précieuses. Il moque notamment l'utilisation de périphrases et autres euphémismes pour désigner des réalités très ordinaires. Chez les Précieuses – et les Précieux - le "fauteuil" devient "les commodités de la conversation", "le miroir", le "conseiller des grâces" ; "le balai" est gratifié de l'appellation "instrument de la propreté..." ; "la chandelle" se change en "supplément du soleil." Ce qui n'est d'ailleurs pas sans poésie et vaut bien « plan social » mis pour « licenciements massifs ».
Aujourd'hui, les salons se sont transportés rue de Grenelle, la « ruelle » est devenu un espace de travail et les Précieux et les Précieuses sont au Ministère de l'Education nationale. On y concocte les réformes et on y forge les nouveaux programmes scolaires. Ceux des collèges entreront en vigueur en 2016. Nos Précieuses et Précieux du XVIIème siècle peuvent se réjouir : le langage bizarre, hermétique et compliqué qu'elles et ils inventèrent inspirent encore fortement les experts de la rue de Grenelle. Exemples qu'on retrouvera dans le texte de la réforme :
Ainsi « un milieu aquatique profond standardisé » désigne une piscine. Dans la piscine on ne nage pas mais on «traverse(r) l'eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête».
La «visée générale» des programmes de «langues étrangères et régionales» est d'«aller de soi et de l'ici vers l'autre et l'ailleurs». Dans ce mouvement, il s'agit de – je cite – « Se familiariser avec des mobilités virtuelles et de se préparer à des mobilités physiques ». D'ailleurs on ne suit plus une scolarité mais on effectue des parcours... évidemment diversifiés. Sachez aussi que courir c'est « créer de la vitesse » et que jouer au tennis n'est jamais qu'un « duel médié par une balle ». En somme vous ne jouez plus, fini de rigoler, avec un partenaire mais vous vous battez contre lui en lui envoyant des balles dans la figure ! Lesquelles balles auraient pu encore être appelées, comme pour le ballon d'autrefois, des « référentiels bondissants ».
Somaize, dans son Grand dictionnaire des Précieuses, dit à leur propos : « Elles sont encore fortement persuadées qu'une pensée ne vaut rien lorsqu'elle est entendue de tout le monde, et une de leur maxime de dire qu'il faut nécessairement qu'une précieuse parle autrement que le peuple, afin que ses pensées ne soient entendues que de ceux qui ont des clartés au-dessus du vulgaire, et c'est à ce dessein qu'elles font tous leurs efforts pour détruire le vieux langage, et qu'elles en ont fait un, non seulement qui est nouveau, mais encore qui leur est particulier. »
Ainsi va le monde, euh non ! ainsi va « l'ensemble des réalités correspondant aux apparences sensibles et telles que la réflexion rationnelle conduit à se les représenter ».
Didier Martz, 7 mai 2015
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