Êtes-vous universaliste ou relativiste ? Cette question me revient après la polémique déclenchée début février par Claude Guéant, le ministre de l'intérieur, affirmant que "toutes les civilisations ne se valent pas", reprenant ainsi sur le plan politique un vieux débat philosophique.
En effet, c'est une vieille histoire que cette alternative « universalisme/relativisme ». Déjà Platon, il y 2300 ans, fait dialoguer Socrate et Protagoras sur cette question. En gros, Protagoras soutient que « l'homme est à la mesure de toute chose » - comprenez que c'est lui qui donne, en fonction des lunettes qu'il porte, la valeur des choses – alors que Socrate soutient que non. Bien au contraire, dit-il, il y a des idées vraies, universelles et éternelles. Le souci commun de Socrate et de Protagoras était de savoir comment accéder à une vérité.
Mais si l'on passe au plan moral et politique, de la position de Protagoras, il ressort qu'on ne peut porter de jugement sur des valeurs et des pratiques différentes, toutes choses étant relatives ; de celle de Socrate, il ressort que l'on peut considérer qu'il existe un point de vue universel à partir duquel au contraire nous pourrions juger des choses.
Le relativisme, poussé au bout, c'est reconnaître que l'on ne peut pas juger une pratique en utilisant des critères issus d'une autre culture. C'est-à-dire, que si l'on trouve une coutume «barbare», c'est qu'on la regarde de l'extérieur et hors de son contexte. On ne peut donc pas considérer ceux qui la pratiquent comme des monstres. Tout se vaut !
A l'opposé, l'universalisme, lui aussi poussé à bout, devient un ethnocentrisme, c'est-à-dire une attitude qui pousse à considérer la culture à laquelle on appartient comme étant «meilleure» ou «plus normale» que toutes les autres.
Sauf que, contre Claude Guéant, rien n'autorise à dire que les civilisations ne sont pas égales. Une civilisation c'est un ensemble d'oeuvres culturelles et une histoire et la civilisation égyptienne ne vaut ni plus ni moins que la civilisation gréco-latine ou judéo-chrétienne. Elles sont différentes.
Cependant, rien ne m'interdit de juger les pratiques, les usages ou, comme le dit Claude Guéant dans la première partie de son intervention, de juger « des comportements, qui n'ont pas leur place dans notre pays, non pas parce qu'ils sont étrangers, mais parce que nous ne les jugeons pas conformes à notre vision du monde, à celle, en particulier de la dignité de la femme et de l'homme. » Claude Guéant aurait du s'en tenir là.
Mais il confond les civilisations avec les situations particulières de tel ou tel pays, à un moment donné de leur histoire, des situations qui n'affectent en rien la civilisation à laquelle appartient ce pays. L'excision monstrueuse des petites filles, l'encagement de femmes dans des cagoules n'altèrent en rien la civilisation ancestrale à laquelle appartiennent les pays ou les peuples qui recourent à de tels procédés.
Ainsi nul n'est besoin de se référer à la civilisation européenne et ses valeurs pour juger une pratique et combattre les individus qui en sont responsables. D'autant que c'est cette « civilisation », entre guillemets, a mené des millions d'hommes dans les chambres à gaz. Le terme de civilisation comme celui de culture est impropre à servir de référence pour juger de pratiques indignes, en France ou ailleurs. Comme nous n'avons pas besoin de savoir ce qu'est le Bien en soi pour séparer l'humanité entre ceux qui sont civilisés ou pas, entre les gens dignes et les salauds où qu'ils se trouvent. Ainsi va le monde.
Didier Martz, 8 et 9 mars 2012.
A écouter en web-radio sur http://www.reims-web.com/ces-gens-la/index.php/chronique-audio-ainsi-va-le-monde-didier-martz.php