Bienvenue à toutes et à tous
P comme... Pouvoir ou de l'entêtement des puissants à refuser les arguments contraire à leurs propres opinions . « La raison les offense ; ils se mettent en tête, Que tout est né pour eux, quadrupèdes, et gens, Et serpents. Jean de La Fontaine dans sa fable en veut encore pour preuve.
« Un Homme vit une Couleuvre./Ah ! méchante, dit-il, je m’en vais faire une œuvre/Agréable à tout l’univers.
À ces mots, l’animal pervers / (C’est le serpent que je veux dire/Et non l’homme : on pourrait aisément s’y tromper),
À ces mots, le serpent, se laissant attraper,/Est pris, mis en un sac ; et, ce qui fut le pire,/On résolut sa mort, fût-il coupable ou non.
Afin de le payer toutefois de raison,/L’autre lui fit cette harangue:/Symbole des ingrats, être bon aux méchants,/C’est être sot, meurs donc : ta colère et tes dents/Ne me nuiront jamais.
Le Serpent, en sa langue,/Reprit du mieux qu’il put : S’il fallait condamner/Tous les ingrats qui sont au monde,/À qui pourrait-on pardonner ?/Toi-même tu te fais ton procès. Je me fonde/Sur tes propres leçons ; jette les yeux sur toi./Mes jours sont en tes mains, tranche-les : ta justice,/C’est ton utilité, ton plaisir, ton caprice ;/Selon ces lois, condamne-moi ;/Mais trouve bon qu’avec franchise/En mourant au moins je te dise/Que le symbole des ingrats/Ce n’est point le serpent, c’est l’homme.
Ces paroles/Firent arrêter l’autre ; il recula d’un pas.
Enfin il repartit : Tes raisons sont frivoles:/Je pourrais décider, car ce droit m’appartient ;/Mais rapportons-nous-en. – Soit fait, dit le reptile.
Une Vache était là, l’on l’appelle, elle vient ;/Le cas est proposé ; c’était chose facile:/Fallait-il pour cela, dit-elle, m’appeler ?/La Couleuvre a raison ; pourquoi dissimuler ?
Je nourris celui-ci depuis longues années ;/Il n’a sans mes bienfaits passé nulles journées ;
Tout n’est que pour lui seul ; mon lait et mes enfants/Le font à la maison revenir les mains pleines ;
Même j’ai rétabli sa santé, que les ans/Avaient altérée, et mes peines
Ont pour but son plaisir ainsi que son besoin.
Enfin me voilà vieille ; il me laisse en un coin/Sans herbe ; s’il voulait encor me laisser paître !
Mais je suis attachée ; et si j’eusse eu pour maître/Un serpent, eût-il su jamais pousser si loin ?
L’homme, tout étonné d’une telle sentence, /Dit au Serpent : Faut-il croire ce qu’elle dit ?
C’est une radoteuse ; elle a perdu l’esprit./Croyons ce Bœuf. – Croyons, dit la rampante bête.
Ainsi dit, ainsi fait. Le Bœuf vient à pas lents./Quand il eut ruminé tout le cas en sa tête,
Il dit que du labeur des ans/Pour nous seuls il portait les soins les plus pesants,
Parcourant sans cesser ce long cercle de peines/Qui, revenant sur soi, ramenait dans nos plaines
Ce que Cérès nous donne, et vend aux animaux ;/Que cette suite de travaux
Pour récompense avait, de tous tant que nous sommes,/Force coups, peu de gré ; puis, quand il était vieux, On croyait l’honorer chaque fois que les hommes/Achetaient de son sang l’indulgence des Dieux.
Ainsi parla le Bœuf. L’Homme dit : Faisons taire/Cet ennuyeux déclamateur ;
Il cherche de grands mots, et vient ici se faire,/Au lieu d’arbitre, accusateur.
Je le récuse aussi. L’arbre étant pris pour juge,/Ce fut bien pis encore. Il servait de refuge
Contre le chaud, la pluie, et la fureur des vents ;/Pour nous seuls il ornait les jardins et les champs.
L’ombrage n’était pas le seul bien qu’il sût faire ;/Il courbait sous les fruits ; cependant pour salaire
Un rustre l’abattait, c’était là son loyer,/Quoique pendant tout l’an libéral il nous donne
Ou des fleurs au Printemps, ou du fruit en Automne ;/L’ombre l’Été, l’Hiver les plaisirs du foyer.
Que ne l’émondait-on, sans prendre la cognée ?/De son tempérament il eût encor vécu.
L’Homme trouvant mauvais que l’on l’eût convaincu,/Voulut à toute force avoir cause gagnée.
Je suis bien bon, dit-il, d’écouter ces gens-là./Du sac et du serpent aussitôt il donna
Contre les murs, tant qu’il tua la bête.
On en use ainsi chez les grands./La raison les offense ; ils se mettent en tête
Que tout est né pour eux, quadrupèdes, et gens,/Et serpents.
Si quelqu’un desserre les dents,/C’est un sot. – J’en conviens. Mais que faut-il donc faire ?
– Parler de loin, ou bien se taire. »
Ainsi va le monde, jeudi 1er mai 2014
Didier Martz avec Jean de la Fontaine