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Billet de blog 15 juin 2015

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292 - Intervention « musclée »

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292 - Intervention « musclée »Pour qualifier l'évacuation de migrants de leur logement de fortune installé sous le pont du périphérique, des médias ont utilisé l'expression « évacuation musclée » ou « intervention musclée ». Ainsi le journal Le Monde titre : » Nouvelle évacuation musclée de migrants près du métro La Chapelle ». L'hebdomadaire Le Point titre lui : « Paris : évacuation musclée de migrants dans le Nord de la capitale. L'obs en ligne annonce que « le défenseur des droits ouvre une enquête après l'évacuation musclée de migrants dans le 18éme arrondissement de Paris. »Comme j'attache ici dans cette chronique beaucoup de valeur aux mots et à leur sens, je me suis demandé, à la suite de Julien Salingue, le politologue, ce que pouvait bien signifier une « évacuation ou une intervention musclée ». Encore une fois le dictionnaire peut être utile pour essayer de dégager un sens à cette expression. Certes, au sens propre, pour effectuer une évacuation, il faut utiliser ses muscles notamment pour obliger tel ou tel récalcitrant. Ses muscles et ses orthèses. L'orthèse, contrairement à la prothèse, est un appareillage qui compense une fonction absente ou déficitaire ou bien encore assiste une structure articulaire ou musculaire. Ainsi la grenade lacrymogène et la matraque sont des orthèses. Elles viennent prolonger une fonction musculaire déficitaire ou insuffisante. Une action qui utilise ce type d'appareillage peut alors être dite « musclée ».Par définition, au sens figuré, une intervention musclée s'effectue sans muscles mais avec autorité et énergie. Merveilleuse polysémie des mots qui permet de mobiliser l'imaginaire du lecteur et ainsi de faire passer une idée qu'il ne serait peut-être pas possible de faire passer avec l'unique emploi du mot au sens propre. Et dans le cas de « musclée », l'imagination va bon train et part « à gambade » dirait Montaigne. Mais en figurant le sens, on évite d'appeler les faits par leur nom. On donne bonne figure au sens ainsi défiguré.Qu'est-ce donc qu'une intervention musclée ? Une intervention violente, agressive, brutale ? Certainement pas. Sinon on l'aurait dit. Les médias auraient titré : évacuation violente ou brutale de migrants dans le 18ème arrondissement de Paris. Ca ne sonne pas pareil. Non, elle est seulement musclée. Ni douce, ni apaisante, ni calme mais pas brutale non plus. Non, juste musclée. Pour ne pas scandaliser.Pour avoir une vue plus juste de ce qu'est une intervention musclée, on peut lire le compte-rendu du journal Le Monde de l'évacuation des migrants du métro La Chapelle ». « Après un mouvement de foule, les policiers ont lancé des gaz lacrymogènes pour disperser le rassemblement. Certains sont demeurés à terre de nombreuses minutes, les T-shirts déchirés, les yeux gonflés de sang. Plusieurs militants ont été interpellés dans le chaos. » Ceci n'est pas une intervention violente mais musclée.Autre exemple d'intervention musclée mais non-violente relevée par Julien Salingue dans un article du journal en ligne l'Alsace : « Au milieu de la confusion et des cris, on le voit agripper une adolescente en maillot de bain, la plaquer au sol et la traîner sur une petite distance. Puis il se lève, dégainant son arme qu’il pointe vers deux jeunes garçons qui s’étaient approchés. » Il ne s'agit pas là de violence mais « d'une intervention policière musclée » contre de jeunes noirs aux Etats-Unis.C'est simple, pour que le monde s'apaise, soit doux et amène, ne dites plus « violent » mais « musclé ». Ou ne dites rien. Ainsi va le monde.Didier Martz, lundi 15 juin 2015

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