Où le Général Panther pourrait bien être le patron de la Société Général dans l'affaire dite "KERVIEL"...
L'Île des Pingouins est un roman d'Anatole France paru en 1908, une critique féroce de la société de son temps et avec le recul, de la nôtre. Dans l'Île, où « de nombreux pingouins contribuaient par leur misère privée à la prospérité publique », l'affaire des quatre-vingt-mille bottes de foin devient la principale préoccupation.
L'affaire en question est la transposition sous forme de parodie de l'affaire Dreyfus. Ainsi le fameux faux « bordereau », la pièce présentée par les auteurs du complot comme la preuve de la trahison de Dreyfus, devient sous la plume d'Anatole France la vente de quatre-vingt-mille bottes de foin bien français par un officier à une puissance étrangère. Crime d'autant plus grave que c'est un foin doté, selon l'écrivain, « des qualités de verdeur, de souplesse et d'arôme propres à notre foin national ». Dans la satire, le personnage Pyrot, un des habitants de l'Île des Pingouins, représente Dreyfus. Voici la leçon qu'en tirait en 1980 un des fils de Calman-Lévy, l'éditeur d'Anatole France :
« Que Pyrot eût volé les quatre-vingt-mille bottes de foin, personne autant dire n'hésita un moment à le croire. On ne douta point, parce que l'ignorance où l'on était de cette affaire ne permettait pas le doute, qui a besoin de motifs, car on ne doute pas sans raisons comme on croit sans raisons. On ne douta point, parce que la chose était partout répétée, et qu'à l'endroit du public répéter c'est prouver. On ne douta point , parce qu'on désirait que Pyrot fût coupable et qu'on croit ce qu'on désire, et parce qu'enfin la faculté de douter est rare parmi les hommes ».Fin de citation.
On doute d'autant moins d'une information qu'on est dans l'ignorance de ses raisons. Chaque jour nous déverse une quantité d'informations dont a priori nous ne doutons pas. Pour en douter il faudrait aller en chercher les raisons et les motifs et nous savons combien ce travail mériterait d'efforts, de temps et d'énergie. Par paresse ou indifférence, nous préférons y croire parce que croire n'exige pas de justifications. Et nous sommes confortés dans notre croyance parce qu'à longueur de bulletins d'information et de colonnes de presse, l'information est répétée et ressassée. La répétition vaut preuve. Puisque c'est dit et redit, et dit et redit par des voix médiatrices donc autorisées, l'information sur l'évènement est vraie. Dès lors comme une rengaine, la nouvelle vient s'inscrire dans nos têtes et nous sommes prêts à la chanter sur tous les tons et les toits.
Douter rencontre un autre obstacle : le désir. En parodiant Spinoza, ce n'est pas l'information en elle-même qui nous attire, c'est parce que nous la désirons qu'elle est désirable. Pyrot pas plus que Dreyfus ne sont coupables, c'est parce que nous les désirons criminels qu'ils le deviennent. Et ce désir est d'autant plus fort qu'il est partagé par le plus grand nombre.
« Un matin, le général Panther, chef d’état-major, instruisit Greatauk d’une affaire grave. Quatre-vingt mille bottes de foin, destinées à la cavalerie, avaient disparu ; on n’en trouvait plus trace. Greatauk s’écria spontanément : - Ce doit être Pyrot qui les a volées ! Il demeura quelque temps pensif et dit : - — Plus j’y songe et plus je me persuade que Pyrot a volé ces quatre- vingt mille bottes de foin. Et où je le reconnais, c’est qu’il les a dérobées pour les vendre à vil prix aux Marsouins, nos ennemis acharnés. Trahison infâme !
- C’est certain, répondit Panther ; il ne reste plus qu’à le prouver.
Et tant pis pour la vérité. Ainsi va le monde !
Didier Martz, philosophe
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