S comme... Sycophante. La maire de La Jonquera en Espagne, à la frontière française, diffuse publiquement les noms des clients des prostituées de rue pour les dissuader de revenir. En Ouganda,
James Nsaba Buturo, le ministre de l'Ethique et de l'Intégrité ougandais, s'est choisi un cheval de bataille : la prostitution, considérée comme un crime par la loi dans son pays. Il a dévoilé le 18 septembre une nouvelle arme : divulguer dans les médias le nom des clients et des proxénètes, rapporte le quotidien de Kampala. "Nous voulons jeter la honte sur les maris qui fréquentent des prostituées", a expliqué le ministre.
En France, l'idée coure depuis un moment déjà. Les prostituées qui accepteraient de dénoncer leur proxénète se verraient assurer en échange la mansuétude des autorités. L'idée circule sous des euphémismes divers en particulier celui de signalement. Le signalement est plus modéré que la dénonciation ou la délation. Plus généralement et dès l'enfance, on apprend que moucharder ou cafarder sont à éviter si on ne veut pas subir l'opprobre de la classe.
C'est peut-être à Athènes dans la Grèce Antique qu'il faut remonter pour trouver l'origine de cette pratique qui consiste à faire connaître publiquement une chose de manière à la faire condamner par l'opinion ou réprimer par les autorités. En effet, on trouve à Athènes des dénonciateurs professionnels qui assignaient en justice des citoyens riches afin d'obtenir une part de leurs biens s'ils étaient condamnés. On les appelait des sycophantes.
Étymologiquement, sycophante vient du Grec "sucophantès" : de sukon, figue et de phanein, faire connaître. Chose curieuse, le sycophante est celui qui est chargé de faire connaître, de révéler la figue. Que pouvait bien être cette révélation et pourquoi ? Nous n'en savons rien ou que des hypothèses y compris celle d'un rapport avec le sexe féminin. Ce n'est que plus tard, nous dit l'encyclopédie, que sont nommés sycophantes ceux qui dénoncent les voleurs de figues dans les bois sacrés de l'Attique mais aussi, selon Plutarque, ceux qui en exportaient en contrebande. Par la suite, ce fut le nom que l'on donnait dans Athènes aux dénonciateurs de tout poil... "Celui qui montre la figue" était donc celui qui, par un geste particulier, signalait un malfaiteur à la vindicte populaire.
La définition du Littré est surprenante car si "sycophante" désigne bien à Athènes les dénonciateurs, ceux-ci livraient à la foule non pas des voleurs de figues mais des citoyens éminents et surtout ceux dont elle redoutait le plus la raison ou la vertu. C'est le risque encouru par toute disposition qui viserait à encourager la délation même prétendue « citoyenne ». Elle renvoie à la période noire de l'occupation nazie pendant laquelle nous dit Ambrière, dans Les Grandes vacances, beaucoup « ...furent les victimes de cette manie de délation qui régnait sur l'Allemagne à un degré impossible à décrire. Voisins jaloux, rivales éconduites, parents même venaient-ils à connaître quelque intrigue, vite une lettre partait pour la Gestapo. » Ainsi va le monde !
Didier Martz, 14 novembre 2013
www.cyberphilo.org