Voyages en absurdie est un livre de chroniques de Stéphane De Groodt, un acteur belge, chroniques qu'il tient ou qu'il a tenues dans différentes émissions de radio ou de télévision. Comme je ne le connais pas, je me réfère à ce que « on » en dit, « on », c'est-à-dire les gens, vous, moi, n'importe qui. « On » donc, l'apparente à Raymond Devos eu égard à la nature, comment dire ? Déjantée de ses chroniques.
Bien avant ce livre de chroniques de de Groodt, Voyage en Absurdie, mais cette fois écrit au singulier, est un petit livre, paru en 1946 ˮsous le manteauˮ aux lendemains de la Libération, écrit par un dessinateur de presse, Ben, pour, à la manière du ˮCandideˮ de Voltaire, souligner les travers de l'époque et surtout pour combattre, par le verbe et l'image, le pouvoir du général De Gaulle (nommé Le général de La Perche).
L'absurdie est le nom d'un pays ou d'une ville qui n'existe pas mais qu'on trouve dans tous les pays et toutes les villes. Ici, c'est à Reims dans la Marne ou ailleurs. Rappelons, avec le dictionnaire, que « est absurde, une manifestation de l'activité humaine : parole, jugement, croyance, comportement, action ou réalisation qui est sentie comme contraire à la raison, au sens commun; parfois quasi-synonyme de impossible au sens de « qui ne peut ou ne devrait pas exister ».
Les handicapés peuvent encore une fois se réjouir. Après avoir obtenu des trottoirs échancrés pour le libre passage des fauteuils roulants, des plate-formes surélevées pour l'accès au bus, des places de stationnement qu'on peut échanger contre leur handicap, des toilettes spacieuses, etc., il vient de leur être octroyé des places réservées aux arrêts d'autobus. Elles sont ostensiblement signalées par le symbole abstrait et bien connu d'une personne en fauteuil roulant. Tracé à terre et bien visible, nul ne pourra, sauf manque de respect, s'y installer pour attendre l'autobus. Cela ne risque pas d'arriver car la dite place réservée est à côté, et non pas sous, le bien nommé abribus. Le handicapé pourra ainsi profiter largement de la pluie, de la neige, du vent et d'un soleil chaleureux.
Il pourra profiter encore de l'exposition aux éléments naturels en se rendant par le tramway à la gare TGV de Bezannes. A sa descente, avant de parvenir à la gare proprement dite, il lui restera à franchir une bonne centaine de mètres en plein air et éventuellement sous la pluie en gravissant une pente à 30 %. Heureusement cet exercice n'est pas réservé aux personnes handicapées et chacun de nous, usagers du transport en commun, pouvons aussi le pratiquer. Le tout sous le regard bienveillant et réjoui des colonnes sombres en bois brulé noirci de Christian Lapie.
L'absurde désignera notre désarroi devant un monde qui dans la façon dont il est organisé devient hostile, agressif, étranger. Remercions alors le concepteur astucieux d'abribus et l'ingénieur ingénieux d'accès facilités de nous faire saisir le sentiment profond de notre existence grâce à la confrontation qu'ils nous permettent l'un et l'autre, d'avoir avec l'irrationnel. J'ai vu le Sisyphe et son rocher sur la rampe d'accès à la gare de Bezannes. Ainsi va le monde !
Didier Martz, philosophe