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Billet de blog 29 mai 2015

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Ainsi va le monde n° 283 - La catastrophe de l'Airbus A 320

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Trouver absolument les raisons qui ont poussé ce pilote à écraser son avion sur la montagne ; Combler absolument le vide de l'inconcevable ; Remonter la longue chaîne des causes et des effets pour trouver enfin la Raison des raisons ; Suivre le fil qui permettra de revenir à la surface, de retrouver la lumière à la sortie du labyrinthe. La vie du pilote, ses relations, son enfance, ses troubles, peut-être même que quelque chose s'est passé à sa naissance, à l'accouchement... Chercher du côté des parents, des proches... Par ailleurs qu'est-ce qui a amené chacune des victimes à être là , à ce moment-là ? Qu'est-ce qui s'est noué pour que les trois membres de la même famille au prénom identique prévoient de se rendre à Manchester en Angleterre mais via Düsseldorf, où le frère de Emma, la plus jeune de la famille, finissait un semestre d'études. Par quel hasard, quel motif, quelle raison, le grand-père n'a-t-il pas participé au voyage échappant ainsi à la mort brutale mais pas à la détresse éternelle ? Quel infini détail au moment du tirage au sort a empêché cette jeune fille d'être du voyage ? Un morceau de papier, une seconde, un geste différé... ?

 Chercher, fouiller, trouver, mettre des mots. Nous ne renonçons pas à l'idée du sieur Pierre Simon de Laplace, physicien, né en 1749, pour qui toute situation s'explique par ce qui l'a précédé. « Il suffirait dit-il d'une intelligence qui, […] connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée, et la situation respective des êtres qui la composent, il suffirait d'une intelligence qui embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome. Pour cette intelligence rien ne serait incertain pour elle et l’avenir, comme le passé serait présent à ses yeux. » Ainsi tout s'expliquerait. Hélas, sauf divine, cette intelligence qui pourrait rendre raison de tout n'existe pas. Quand bien même, elle laisserait entier le chagrin.

 La raison humaine ne peut venir à bout de ces entrelacs de motifs, de circonstances, d'imprévus de dernière minute... elle ne peut saisir d'un seul regard l'ensemble des éléments passés qui pourrait enfin expliquer le drame présent. C'est hélas une illusion. Pour toutes choses subsistent l'interrogation : pourquoi ?

 Il est impossible de démêler les fils avec lesquels les divinités, les Parques, ont tissé le destin et fixé le sort de chacun. La raison des experts échoue devant la fatalité, le destin ou le hasard, tous trois fruits de notre ignorance. Il faut donc se tourner vers les Parques, les trois sœurs, les filles de la Nécessité et du Destin qui depuis l'origine des temps exercent leurs fatales fonctions.

 Elles ont un palais dans l'Olympe où les destinées des hommes sont gravées sur le fer et sur l'airain, de sorte que rien ne peut les effacer. Immuables dans leurs desseins, elles tiennent ce fil mystérieux, symbole du cours de la vie, et rien ne peut les fléchir et les empêcher d'en couper la trame. La première sœur, Clotho, qui signifie « filer », tient le fil des destinées humaines en tenant une quenouille qui relie le ciel à la terre. Lachesis, la deuxième, qui signifie « sort » ou « action de tirer au sort », elle est la Parque qui met le fil sur le fuseau. On la reconnaît au grand nombre de fuseaux épars autour d'elle. La troisième, Atropos, l'« inflexible », coupe impitoyablement le fil qui mesure la durée de la vie de chaque mortel. Près d'elle, on voit plusieurs pelotons de fil plus ou moins garnis, suivant la longueur ou la brièveté de la vie mortelle qu'ils mesurent. Toutes les trois ont rassemblé dans le même projet morbide des lycéens, des chanteurs d'opéra, des bébés, des jeunes mariés, des couples... Pour chacun Clotho, la fileuse, a tissé le fil de leur vie ; Lachésis l'a déroulé et Atropos la coupé. Et rien n'aurait pu les en empêcher. Mektoub ! Ainsi va le monde.

 Didier Martz, philosohe

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