L'acte terroriste est-il courageux ?
Jean-Marc Rouillan, ancien membre du groupe terroriste Action Directe, a déclaré qu'il trouvait les terroristes du 13 novembre « très courageux », parce que, dit-il, « 'ils se battent dans les rues de Paris, sachant qu'ils vont mourir. » Cette déclaration a provoqué l'ouverture d'une enquête pour « apologie du terrorisme ». Jean-Marc Rouillan est revenu ensuite sur ses propos en condamnant les terroristes et en comprenant la douleur des victimes.
Pour mémoire, Jean-Marc Rouillan fut le co-fondateur du groupe Action Directe. Il est condamné en 1989 à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de 18 ans pour les assassinats du général Audran et du PDG de Renault, Georges Besse. Jean-Marc Rouillan est actuellement en liberté conditionnelle.
Question : l'acte terroriste est-il un acte courageux ? Moralement, non. Et comme nous savons depuis peu que réfléchir sur ce type d'actes, c'est d'une certaine manière les excuser voire les encourager et que de la réflexion, même philosophique, à l'apologie, il n'y a qu'un pas, nous serons donc très prudent.
Comme le dit André Comte-Sponville dans son « Petit traité des grandes vertus », le courage est une vertu partout admirée et attachée aux héros et à leurs actes. Il est moralement bon et est éthiquement valorisé. Seulement Voltaire rétorquera que « le courage n'est pas une vertu mais une qualité commune aux scélérats et aux grands hommes ». Si le courage est un trait psychologique qui permet de surmonter la peur, de prendre des risques, d'agir sans autre intérêt que celui de l'autre ou d'une cause, alors le courage peut être attribué à tous les hommes qui font montre de ces capacités.
Ce qui nous met dans l'embarras. En effet si on suit ce raisonnement, le SS Nazi ou le terroriste peuvent être qualifiés de courageux, ce qui moralement est insupportable. La logique d'une argumentation ne fait pas toujours bon ménage avec la conviction morale ! Alors qui jugera de la valeur de l'action si chacun prétend agir au nom du Bien, d'une bonne cause ou au service d'autrui ? Au nom de quoi pourra-t-on juger qu'un acte est courageux ?
Le résistant français agit pour le bien et se met au service des autres et de sa patrie mais il est un lâche terroriste pour l'occupant allemand contre lequel il agit. Et l'affaire se complique dès lors qu'on assimile l'acte terroriste à un acte de guerre. Depuis le 13 novembre nous sommes en guerre a-t-on déclaré. Mais une guerre se fait avec des soldats et un soldat, sauf acte répréhensible, n'a pas à être courageux ou lâche, il a juste à être soldat. Cela vaut-il pour les attentats du 13 novembre ? Sont-ce des attentats ? Ou des actes de guerre ?
Et dernière complication, un ex-directeur des Renseignements Généraux déclare que Abdellah Abdeslam qui n'a pas explosé comme ses « frères » est un lâche. Si l'on suit ce raisonnement, tous seraient moralement condamnables mais Abdellah Abdesslam y ajouterait la lâcheté, car il ne prend pas de risques alors que les autres y ajoutent le courage parce qu'ils vont mourir !!!
Réfléchir au terrorisme nous place sur un terrain instable où l’idéal et l’abjection morale se rencontrent nécessairement. Comme disait Albert Camus, réfléchir sur le terrorisme, c'est patauger. Aussi pour ne pas sombrer, reste à s'appuyer sur le jugement moral mais à la manière du Baron de Münchhausen qui tente de se sortir du marécage en se tirant par les cheveux. Ainsi va le monde !
Didier Martz, essayiste et philosophe
le 21 mars 2016