Il est beaucoup question d'éthique de nos jours et pas seulement. En effet, l'usage de la notion connaît depuis les années 80/90 , un succès qui n'a pas faibli bien au contraire. En tapant simplement « éthique », sans mots associés et en français, on a quelques millions d'occurences sur un moteur de recherche bien connu. Depuis les chasseurs de Saint Sauveur le Vicomte en passant par le traiteur bio-éthique, le vendeur de sous-vêtements « peau-éthique », l'agence pour des voyages éthiques, l'éthique d'entreprise jusqu'à l'espace éthique de l'APHP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris) et au comité national d'éthique, la notion est devenue un fourre-tout.
On y trouve de la mode, du commerce, de la morale, de la philosophie, de la politique, de la déontologie, des bonnes pratiques, des recettes pour bien se comporter ; des livres, des conférences, des comités, le métier d'éthicien ou éthicienne -sorte de cosméticien de l'âme - , des formations à l'éthique... On y confond allègrement règles de politesse, règles de vie, règles morales et des questions profondes touchant à la personne superficielle. Last but not least, le dernier mais non le moindre, on se réjouira du fait que l'équipe de rugby d'Oyonnax entreprend de « redorer son éthique ».
Déjà, en 1991, Alain Etchegoyen écrivait La valse des éthiques, livre dans lequel il analysait cette inflation verbale comme le symptôme à la fois d'une faillite et d'un espoir. La faillite de la Morale classique discréditée dans nos discours comme dans nos pratiques et aussi l'espoir d'une morale en quelque sorte réformée, débarrassée de ses aspects les plus délétères. L'auteur montre que c'est dans la place laissée vide par la morale que s'est installée la mode de l'éthique parfois sous des formes les plus grossières et cyniques. Qu'on en juge !
Lors de la prise d'otages de l'Hyper Cacher de Vincennes, BFMTV, la chaîne d'information en continu, avait révélé la présence de clients cachés dans une chambre froide de l'établissement. Information - si l'on peut dire - qui lui avait valu critiques et plaintes pour mise en danger de la vie d'autrui. A la suite de quoi, le PDG de la chaîne, décidait d'installer un Comité indépendant chargé de, je cite, «veiller aux règles d'éthiques ou de déontologie qui régissent la profession». Présidé par une personnalité extérieure, ce cénacle «pourra être consulté ou saisi en cas de litige ou de dérapage sur l'une de ces antennes». Nous voilà rassurés.
Les salles d'attente, les bars sont majoritairement équipés de grands écrans de télévision qui diffusent en continu des informations. BFMTV assure cette fonction de rendre nos cerveaux indisponibles à la réflexion en meublant l'espace mental et vital d'images, de commentaires oraux doublés d'informations écrites en bandeaux en bas d'écran. Images plus voix plus écrits répétitifs saturent l'air de boucles interminables jusqu'à saturation.
Et c'est au nom du droit à l'information que sont exposés, montrés et remontrés en boucle les objets personnels des passagers du vol d'Egyptair qui s'est abîmé en mer entre Paris et le Caire. Long travelling lent de la caméra : un short, un sac à main, une mallette, une veste et surtout... un jouet. La caméra ralentit alors, s'arrête presque, pour montrer les restes d'une vie d'enfant. Sans doute et toujours au nom du droit à l'information et du respect de la demande du téléspectateur repu, au nom de l'éthique donc, que ce viol des intimités est possible. Décidément, l'éthique c'est pas moral. Ainsi va le monde !
Didier Martz, philosophe, mercredi 25 mai 2016
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