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Billet de blog 3 octobre 2025

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Le sujet de la connaissance. Trois références

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Illustration 1

Descartes

A la suite de Montaigne, Descartes est un humaniste puisqu’il s’appuie sur la stabilité de l'"humaine nature" pour dégager le caractère premier et inaltérable de la pensée. Mais sa démarche, son point de départ est résolument solipsiste. Je pense, “cogito” constitue la première vérité, à partir de laquelle sera déduite toutes les autres, qu’elles soient métaphysiques, comme l’affirmation de l’existence de Dieu, ou scientifiques dans la connaissance réglée de la nature. La preuve (et l'épreuve) de mon existence s'effectue directement à partir du Je : “je pense donc je suis”, “cogito ergo sum”. Se penser soi-même, comme existant, c’est ce qu’on appellera plus tard la “conscience de soi”.

Or ce Je, ce sujet, Descartes n'hésite pas à le définir comme une “chose qui pense”. Et il écrit : “Il est certain que la pensée ne peut pas être sans une chose qui pense, et en général aucun accident ou aucun acte ne peut être sans une substance de laquelle il soit l’acte”. Voila qui semble nous ramener à une conception substantialiste du sujet ! Il y aurait donc une "chose" pensante (res cogitans), cette chose ayant simplement la particularité d’être “spirituelle” ? On pourrait certes y retrouver le thème de l'âme immortelle, essentiellement théologique. Mais là n'est pas l'essentiel. Dans le “cogito”, éclate la subjectivité proprement dite, au sens moderne : c’est que le sujet qui pense est le seul à se sentir et à se connaître comme "lui-même", le seul capable de dire “Je”, “ego”, “ego sum”. A partir de là le sujet est gros d'expériences en première personne, probantes, communicables, universalisables, et toute la "modernité" (moralistes, poètes, philosophes...) de s"engouffrer dans cette brèche. Certes la voie de l'intériorité était ouverte depuis longtemps avec des auteurs comme Marc-Aurèle, Saint Augustin, Montaigne, les poètes de La Pléiade, etc., mais Descartes affirme - définitivement - le Je avec toute l'autorité de la raison, de l'évidence logique, de façon à la fois rigoureuse et épurée.

Kant

Avec le Criticisme, la philosophie de Kant, une révolution se produit : la subjectivité gagne la connaissance elle-même, au sens où elle en constitue la limite. Selon Kant n'y a pas d'objectivité absolue en matière de connaissance, et il faut notamment renoncer à toute connaissance métaphysique, qui outrepasse justement le sujet. Descartes affirmait bien la toute puissance de la pensée, mais la vérité dépendait quand même en dernière instance de Dieu qui “installait” les idées vraies en lui. En sorte que, dans la connaissance, l’esprit se réglait sur quelque chose d’extérieur à lui. Avec Kant au contraire, les objets à connaître ne peuvent que se régler sur l’esprit humain, qui justement se révèle imparfait (l'entendement qui conçoit et connait nécessite l'expérience sensible, par nature limitée). Rien ne peut s’offrir à l’esprit qui ne soit affecté d’éléments propres à l’esprit lui-même. Voila la subjectivité kantienne : elle signifie tout simplement les limites de l’esprit humain, sa finitude.

Pourtant il y a bien une conception du sujet chez Kant, un sujet qui n’est certes pas une substance, mais une “forme” a priori qui assure “l’unité synthétique de nos représentations”. Ce sujet qu’il appelle “Je transcendantal” est donc la condition de toute expérience et de toute connaissance, c’est une pure fonction qu’il ne faut surtout pas confondre avec une substance. Il s’oppose à un autre sujet, le “moi empirique”, qui lui est le lieu de la subjectivité au sens de simple flux des pensées personnelles.

Hegel

C’est Hegel, et non Kant, qui a installé le Sujet (moderne) sur un piédestal. Hegel est d’ailleurs l’un des premiers à utiliser le terme de sujet quasiment au sens de “subjectivité”. C’est dire que Hegel entend dépasser le stade premier de la “substance”, où le sujet existe “en soi” mais pas encore “pour soi”. “Pour soi” signifie faire l’épreuve de soi dans l'existence, ou encore tout simplement “vivre” en faisant alterner ce que Hegel appelle le médiat et l’immédiat, les relations avec le monde et les relations avec soi-même. Ce qui fait évoluer le sujet vers lui-même, vers sa réalisation (son devenir réel), c’est sa capacité à nier, à s’arracher aux déterminations.

Mais il n’y a pas chez Hegel d’éclatement du sujet, d’extériorisation indéfinie. Le côté substance, dans toute sa rigidité pourrait-on dire, réapparaît en fin de parcours : ce qui attend le sujet dans sa course, c’est lui-même, le “Soi” que Hegel identifie au Concept (par opposition au simple discours) car on peut dire alors que le sujet se conçoit lui-même, non pas certes dans une sorte d’immobilité ou d’identité qui seraient celles de la substance, mais dans une réflexion supérieure et infinie menant – rien que ça – au Savoir absolu.

dm

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