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Billet de blog 10 octobre 2025

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La conscience est-elle une connaissance de soi ? (Problématique)

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La conscience est un thème majeur de la philosophie, sans doute parce que cette dernière se définit elle-même comme une sorte de “conscience supérieure” ou de « conscience critique », un redoublement de la pensée ordinaire se voulant « réflexion ».

Voici une définition des plus classiques, celle d'André Lalande dans son Dictionnaire de la langue philosophique : « La conscience est la connaissance plus ou moins claire qu’un sujet possède de ses états, de ses pensées et de lui-même. » Cette définition admet d’emblée que la conscience est une forme de connaissance, une connaissance de soi. Analysons chacun des termes. « Sujet » : au sens logique, « chose » (thème) dont on parle et à laquelle on attribue » des qualités ; au sens psychologique et moral, cela désigne l’être humain comme individu auquel on attribue des qualités : ici, le fait de posséder la conscience. « Etats » fait référence aux états psychologiques, nécessairement variés et changeants, d'un sujet. Les « pensée » apparaissent comme le contenu principal de la conscience. « Lui-même » renvoie à la notion l'identité : le « moi » perçu comme étant le même dans le temps, malgré les changements. La « connaissance » désigne, a priori, le savoir d’un sujet (une machine n’est pas censée connaître, même si elle calcule et traite des informations), donc la citation exprime finalement qu’un sujet dispose d’un savoir sur lui-même nommé précisément « conscience ».

L’étymologie du mot semble confirmer cette hypothèse puisque cum-scientia en latin signifie « avec le savoir ». Il s’agirait donc d’une connaissance par rapport à soi-même : savoir qui l’on est, ce que l'on pense, ce que l'on fait.

En outre, depuis ses origines, le projet de se connaître soi-même est l’ambition de la philosophie. Ainsi Socrate s’était-il approprié la formule inscrite au fronton du temple d’Apollon, à Delphes : « connais-toi toi-même » (Gnothi Seautón, en grec). C’est son « démon » personnel, sa voix intérieure (= sa conscience) qui le lui ordonne. Puis un philosophe comme Descartes répètera que rien ne se donne à connaître aussi aisément, aussi évidemment que sa propre pensée : pour lui, l’âme se connaît elle-même avant de connaître le monde. Cependant ce que ces philosophes visaient par « connaissance de soi » ne comportait pas de caractères psychologique ou personnel ; il s'agissait simplement de définir le propre de l’homme, son « essence », c'est-à-dire de prendre conscience que nous sommes avant tout un esprit, une âme raisonnable, et d’en tirer toutes les conséquences. Donc la "conscience" en jeu dans la démarche socratique se limite à une conscience "intellectuelle" impersonnelle, et encore n'est-elle jamais thématisée comme telle, seulement au titre d'une "prise de conscience"... de la vérité.

Cette thèse de Socrate ou de Descartes répond ainsi à la question "qu'est-ce qu'un homme en général", mais elle ne répond pas à la question "qui suis-je en particulier" en tant qu'individu, en tant que sujet. Or lorsqu'on se demande : "la conscience est-elle une connaissance de soi» ? c'est bien de la conscience individuelle qu'il s'agit, de l'homme en tant qu'individu s'interrogeant naturellement sur ses qualités personnelles, ses sentiments intérieurs, le sens de son rapport avec les autres, son avenir, etc... Notre question est bien : qu'est-ce que cela signifie être conscient de soi, se connaître soi-même en tant qu’individu - la question porte sur l’identité (qui suis-je ?) et par extension sur la personnalité (la totalité de qui je suis), elle ne porte pas seulement sur l’essence de ce que je suis (qu’est-ce que je suis : un être raisonnable, un homme).

Le problème est d’abord de fixer les conditions et les limites d’une connaissance de soi au demeurant sans doute partielle. La connaissance de soi, n'est-ce pas la quête (plutôt que le résultat) à jamais inachevée d'une vie ? Mais au-delà, il est possible de se demander si la connaissance de soi constitue vraiment la finalité d’une vie.

Deux conceptions complètement différentes de la conscience semblent s’opposer. La conscience est-elle avant tout une forme de repli, de recentrement sur soi (réflexivité), en supposant qu’il y ait bien « à l’intérieur » quelque chose à connaître ? Ou bien la conscience est-elle plutôt une ouverture, une prise de contact avec le monde (ex-istence) ? Dans ce cas la finalité d’une vie ne serait pas de se connaître mais au contraire de s’ouvrir (se risquer) à l’inconnu, au monde et aux autres…

Il y a peut-être une façon dialectique (progressive, et logique) de concilier ces deux conceptions. La manière dont un sujet prend conscience de lui-même est avant tout un processus, dont la réflexion et l’introspection ne constituent qu’une première étape. Tout le problème de la conscience tient dans ce vecteur, ce trajet (I) qui part du rapport « immédiat à soi-même qu’on peut appeler simplement « conscience de soi », (II) puis qui transite par une étape de « reconnaissance de soi » à travers l’action et la reconnaissance d’autrui, (III) et qui débouche finalement dans une sorte d'extériorisation de soi, de « conscience-hors-de-soi ». Cette dernière étape définit d’une part l’existence comme ouverture et engagement dans un monde où il s'agit moins pour le sujet de se connaître que d'être efficace, être heureux et se sentir libre, et d’autre part cela concerne des formes quasiment « objectives » de la conscience, sociales et collectives, qui déterminent au moins partiellement la conscience individuelle. Finalement, se connaître soi-même reviendrait surtout à connaître les facteurs extérieurs qui nous déterminent en nous laissant l'illusion d'être une conscience individuelle maîtresse d'elle-même. « Se connaître soi-même » reviendrait-il – comme avait ironisé Socrate – à « savoir qu’on ne sait rien » ? 

dm

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