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Qu'est-ce que la "réalité virtuelle" ?
La réalité virtuelle est une très vieille idée, inhérente à la conscience et à la réflexion humaines. Descartes (avec l'hypothèse du malin génie) et Platon (avec l'allégorie de la caverne) ont émis l'hypothèse que les témoignages de nos sens ne sont peut-être que des illusions causées par des manipulateurs ou des esprits malins ; ils ont par-là esquissé la notion de réalité virtuelle en la rapportant à l’action possible (et inquiétante) de quelque grand Autre. Peut-être celui-ci ne figure-t-il pas autre chose que la prééminence de l’élément symbolique. C’est-à-dire que la réalité virtuelle n’est pas d’abord construite techniquement ; elle est inhérente au langage considéré au niveau du signifiant, rien d’autre que des séries de différences relatives et négatives. De fait, le traitement informatique de données par combinaisons algorithmiques n'est qu'une variante de cette possibilité plus générale et quasiment infinie que nous offre le langage de tout transformer en fiction.
La possibilité d'une réalité virtuelle numérique nous permet de braver l'opposition aristotélicienne du virtuel et de l'actuel, et de considérer que le virtuel est dans certains cas à la fois réel et pleinement actuel. Il suffit de prendre en compte la notion de metaxu ou de « réalité intermédiaire » que l'on trouve chez Platon et de l'appliquer au domaine opératoire propre de la simulation : celui-ci apparaît alors comme une interface entre des modèles logico-mathématiques abstraits (eux-mêmes étaient considérés par Platon comme une metaxu, situés entre l'idée pure et le sensible) et des sensations physiques. En tant que médiateurs efficaces ces mondes virtuels ne sont en rien irréels (en tout cas pas imaginaires) et encore moins inactuels (pas du tout « potentiels ») puisque qu'ils permettent d'interpréter les expériences par des modèles théoriques – et réciproquement – jusqu'à les rendre interdépendants.
En tant que système formel obtenu mathématiquement, toute production virtuelle possède indiscutablement un statut de réalité « objective », mais cette objectivation n'est là que pour supporter l'expérience vécue d'un sujet – et ces deux aspects sont également « réels ». La virtualisation est une « déterritorialisation » efficace, elle procure un détachement de l'espace-temps social de référence permettant d'agir à distance partout et simultanément. C’est précisément ce que l’on cherche à faire avec la création d’une réalité virtuelle, soit la reconstitution numérique d'un monde permettant à un utilisateur connecté de mener une activité sensori-motrice en immersion et en interaction avec d’autres entités. Les interfaces matérielles ou « comportementales » de la réalité virtuelle sont de trois ordres : les « interfaces sensorielles » informent sensoriellement l'utilisateur de l'évolution du monde virtuel, les « interfaces motrices » informent la machine des actions de l'homme sur le monde virtuel, les « interfaces sensori-motrices » informent dans les deux sens l'ordinateur et l'utilisateur.
En réalité l’utilisateur-habitant d'une réalité virtuelle ne connaît qu'une immersion dite « pseudo-naturelle », car même si le temps de latence entre information et action est réduit technologiquement au minimum, des incohérences sensori-motrices subsistent du fait de notre inadaptation native à l'environnement 3D virtuel. N’oublions pas que le mot « virtual » signifie « quasi » en anglais, aussi lorsque le compositeur Jaron Lanier a proposé le premier l'expression « Virtual Reality » pour désigner un espace de représentation réaliste, tridimensionnel et immersif, il parlait probablement de « quasi-réalité ».
L'image virtuelle
Quant à l'"image virtuelle", elle relève de principes similaires à la "réalité" du même nom et se fabrique sur les mêmes bases opératoires. Par image virtuelle l’on entend en général une image de synthèse numérique, obtenue par des procédés de modélisation informatique en 3D, et décodable par un matériel adéquat. Le concept de synthèse renvoie à une création de toute pièce, sans rapport avec un « avoir-été-là » (Barthes) quelconque, et donc s'oppose essentiellement au concept de trace. Partant l’image de synthèse peut certaines fois être analogique (peinture, dessin animé) et d’autres fois numérique, par opposition à l’image-trace, qu'elle soit elle-même analogique (photo traditionnelle) ou trace numérique (photo stockée sur puce par ex.).
En quoi l'image de synthèse numérique serait-elle donc spécifiquement virtuelle ? Ce dernier terme se contente de pointer le système de codage/décodage nécessaire à la fabrication, au stockage et à la diffusion de l'image, sans rien enlever à son « actualité » si ce n'est le phénomène de latence constitutif du processus d'affichage. Ce qui est virtuel, c'est proprement l'entre-deux, la relation entre l'engramme numérique et la représentation visuelle qu'elle produit.
Vers la réalité augmentée
La réalité virtuelle trouve déjà son utilité dans la plupart des domaines de la vie courante : loisirs (le jeu vidéo comme domaine de prédilection de la RV), sports et techniques militaires (développement des capacités d'entraînement et analyse des situations), secteur médical et systèmes critiques (apprentissage et maîtrise des situations de catastrophe), enseignement (traitement informatique des bases documentaires), langage des signes (comme la transcription informatique des mouvements de paupières dans le cas des tétraplé-giques), etc.
La réalité virtuelle ne doit pas être confondue avec la « réalité augmentée », dispositif permettant d'interagir efficacement avec le monde concret en utilisant des informations synthétiques pour renforcer la perception de la réalité. A vrai dire celle-ci est n'est qu'une possibilité, une application particulière de celle-là.
L’augmentation de la réalité ne va pas sans une certaine forme d’hallucination. Grâce à l'utilisation d'accessoires sophistiqués (gants, combinai-sons, lunettes...), on développe des formes de perception hallucinatoire qui consistent à renvoyer des stimuli visuels et auditifs reproduisant la sensation de la texture des matériaux, la température des objets ou la sensation de poids, voire même la caresse d'une main sur la peau... Bientôt faire l'amour à distance ne relèvera plus du fantasme ou de la science-fiction.
dm