
L'âme ou l'intériorité
La conscience peut d’abord être définie par l’intériorité, et l’intériorité est définie par l’ensemble de notre vie psychique : pensées, sentiments, émotions, sensations, états d’âme, etc. Cela suppose un “extérieur”, c’est-à-dire le monde des choses par opposition au monde de la conscience. N’oublions tout de même pas que l’adjectif « intérieur » n’est qu’une métaphore, une transposition au plan psychologique d’une réalité physique, le caractère de ce qui est cerné et clos par quelque limite (de ce point de vue, à l'"intérieur" de nous, il n'y a que des organes !). « Intériorité » du sujet qui s’applique au caractère privé, caché, invisible, non localisable et apparemment immatériel de la conscience – toujours par opposition au monde physique extérieur, dont fait évidemment partie le corps. D’où cette opposition classique entre l’âme - qui n’est nulle part dans l’espace, donc littéralement pas plus à l’intérieur qu’à l’extérieur - et le corps, qui occupe l’espace. En tout cas, même si ce terme d’intériorité est contestable, nous possédons tous une « vie intérieure », qui le niera ? - Notons quand même que le corps (supposé visible) est aussi bien le lieu par excellence de l’intimité, et l’objet de la pudeur (ce qui doit rester caché) ; par opposition « la conscience (supposée cachée) est bien ce qui nous sert à communiquer… Paradoxe, donc ! Ce n’est pas aussi simple...
L’« âme » est un terme ancien (psyché en grec, anima en latin) qui désigne originellement le principe vivant d’une chose, ce qui anime une chose. Bien souvent on emploie indifféremment « âme » ou « esprit », mais son assimilation avec l’« esprit » au sens intellectuel ou même psychologique du terme est un phénomène tardif, dû aux premiers philosophes chrétiens. Hormis Platon, les philosophes grecs ne cherchaient pas à séparer l’âme et le corps, l’âme sous ses différents aspects n’étant au fond que l’ensemble des fonctionnalités du corps. Le propre de l’homme selon Aristote est de posséder, outre une âme végétative (alimentation et reproduction) et une âme sensitive comme tous les animaux, une âme intellectuelle ou rationnelle (faculté “dianoétique”). Il est donc absurde d’affirmer que les « animaux » (terme tout droit dérivé du latin anima) n’ont pas d’âme ni de psychisme sous quelque forme que ce soit. En revanche le règne minéral ne possède pas d’âme.
Moi et identité, conscience et subjectivité
Comment passe-t-on de la simple intériorité (d’abord sensitive et affective : plaisir, joie…) à la subjectivité consciente, de la simple sensation de soi à la conscience de soi ? En faisant intervenir une faculté de représentation qu’on appelle généralement la pensée, qui implique aussi réflexion (voire division) et distanciation…
Représentation : moi. - Il y a deux vérités immédiates et incontournables que tout être humain sait de lui-même: "Je suis" (personne ne peut dire "je ne suis pas") et "je suis moi" (personne ne peut dire, sauf trouble grave, “je ne suis pas moi-même”). L’identité, c’est donc le fait de rapporter à un moi unique la perception de son existence, à la fois mentale et corporelle (car le corps est aussi un élément essentiel de notre identité).
La conscience est une faculté de re-présentation mentale. Je rassemble dans un même vécu “subjectif” la totalité disponible de mes pensées, de mes sentiments, et de tout ce que je ressens, y compris physiquement. Cela vaut pour le présent comme pour le passé, pour autant que la mémoire ne me fait pas défaut (notion d’identité mémorielle). Cette faculté constante de rapporter les choses à soi, puis de se représenter, de se considérer soi-même, intentionnellement ou pas, bref d’avoir une subjectivité, ce n’est rien d’autre à proprement parler que la pensée.
Réflexion et division : je et moi. - Cette différence notable entre la simple intériorité (sentir quelque chose en soi : par ex. plaisir, joie…) et la subjectivité (sentir quelque chose comme appartenant à soi, et se sentir soi-même : par ex. fierté, honte…) implique donc la faculté de se représenter soi-même, et même de se réfléchir soi-même. La conscience est une sorte de réflexion ou de rapport à soi, qui divise l'être en un pôle sujet et un pôle objet. Penser consciemment c’est être capable de dire « je me », et d'agir en conséquence : je me morfonds ou je m'éclate, je me fais du mal ou du bien, je pense à moi, je m'aime, etc. Le sujet grammatical, ou pronom, est double : il y a "je" (dit "sujet" du verbe) et "moi" (dit "complément d'objet" du verbe). La réflexion, la division ou la duplication de soi pour mieux se saisir soi-même "en entier", c'est donc le propre de la conscience.
Distanciation : moi et les autres. - La conscience implique un pouvoir de distanciation entre soi et soi d’une part (réflexion), et entre soi et le monde d’autre part, un certain parcours qui sépare justement le simple fait d’avoir un moi (identité immédiate quasi-instinctive) et le fait d’être un sujet (personnalité consciente et mature). Le sujet conscient a la faculté de se poser soi-même face au monde, face aux autres. Cela revient à faire l’épreuve d’une certaine solitude existentielle : « je suis moi, je ne suis pas toi, et je ne le serai jamais » ! Tout être humain sait cela… Solitude assez vertigineuse, quand on y pense : “pourquoi moi ?”, “pourquoi suis-je moi ?”. Pourquoi suis-je enfermé dans la coquille de ce moi ridicule, étroite fenêtre par laquelle j’entrevois le monde ? La vérité c'est que le moi n’est pas seulement un être comme les autres dans ce monde (ce qui en ferait seulement un objet), mais aussi et surtout un point de vue singulier sur le monde et les choses (ce qui fait de lui un sujet). Un moi parmi d’autres mois qui ne sont jamais que d’autres points de vue… Heureusement que ces points de vue se rejoignent : c’est la vie sociale, l’intersubjectivité, le rapport à Autrui.
dm