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Billet de blog 13 septembre 2025

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Les représentations communes de la philosophie et du philosophe

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Les usages communs du mot “philosophie” 

Comme toute manifestation du sens commun, ces expressions sont trompeuses ou donnent une vision très simplifiée des choses.

“Voir les choses avec philosophie...” La philosophie serait une sorte de qualité ou de vertu morale, permettant de "prendre ses distances" d'avec l'accessoire et d’aller à l'essentiel. C’est la philosophie au sens de sagesse pratique, dont le but serait l’accès au bonheur. Les philosophes eux-mêmes ont adopté ce sens courant, tel Epicure : « La philosophie n’est pas une science pure et théorique, c’est une règle pratique d’action ; bien plus, elle est elle-même une action, une énergie qui procure, par des discours et des raisonnements, la vie bien heureuse. »

“C’est ma philosophie…” Cette expression laisse entendre que chacun aurait “sa” propre philosophie, comme si la philosophie se réduisait à un ensemble d’idées ou d’opinions personnelles, une certaine “vision des choses” ou de la vie. C’est la philosophie comme sagesse personnelle. Certes là encore ce n’est pas totalement faux, car les philosophes ont souvent insisté sur l’engagement personnel que représente la recherche philosophique.

Ces conceptions populaires de la philosophie comportent donc une part de vérité, mais si elles étaient suffisantes, pourquoi enseignerait-on la philosophie comme une discipline, au lycée et à l'université ?

L’image commune du philosophe

Un certain nombre de préjugés ou de “clichés” circulent également à propos de la personne des philosophes. On se les représente volontiers comme de “doux rêveurs”, des contemplatifs déconnectés de la réalité et inaptes à l’action, des personnes tour à tour admirées et ridiculisées. Platon, prenant pour exemple le savant Thalès, relève cette réputation de rêveur mais il prend aussi sa défense : « Thalès observait les astres et, comme il avait les yeux au ciel, il tomba dans un puits. Une servante de Thrace, fine et spirituelle, le railla, dit-on, en disant qu'il s'évertuait à savoir ce qui se passait dans le ciel, et qu'il ne prenait pas garde à ce qui était devant lui et à ses pieds. La même plaisanterie s'applique à tous ceux qui passent leur vie à philosopher. Il est certain, en effet, qu'un tel homme ne connaît ni proche, ni voisin ; il ne sait pas ce qu'ils font, sait à peine si ce sont des hommes ou des créatures d'une autre espèce ; mais qu'est-ce que peut être l'homme et qu'est-ce qu'une telle nature doit faire ou supporter qui la distingue des autres êtres, voilà ce qu'il cherche et prend peine à découvrir. » Platon nous explique clairement que le philosophe, en apparence coupé de la réalité immédiate, cherche à connaître la réalité profonde, l’essence des choses, et aussi ce que les hommes doivent être et ce qu’ils doivent faire.

Un autre personnage de l’antiquité illustre bien cette réputation ambiguë du philosophe : le célèbre Diogène de Sinope (404-323 av. J.-C.), un marginal qui vivait dans un tonneau et qui osa donner la réplique à l’empereur Alexandre : « ôte-toi de mon soleil ! »

« Ayant vu un jour une souris qui courait sans se soucier de trouver un gîte, sans crainte de l'obscurité, et sans aucun désir de tout ce qui rend la vie agréable, il la prit pour modèle et trouva le remède à son dénuement. Il fit d'abord doubler son manteau, pour sa commodité, et pour y dormir la nuit enveloppé, puis il prit une besace, pour y mettre ses vivres, et résolut de manger, dormir et parler en n'importe quel lieu. (...) Il s'étonnait de voir les grammairiens tant étudier les mœurs d'Ulysse, et négliger les leurs, de voir les musiciens si bien accorder leur lyre, et oublier d'accorder leur âme, de voir les mathématiciens étudier le soleil et la lune, et oublier ce qu'ils ont sous les pieds, de voir les orateurs pleins de zèle pour bien dire, mais jamais pressés de bien faire, de voir les avares blâmer l'argent, et pourtant l'aimer comme des fous. (...) Il affirmait opposer à la fortune son assurance, à la loi sa nature, à la douleur sa raison. Dans le Cranéion [une colline de Corinthe], à une heure où il faisait soleil, Alexandre le rencontrant lui dit: « Demande-moi ce que tu veux, tu l'auras. » Il lui répondit : « Ôte-toi de mon soleil ! » (...) Il se promenait en plein jour avec une lanterne et répétait : ‘Je cherche un homme.’» (D. Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres)

"Diogène-le-chien", tout à tour sublime et ridicule. Diogène est "sage" en ce sens qu’il dénonce l’hypocrisie des conventions sociales en se fondant sur la seule raison et sur la nature. Il apparaît comme le champion de l'honnêteté, de l'authenticité et finalement de la vérité. Quoi de plus moral finalement que la conduite de Diogène, malgré ses provocations, son aspect associable ? Il est permis de voir dans ce "courage de la vérité" la vertu cardinale du philosophe, même si, en l'occurrence, l'assimilation du "vrai" et du "naturel" reste discutable. D’autre part Diogène, contrairement à Socrate , ne se préoccupe pas de « savoir »…

dm

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