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Billet de blog 13 octobre 2025

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L'identification imaginaire ou le stade du miroir

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Illustration 1

La conscience du moi individuel n’est nullement évidente ni surtout immédiate. Elle est le résultat d’un processus d’identification qui intervient dans l’enfance, que les psychologues connaissent bien et que nous pouvons scinder en deux phases successives : une identification imaginaire et une identification logique ou linguistique.

Concentrons-nous aujourd'hui sur la première identification, baptisée « expérience du miroir » par le psychologue Henri Wallon (1931) ou « stade du miroir » par le psychanalyste français Jacques Lacan (1936, 1949)  ; elle concerne le processus par lequel le jeune enfant, à partir de 6 mois (mais cela reste variable), parvient à la reconnaissance de sa propre image, de sa propre forme corporelle. En effet, aux premiers âges de la vie, l’enfant ne perçoit distinctement que des fragments de son corps, puisque à aucun moment il n’a pu se contempler dans un miroir. Il le peut évidemment grâce à un adulte qui le porte, cependant avant un certain degré de maturité psychologique et cognitive, une telle image sera vue mais elle ne sera pas perçue, c’est-à-dire reconnue : c’est ce qui se passe avec la plupart des animaux qui, placés devant un miroir, soit ne remarquent rien de particulier, soit se comportent comme s’ils étaient face à des congénères, à des autres. (Notons que chez les singes supérieurs, l'expérience peut s'avérer concluante mais cela implique l'intervention humaine, au moins dans le dispositif de test, autrement dit qu'on les aide - cf. par exemple test de Gallup, 1970). Or un beau jour il advient que, porté par l’adulte qui s’avère généralement être sa mère ou son père - lequel exhibe fièrement sa progéniture devant le miroir et lui témoigne ostensiblement le plus vif intérêt – l’enfant va sourire au miroir, ou plutôt en souriant au regard de l’adulte qui le porte va du même coup sourire à sa propre image et donc se reconnaître. Puissance de l’analogie : comment ne pourrait-ce pas être lui, ce petit être sur lequel se concentre le double regard de l'adulte et de lui-même dans le miroir, confirmé par la présence de l'autre dans le réel ?

On comprend bien que sans la participation de cet autre, de l’adulte, sans l’attestation qu’il apporte, et à la condition expresse qu’il se montre bienveillant (sourire), qu’il lui fasse signe et/ou qu’il lui parle (à la vérité, on peine à imaginer le cas contraire où c’est le « mauvais œil », ou le mutisme de l’autre, qui est rencontré !), aucune identification ne pourrait avoir lieu : l’enfant, tout seul face au miroir ne serait pas plus avancé qu'un animal, il ne pourrait pas se reconnaître. Paradoxalement, il faut donc être deux au départ pour que le Un de l’identification soit fonctionnel. Mieux : « je » me vois d’abord tel que je suis vu par l’autre, c’est-à-dire (espérons-le, donc) « bien vu », valorisé, grandi. C’est ce qui explique cette jubilation et ces éclats de rire, de l’enfant face au miroir, qui ne cesseront plus… On lui dit qu’il est beau ! Il est ravi, littéralement conquis par sa propre image. Ce phénomène est à l’origine du narcissisme imaginaire, littéralement la fascination pour sa propre image. Voir le mythe de Narcisse. C'est le psychanalyste français Jacques Lacan qui a particulièrement souligné cette dimension narcissique du « stade du miroir ». Mais il ajoute une dimension supplémentaire qui s'avère décisive : au-delà des deux protagonistes réels nouant ainsi un lien imaginaire, se tient une instance proprement symbolique, qui est celle du langage : car l'adulte parle dans ces moments-là, on l'a dit, et l'enfant babille ou rit. Ces parole sont signifiantes, valorisantes, et surtout elles s'adressent à lui de manière indubitable.

Le “stade du miroir” nous apprend déjà trois vérités fondamentales concernant le Sujet ou la subjectivité, et même la conscience : 1) “Je” n’existerais pas sans autrui, autrement dit l’altérité est la condition de l’identité, 2) le “moi” qui se construit dès la petite enfance est en grande partie imaginaire et narcissique, c’est-à-dire (déjà !) rempli d’illusions sur lui-même, 3) la “conscience” elle-même doit composer d’emblée avec une bonne part d’inconscient, puisque cette incidence d’autrui ainsi que l’aspect narcissique-imaginaire de l’identification se font à l’insu du sujet, autant d’incidences dont il ne retrouvera jamais la mémoire. 

dm

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