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Quand il s’agit des femmes Nietzsche se veut particulièrement provocateur, voire inamical, puisqu’il va jusqu’à les comparer à des animaux (nommément « chattes », « oiseaux », ou « vaches ») tour à tour séduisants, craintifs ou indolents ! D’après lui la femme veut une amitié toute nue, en quelque sorte avouée, sans mystère et sans polémique, et n’aspire qu’à la facilité. Elle n’est pas capable de mener la guerre à ses amis, et surtout d’honorer ses ennemis, ce qui prouve bien qu’elle confond amour et amitié. Car la suprême amitié consiste à provoquer, à réveiller l’ennemi en son ami, et à aimer l’inimitié de celui-ci pour la liberté que cet acte suppose. En ne pouvant aimer, par nature ou par excès d’humanité, son ennemi, la femme ne peut également accéder au véritable universalisme, celui qui commande d’aimer son ennemi « lointain » (ou l’Etranger) davantage que son ami proche.
Que la misogynie de Nietzsche soit sincère ou simplement de façade, ou mieux provocatrice, soutenons qu’elle nous donne peut-être la clef d’une certaine idéologie politique et historique de l’amitié. S’il est vrai, comme le rappelle Derrida, que la fraternité naturelle et sa nostalgie ont depuis toujours lesté la pensée philosophique de l’amitié, l’autre face de ce problème est bien l’exclusion constante du féminin. Or Nietzsche, malgré les apparences, ne renchérit pas sur cette exclusion, car en déclarant les femmes incapables en la matière, il s’adresse en réalité aux femmes et leur lance un défi… Rien moins qu’une déclaration de guerre ! Voudrait-on s’attirer l’inimitié des femmes qu’on ne s’exprimerait pas autrement ! Mais cette provocation considérable est déjà une considération, elle va beaucoup plus loin que le respect de façade affiché par les mâles envers leurs sœurs dans le giron d’une humanité fraternelle et charitable. Faisons donc des femmes nos ennemies, nous leur devons bien ce respect, car entre les hommes et les femmes aucune paix ne doit régner. La psychanalyse abonderait peut-être dans ce sens, tout en logicisant ce non-rapport. Ici c’est plus métaphorique : si l'on couple ces poussées misogynes avec certaines déclarations de Nietzsche sur la nécessité de célébrer ses ennemis ("L'homme qui cherche la connaissance ne doit pas seulement savoir aimer ses ennemis, mais aussi haïr ses amis", Ainsi parlait Z.), on en déduit qu'il s’agirait de défier d’abord, puis de célébrer, une femme donc une ennemie, en chaque être humain dont nous prétendons être l’ami !
Ainsi le rejet nietzschéen du féminin peut être interprété lui-même comme une preuve d’amitié. Après tout ne se trouve lésé qu’un certain concept, phallocentriste à n’en plus pouvoir, de la « féminité ». Pour ce qui est « des femmes », c’est tout à fait autre chose. D’ailleurs il s’agirait plutôt de voir le féminin dans l’humain, plutôt que seulement défendre l’humain dans le féminin. N’oublions pas qu’avec Nietzsche ces valeurs, ces repères subissent une profonde transvaluation. L’on ne part pas de la différence sexuelle homme/femme ou même de l’opposition amitié/inimitié. A vrai dire la hiérarchie nietzschéenne homme/surhomme peut elle-même être remisée. L’opposition réelle – ce n’est donc plus une opposition mais une apposition – passe entre l’ami.e et l’amitié abstraite, entre les femmes et la féminité supposée.
dm