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Billet de blog 27 octobre 2025

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Savons-nous bien ce que nous désirons ?

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Illustration 1

Le désir évoque a priori l’empire du corps, du "matériel" et du charnel : on pense immédiatement à envie, convoitise, pulsion, plaisir ou possession... Pourtant, ce n'est pas exactement ce que suggère l’étymologie. Le verbe “désirer” vient du latin « desiderare ». « Sidus », « sideris » : constellation. « Considerare », c’est contempler l’astre. « Desiderare » c’est regretter son absence. L’étymologie présuppose ainsi deux éléments : 1° l’objet du désir possède une grande valeur (merveilleux, brillant comme un astre) 2° il est absent, de sorte que le désir serait manque.

Lalande, dans son Dictionnaire, définit le désir comme une “tendance spontanée et consciente vers une fin connue ou imaginée”. La fin ou le but est ici l’« objet » du désir. Désirer, c’est tendre vers quelque chose. Mais la « tendance » est souvent assimilée à la pulsion spontanée, c’est pourquoi Lalande ajoute l’adjectif « consciente ». Spontanée : car le désir ne se décrète pas, il n’est pas un choix ou une décision issue d’une délibération ou d’une réflexion. Consciente : car le désir est « subjectif », il mobilise notre personne entière et tout notre être.

Cependant, depuis Freud, l’on parle aussi de « désir inconscient ». De même qu’il ne faut pas confondre la pulsion (locale) et le désir (global), il ne faut pas confondre la volonté (toujours consciente) et le désir (parfois inconscient). La volonté est toujours consciente et précède l’action. Tandis que désir est un pur ressenti, qui peut être inconscient. La volonté est consciente : normalement, je sais ce que je veux ! Même si quelqu'un me fait remarquer avec un air légèrement exaspéré : "tu ne sais pas ce que tu veux !", cette phrase vise plutôt mon désir car elle a précisément pour signification : "ce que tu désires (réellement) n'est pas ce que tu veux (apparemment)", donc "tu ne sais pas ce que tu désires" !

Tâchons de clarifier : ce qui est conscient dans le désir c’est le fait même de désirer (je désire quelque chose… ou pas) ; ce qui a priori est inconscient c'est pourquoi l’on désire (quelle est l’origine de ce manque ?) ; enfin ce qui est plus ou moins conscient, c'est l'objet même du désir (est-ce vraiment ceci… ou plutôt cela ?). D’où la suite ambiguë de la définition de Lalande : « connue ou imaginée ». Une fin imaginée, cela peut aussi bien être un objet rêvé au sens d’idéal qu’un objet rêvé au sens d’illusoire, inexistant…

En tout cas cet aspect imaginaire de l’objet du désir introduit un doute : savons-nous vraiment ce que nous désirons ? Au-delà des objets immédiats que l'on "croit" désirer, le motif véritable qui relance sans cesse notre désir n'est-il pas par définition toujours "autre" et mystérieux ? Car il semble évident que si le désir implique un manque, il faut bien qu’il ne soit jamais satisfait entièrement pour continuer d’exister, donc il faut que l’objet demeure de quelque façon insaisissable. A ce sujet l'on peut distinguer trois grandes positions, trois thèses qui nous mènent vers un mystère toujours croissant…

– La 1ère thèse ne fait aucun mystère, bien au contraire, c'est celle connue sous le nom d'eudémonisme qui est majoritairement celle des philosophes antiques : le désir serait un phénomène "naturel" se donnant des buts eux-mêmes naturels, comme se nourrir convenablement, s'accorder des satisfactions physiques et intellectuelles, et tout ceci finalement dans le but supérieur d'accéder à l'harmonie de l'être et au bonheur… Mais l'homme désire-t-il "simplement" comme un être naturel, c'est-à-dire essentiellement autocentré ? Peut-il se contenter d'un bonheur "simple" et d'ailleurs est-il fait pour le bonheur ?

– La 2ème thèse considère au contraire que le désir est un phénomène spécifiquement humain et même social, dont l'objet serait la reconnaissance. Si le désir est propre aux sujets conscients (pour le distinguer des instincts et des simples tendances), il faut bien qu'il se montre en quelque sorte à la "hauteur" de la conscience. C’est la conscience elle-même qui désire, et que désire-t-elle sinon la reconnaissance de soi ? D’où le fait que le désir soit intrinsèquement social, c’est-à-dire mimétique. D’où ces formes de désir que nous rencontrons typiquement au sein de la société, comme le désir de domination ou le désir de pouvoir. Or cette influence d’autrui sur notre propre désir, en sommes-nous conscients ?

– La 3ème thèse pousse plus loin la précédente, jusqu'à assimiler l'essence du désir (et le comble de la reconnaissance), avec le désir amoureux, dont l’objet est l’Autre en tant que tel. Le vrai désir humain n’est-il pas en effet le désir d’aimer un autre humain et d'être aimé par lui ? Qu'est-ce que le désir amoureux sinon le désir de posséder l’Autre et/ou d’être possédé par lui, en passant le plus souvent par la possession charnelle ? N’est-ce pas alors un paradoxe étonnant, puisqu’il est évidemment impossible de posséder l’Autre physiquement, et que la sexualité ne fait que nous en donner l’illusion ? Serions-nous assez fous pour désirer l’impossible ? Or, c’est bien sous cet aspect - passionnel et sexuel - que le désir humain échappe en grande partie à la conscience étant donné ses soubassements pulsionnels et fantasmatiques, essentiellement inconscients.

dm

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