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Savons-nous bien ce que nous désirons, et pourquoi ? Est-ce la cause du désir que l’on doit dire “inconsciente”, son élaboration, ou bien son objet, son but, ou bien toutes ces dimensions réunies ? Comment naît le désir à partir de la pulsion et comment l'imaginaire, le fantasme, s'en empare-t-il ? Quelle est la cause inconsciente de notre désir ?
Pulsion, demande, désir
« Désir inconscient », ceci peut signifier plusieurs choses. La première c’est qu’il provient des pulsions (du « ça », selon Freud), elles-mêmes largement inconscientes. Mais si le désir provient des pulsions, il est davantage qu’une pulsion : c’est son élaboration qui paraît effectivement inconsciente. Le désir provient du fait que l’homme, pour satisfaire ses pulsions, doit demander à l’Autre, d’une manière ou d’une autre. C’est vrai pour le jeune enfant, par rapport à sa mère nourricière, c’est vrai pour l’adulte dans sa vie sexuelle. Jacques Lacan, psychanalyste français, écrit que « le désir se forme dans la marge où la demande se déchire du besoin ». Cela signifie que la demande (celle du nouveau-né par exemple) est toujours en excès par rapport au besoin. Elle est toujours angoissée aussi, parce qu’on ne sait jamais ce que l’Autre veut bien nous donner. Ce qui est inconscient dans notre désir, depuis le tout début, c’est la part qu’a pris Autrui dans sa formation. C’est la cause du désir. Ce n’est pas l’objet visé par le désir, mais l’objet qui le cause. Or cet objet du désir, si on ne confond pas avec l’objet du besoin (le lait de la mère, par exemple), ni avec l’objet de la pulsion (le sein), il n’est rien d’autre que… l’Autre précisément (la mère, en l’occurrence). Ce que désire réellement l’enfant, c’est la présence et donc l’amour de sa mère. Rien d’autre… mais c’est déjà suffisamment « autre », puisque à jamais incertain...
Désir et transgression, fantasme et perversion
D’autre part si le désir est essentiellement inconscient, c’est parce qu’il repose sur une construction imaginaire qu’on appelle le « fantasme ». Il y a certes des fantasmes conscients ou pré-conscients, des sortes de « rêves éveillés » plus ou moins réjouissants… mais la partie immergée, beaucoup plus structurelle, caractéristique du sujet, demeure inconsciente. Selon Freud et ses disciples, le désir n’existerait pas sans cet apport imaginaire inconscient, qui littéralement soutient le désir. Pourquoi ? Parce que sinon le désir se contenterait de pointer désespérément vers le vide (le manque) qui l’appelle, et aussi qui le cause. Rien d'autre que le manque. Il serait tout simplement et constamment insatisfait, désespéré, frustré. D’un autre côté, si l’homme pensait posséder réellement l’objet de son désir, alors il serait fou. C’est impossible, par exemple pour un enfant, de « posséder » l’amour de sa mère (car cela ne dépend pas de l’enfant ; l’amour de l’autre n’est jamais assuré ; croire l’inverse, c’est la folie), de même qu’il est impossible (ou plutôt interdit) de désirer « posséder » sa mère (c’est l’inceste). Donc il faudrait distinguer l’objet du désir qui est le manque lui-même (cette « chose » originelle perdue, à jamais inaccessible) et l’objet du fantasme (soit ce que nous mettons à la place de cette chose manquante)…
Justement, à propos d’Œdipe et d’inceste, il faut souligner ici, sous des aspects aussi bien psychologiques que sociologiques, le caractère essentiellement transgressif du désir. Comme si le désir n’était qu’une conséquence directe de la loi qui, loin d’annihiler le désir, ne ferait que le relancer par son refoulement même. Par nature le désir porterait sur ce qui est interdit. Psychologiquement : à travers son élaboration du « complexe d’Œdipe », Freud semble tenir que le premier désir, le désir infantile, est un désir incestueux (fusionnel) – donc interdit. Ce qui motive le désir dans ce cas, n’est autre que le caractère résolument impossible de la satisfaction du désir, à cause de la présence du Père (ou de tout Autre à sa place, qui interdit tout lien fusionnel entre mère et enfant), c’est le manque lui-même. Sociologiquement : l’on retrouve la thèse girardienne du « désir mimétique », car si le désir de l’homme est d’imiter et surtout de convoiter le désir de l’autre, il s’agit donc bien d’un désir interdit, transgressif, un désir qui comporterait même nativement une forme de violence.
Par ailleurs, ce caractère transgressif est bien une constante des fantasmes, qu’ils soient explicitement sexuels ou non, justement parce que le fantasme surestime et idolâtre l’objet. Le fantasme ignore tout sentiment d’amour, il n’est qu’un instrument de la jouissance, autant dire qu’il est intrinsèquement pervers. On dit « avoir des fantasmes coquins », ce qui est évident, car il n’y a pas de fantasmes vertueux ! Donc si certains sujets peuvent être qualifiés de pervers (structurellement, tout entier dans leurs fantasmes : pédophiles, sadiques, masochistes, etc.), les fantasmes n’en sont pas moins vitaux pour soutenir tout désir en général, qui sinon resterait frustré ou bien virerait à l’amour « platonique » (purement sentimental, visant une beauté idéale).
Savons-nous ce que nous désirons ? C’est donc la « chose » manquante qui fait que l’on désire (le fameux « astre » disparu, « sidus » dans l’étymologie du mot désir), c’est donc cela que l’on désire, sauf qu’on ne peut pas vraiment le « savoir », puisqu’il s’agit d’une chose mythique, perdue et oubliée, inconcevable, enfouie dans notre inconscient (comme la présence pleine et entière de la mère, elle-même mythique). Cela ne peut évidemment pas préoccuper notre esprit. De même que nous ne savons pas pourquoi ni comment nous « remplaçons » cette Chose absente par des objets de fantasme qui, eux, nous sont propres, des objets sexuels ou bien des objets de la réalité ordinaire auxquels nous prêtons des vertus imaginaires, quasiment libidinales : l’argent, le smartphone à plus de mille euros, la maison, la belle voiture, la 1001ème paire de chaussures inutile, bref tout ce qui fait le quotidien de nos désirs concrets, toute ces petites « choses » sur lesquelles nous projetons (sans le savoir) tant de rêves et parfois tant de nostalgie…
dm