Dans l'ouvrage collectif On ne dissout pas un soulèvement, 40 voix pour les soulèvements de la terre, Éditions du Seuil, le texte d'Édouard Glissant sur la « composition », tente d'expliquer que ce mouvement ne repose pas sur un ou des accords, « Des grosses machines se rassemblent, mais semblent le plus souvent additionner leurs inerties (…) privilégier leur maintien à la dynamique réelle du mouvement. », mais sur l'agencement, la composition d'une diversité, dont la réunion tient à « un constat stratégique partagé et un terrain d'action commun » sur l'aspiration à une communauté de différences où celles-ci conviendraient de « dépassements » et de « déplacements » de leur identité propre au profit d'un agir commun, « art subtil des accords et des arrangements » que Glissant identifie à une « harmonie des dissonances ».
Pour finir, il en revient à une forme de créolisation politique qui consisterait à transcender les différentes sensibilités « sans les fondre et les confondre ».
Cette analyse, pour être séduisante, n'en est pas moins fragile et abusivement optimiste car elle suppose une situation et des attitudes idéales qui consisteraient à mettre en veilleuse des sensibilités naturellement opposées en organisations distinctes et parfois hostiles au profit d'une raison supérieure.
La réalité dément quelque peu cette thèse, d'abord parce qu'elle est peu mobilisatrice. Certes, 150000 signatures, ce n'est pas rien, mais pas grand-chose face à la répression étatique, pas grand-chose même en comparaison des réactions à propos du changement de direction du journal réactionnaire qu'est le JDD, mais pas grand-chose dans la rue où quelques personnes se montrent mollement dans des « rassemblements » de soutien aux Soulèvements de la terre et aux mis en examen.
J'en veux pour preuve le rassemblement qui s'est tenu à Mauléon, petite ville de 3000 habitants, mercredi 28 juin à 18:30. Les organisateurs, identifiés comme tels parce qu'ils ont déployé une banderole et disposaient d'un mégaphone, sont arrivés vers 19:00, alors que les attendaient une quarantaine de personnes. Ils ont salué et se sont entretenus avec les gens qu'ils connaissaient, ont encore laissé passer quelques dizaines de minutes avant une prise de parole. Dans ce temps perdu, quelques jeunes venus se joindre à la manifestation, n'ont sans doute pas compris ce qu'on attendait, n'ont pas été accueillis, pas plus que les autres, et sont partis avant les prises de paroles qui ont consisté en déclarations convenues et lecture de textes, dont un en langue basque sans traduction. Rien n'a été proposé aux participants, sinon partager un apéro, alors qu'on n'est même pas foutu de partager ni d'échanger idées, pensées, propositions à s'investir, à rejoindre l'action tout simplement. J'ai même assisté à une scène surréaliste où un manifestant locuteur basque a opposé un silence radical à un autre manifestant qui s'adressait à lui en français.
Où est « la construction hybride d'un langage commun » d'Édouard Glissant, dans une réunion où même à 50 personnes, on n'est pas capable, je ne dis même pas de fraterniser, simplement de sympathiser, de s'accorder autour d'un combat qui devrait nous unir ? Peut-être le rassemblement de Mauléon est-il un cas particulier que viendront démentir d'autres exemples, mais je crains que la description intellectuelle enthousiasmante d'un mouvement qui transcenderait les différences ne cache une réalité autrement plus sèche, moins jolie, dans laquelle l'entre-soi demeure l'obstacle majeur à l'amplification d'un mouvement que je soutiens totalement.