Salut à toi vieux briscard !
Que tu sois jeune ou vieux, j'aimerais te remercier pour tous tes précieux conseils. Depuis quelques jours, et comme à chaque fois que l'occasion se présente, tu n'hésites pas à gratifier les pauvres novices-utopistes de tes témoignages et conseils sur la meilleure façon de faire la révolution. À chaque fois que, comme ces jours-ci, de nouvelles voix s'élèvent pour dénoncer les violences policières en manif ou l'incursion des "casseurs" et leur rôle contre-productif pour tel ou tel mouvement social, tu ne trouves pas d'autres poncifs à nous prodiguer que les sempiternels "de mon temps, on savait organiser un service d'ordre" ou encore "la lutte des classes n'est pas une partie de plaisir", voire "les casseurs nous on savait les mater"... Nan franchement merci, car c'est rare de pouvoir profiter des retours d'expérience des insurgés de la Commune, à moins que tu aies été des luttes de Ludlow ?
Mais...
N'as-tu pas autre chose à apporter, du haut de ton immense expérience qui a d'aileurs permis, comme chacun le sait, de renverser le capitalisme ?
Ne penses-tu pas que ce genre de comportement de donneur de leçon n'est rien d'autre qu'un équivalent "gaucho" du "c'était mieux avant" conservateur ?
Penses-tu que cela permettra à quiconque de se remotiver pour les luttes à venir ? J'ai peur, au contraire, que cela n'éloigne du champ de la lutte sociale un très grand nombre de militants novices et, oui, peut-être encore naïfs. L'expérience des luttes vient avec le temps et les coups de matraque sur la tronche, certes, mais pourquoi perdre son temps à infantiliser et décourager ceux qui font ce qui est primordial aujourd'hui : dire, montrer, témoigner, afficher ce qui est en train de se passer sous nos yeux ?
Alors eux, elles, je les remercie, les Savannah, Sarah et les autres. Leur témoignage est important. Peut-être relèvera-t-il bientôt de l'anecdote, un nouvel événement chassant vite le précédent. Mais il aura, peut-être davantage que tes conseils paternalistes, participé au renversement des choses. Car c'est en disant et en montrant le pouvoir tel qu'il est qu'on peut l'extraire du storytelling gouvernemental. Alors un jour, parce qu'il sera tellement réel et impossible à nier, il apparaîtra aux yeux du plus grand nombre pour ce qu'il est : un pouvoir à la dérive, bras armé du capital et dont il est temps de préparer le remplacement. Et à ce moment-là, les vieux briscards pourront peut-être enfin s'allier aux utopistes pour penser et construire un autre système.