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Billet de blog 12 janvier 2016

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10 ans après le CPE : toutes mes excuses

Il y a à peu près dix ans avait lieu une des premières manifestations parisiennes contre l'instauration d'un nouveau contrat de travail pour les jeunes : le CPE. Avec le recul, j'aimerais présenter mes excuses. Oui, car malgré le retrait du CPE, nous n'avons pas su, à l'époque, faire en sorte que le système qui l'avait enfanté soit rendu aussi illégitime qu'incapable de le ressusciter.

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Il y a à peu près dix ans avait lieu une des premières manifestations parisiennes dont le mot d'ordre était le retrait de la loi sur l'égalité des chances, qui comportait notamment l'instauration d'un nouveau contrat de travail pour les jeunes : le CPE et ses deux ans de période d'essai. Je ne faisais pas partie de ce premier cortège d'étudiants, mais j'ai très vite rejoint cette lutte qui, lorsqu'on se retourne dix ans plus tard, reste un moment fort de la contestation sociale de ce début de siècle.

Avec le recul, j'aimerais présenter mes excuses. Oui, car malgré le retrait du CPE, nous n'avons pas su, à l'époque, faire en sorte que le système qui l'avait enfanté soit rendu aussi illégitime qu'incapable de le ressusciter. Nous n'avons obtenu que son archivage dans les tiroirs de Matignon. Et tel un monstre de film d'horreur américain, Il est revenu, à maintes reprises, sous d'autres formes, et toujours en pire. Et à l'image des méchants hollywoodiens, maintenant, il ne fait plus peur à personne ; le public est presque dans l'attente de son énième retour, non pour pouvoir à nouveau le combattre, mais peut-être maintenant pour le voir gagner.

Né il y a trente ans, je présente donc mes excuses à celles et ceux qui m'ont suivi, né-e-s il y a vingt ans ou moins. Certes, nous avons évité la naissance d'un contrat discriminatoire, ultra-précaire et néfaste au bien-être des jeunes. Nous avons repoussé avec force cette vision humiliante d'une jeunesse kleenex. Mais depuis ? Depuis, on a laissé passer Fillon, Bertrand, Rebsamen et surtout Macron. On a lâché l'affaire, laissant le CDD de moins d'un mois devenir la norme en matière d'embauche des jeunes. On a laissé passer la rupture conventionnelle qui permet maintenant de virer sans motif, non plus seulement les jeunes pendant deux ans, mais tous les salariés durant toute leur carrière. Dernièrement on a même laissé passer le plafonnement des indemnités prud'homales, les 3 CDD et on s'apprête à fermer les yeux devant la simplification du code du travail à la sauce Medef. Et on apprend aujourd'hui que des syndicalistes vont se retrouver en prison pour avoir séquestré leur gentil DRH. Alors oui, désolé pour ce gâchis. Il y a dix ans, nous avons en effet fait un choix qu'on nous disait "rationnel" : s'en remettre au suffrage universel. Le premier round a penché à droite en 2007, la loi sur les retraites a fait très mal en 2010, mais le Parti Socialiste et ses alliés ont ensuite gagné toutes les élections, jusqu'à la révocation de Sarkozy au profit d'un homme qui se disait "de gauche". On pouvait y croire, un peu, peut-être un tout petit peu quand même. Désolé d'y avoir cru, rien qu'un peu. Cette naïveté m'aura finalement conduit à faire le sale boulot en 2015 en votant Xavier Bertrand, ministre de Chirac pendant le CPE. J'aimerais dire que c'est la dernière fois qu'on me fait le coup, en être certain. Je n'en suis pas certain. Pour tous ces choix rationnels, ces votes utiles, ces compromissions, je suis désolé.

Je présente aussi mes excuses à Dominique de Villepin et à la droite en général. Avec vous, c'était quand même plus facile et plus clair. Les lignes étaient tracées, les termes du débat étaient limpides. Vous vouliez "libérer les entreprises" quand nous voulions "changer le système". Certes, vous n'aviez pas été élus pour cela, et vous avez tenté de passer en force grâce au 49-3. Mais c'était normal, la droite était là pour ça. Et grâce à vous nous avons pu nous éveiller politiquement (tout comme en 2005 lors du référendum et des révoltes urbaines), débattre d'autre chose que de sécurité, lire Proudhon et Marx ailleurs que dans les TD de socio. Vous nous avez rendu service en nous permettant de nous rassembler pour élaborer des stratégies, des arguments, des tactiques afin de lutter contre un ennemi commun : vous et vos idées. Face à vos flics et vos médias, il a fallu inventer, "innover" pour reprendre vos mots favoris, mais surtout se rapprocher et se soutenir. L'occupation de Nanterre et les rencontres et débats qui allaient avec, c'est grâce à vous. Les (rares) manifestations nocturnes dans les quartiers populaires ou le blocage des lycées de banlieue et la ferveur qui les animaient, c'est grâce à vous. Je me rends compte aujourd'hui, devant le tournant réac-sécuritaire d'un gouvernement qui se dit "de gauche", que nous avons été ingrats avec vous. Et d'ailleurs je vous sens aussi perdus que nous devant tant de machiavélisme solférinien. Nous avons peut-être tous deux trouvé notre maître pour un temps, mais je pressens que nous nous retrouverons bientôt.

Puisqu'on parle d'eux, je souhaiterais aussi présenter mes excuses à tous ceux qui nous ont récupérés. De l'UNEF à la JCR, de Libération à la CGT, tout ce que le pays comptait d'étiquetté "à gauche" a tenté, avec plus ou moins de force, de cynisme ou de sincérité, de récupérer cette vague de contestation de la jeunesse. Or, à l'époque, tout ce qu'on voulait c'était qu'on nous laisse gérer le mouvement de manière autonome, "a-politique", entre nous. J'ai souvent changé d'avis sur ce sujet, mais je pense aujourd'hui que, si vous ne l'aviez pas fait, nous n'aurions pas compris une chose : pour l'emporter, un mouvement social ne peut pas compter que sur les masses, mais il doit aussi s'appuyer sur une organisation de ces masses, voire sur une stratégie de "parti". Vos organisations avaient, toutes, une stratégie. Pour la plupart, il s'agissait de phagocyter le mouvement pour le limiter à la simple dénonciation du CPE, alors que nous visions plus large (le retrait de toute la loi EDC, la remise en cause du système capitaliste, l'anarchie, la vraie liberté...). C'est parce que vous étiez organisés pour encadrer les masses, que vous avez pu siffler la fin de la récréation suite au discours de Chirac. Nous vous maudissions pour cela à l'époque, mais j'en suis désolé, car vous nous avez appris une bonne leçon : la prochaine fois, il faudra que l'on soit aussi bien organisés que vous, aussi durablement installés dans les médias que vous, aussi aptes à peser sur les institutions que vous, si l'on souhaite, une bonne fois pour toutes, s'affranchir de vous et, par là même, réussir.

Pour finir, je voudrais présenter mes excuses à mes camarades dans cette lutte. Alice, Laure, Adèle, Corentin, Roxane, Nathalie, Charline, Marjorie, Djamel, Pauline, tous les autres aussi, je suis désolé d'avoir laissé s'évaporer les liens qui nous ont rapidement unis pendant ces quelques mois. Je me rappelle que c'est pour vous retrouver en manif que j'ai décidé de me procurer mon premier téléphone portable (j'ai racheté celui de ma grand-mère, si elle savait dans quel but...). J'avais donc vos numéros de téléphone, puis vos mails, puis il y a eu Facebook et c'était encore plus simple de rester en contact. Tellement simple que je n'ai presque jamais fait la démarche de faire vivre ces amitiés nouvelles et, pour certaines, fortes. Mais je suis heureux de me rendre compte que, dans l'ensemble, pour vous aussi, le combat continue sous des formes variées, que vous soyez prof de lycée, sociologue, historien, élue, lobbyiste de gauche, journaliste, activiste. Cela me fait dire que je ne m'étais trompé ni de lutte, ni de camarades.

Je présente enfin mes excuses à mes éventuels lecteurs. Ce billet, sûrement trop long, forcément décousu et peut-être pénible à lire, est le fruit d'une insomnie pendant laquelle l'envie d'écrire s'est manifestée sans prévenir. Si ça recommence, promis, je consulte.

Illustration 1
AG à Nanterre (2006) © GPM

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