[Il est venu en France renouveler les instructions au nouveau président. Le Figaro titre : « Nétanyahou très satisfait de Hollande ». Il croit qu'il nous fait peur. Notre cause internationale reste inébranlable : Libérer la Palestine.]
Identité (1964)
Inscris !
Je suis Arabe
Le numéro de ma carte : cinquante mille
Nombre d’enfants : huit
Et le neuvième… arrivera après l’été !
Et te voilà furieux !
Inscris !
Je suis Arabe
Je travaille à la carrière avec mes compagnons de peine
Et j’ai huit bambins
Leur galette de pain
Les vêtements, leur cahier d’écolier
Je les tire des rochers…
Oh ! je n’irai pas quémander l’aumône à ta porte
Je ne me fais pas tout petit au porche de ton palais
Et te voilà furieux !
Inscris !
Je suis Arabe
Sans nom de famille - je suis mon prénom
« Patient infiniment » dans un pays où tous
Vivent sur les braises de la Colère
Mes racines…
Avant la naissance du temps elles prirent pied
Avant l’effusion de la durée
Avant le cyprès et l’olivier
…avant l’éclosion de l’herbe
Mon père… est d’une famille de laboureurs
N’a rien avec messieurs les notables
Mon grand-père était paysan - être
Sans valeur - ni ascendance.
Ma maison, une hutte de gardien
En troncs et en roseaux
Voilà qui je suis - cela te plaît-il ?
Sans nom de famille, je ne suis que mon prénom.
Inscris !
Je suis Arabe
Mes cheveux… couleur du charbon
Mes yeux… couleur de café
Signes particuliers :
Sur la tête un kefiyyé avec son cordon bien serré
Et ma paume est dure comme une pierre
…elle écorche celui qui la serre
La nourriture que je préfère c’est
L’huile d’olive et le thym
Mon adresse :
Je suis d’un village isolé…
Où les rues n’ont plus de noms
Et tous les hommes… à la carrière comme au champ
Aiment bien le communisme
Inscris !
Je suis Arabe
Et te voilà furieux !
Inscris
Que je suis Arabe
Que tu as raflé les vignes de mes pères
Et la terre que je cultivais
Moi et mes enfants ensemble
Tu nous as tout pris hormis
Pour la survie de mes petits-fils
Les rochers que voici
Mais votre gouvernement va les saisir aussi
…à ce que l’on dit !
DONC
Inscris !
En tête du premier feuillet
Que je n’ai pas de haine pour les hommes
Que je n’assaille personne mais que
Si j’ai faim
Je mange la chair de mon Usurpateur
Gare ! Gare ! Gare
À ma fureur !
[Mahmoud Darwich, auteur du poème, est parti le 9 Août 2010. Un homme libre comme tout résistant. Né en 1941 en Galilée, voit son village détruit par l’armée israélienne lors de la guerre de 1948. Sa famille, qui avait fui au Liban, rentre clandestinement deux ans plus tard. Il grandit avec les « Palestiniens de l’intérieur », sous administration militaire. Il fait ses études à l’université de Haïfa. Il milite au Parti communiste israélien, seul parti à compter des Juifs et des Arabes. Il est arrêté et emprisonné à plusieurs reprises. Et puis l’exil. Beyrouth, Caire, Moscou, Tunis, Paris. En 1993 avec Edward Saïd il s’oppose aux accords d’Oslo.
Il a publié plus de vingt volumes de poésie, sept livres en prose et a été rédacteur de plusieurs publications.
« L’œuvre de Darwich, essentiellement poétique, est une véritable défense et illustration d’une terre, d’un peuple, d’une culture en même temps qu’une entreprise hardie de genèse littéraire. Elle est hantée d’un bout à l’autre par une seule idée, une seule référence, un seul corps : la Palestine. La solitude et le désarroi de l’exil exprimés côtoient l’acceptation noble et courageuse où le désespoir profond devient générateur de création, porteur d’une charge poétique intense. » (source : Wikipedia)
Il aurait dû avoir le prix Nobel de littérature. Mais on ne donnait pas ce prix aux communistes (le grec Nikos Kazantzakis, le turc Nazim Hikmet, …)
Le poème est extrait du recueil Les poèmes palestiniens, paru au Cerf en 1970. Il est devenu un hymne chanté dans tout le monde arabe.]