Christoph Luxenberg est un pseudonyme, d’inspiration chrétienne probable (traduction proposée : « Le porteur du christ sur la montagne de lumière »). Celui qui se cache derrière a de bonnes raisons de le faire. Il s’est attaqué à l’intouchable : le Coran. Il s’agirait d’un universitaire Allemand (ou Libanais), expert en arabe et en syriaque (ou syro-araméen) avec une intention provocante de corriger le texte sacré de l’Islam. Il n’y va pas avec le dos de la cuillère, puisque les formulations du Coran qui fondent des choix et des comportements de musulmans sont carrément retournées comme des gants.
Le livre qui a mis le feu aux poudres (sans être pourtant bien connu du grand public) s’intitule "Lecture syro-araméenne du Coran. Contribution pour décoder la langue coranique" et a été publié en 2000. Il prétend d’abord qu’au VIIe siècle, alors qu’il n’existait pas encore de de littérature arabe, les « missionnaires n’avaient d’autre choix que de recourir à leur langue littéraire et à leur culture, c’est-à-dire au syro-araméen » (ce qui implique donc que certains mots pourraient être mal traduits en omettant les racines syriaques éventuelles. Entre 30% et 70% des termes étrangers dans le Coran viendraient du syriaque, selon les auteurs). D’autre part, il juge que le Coran contiendrait ni plus ni moins que des extraits de la Bible avec l’intention non pas de diffuser une nouvelle religion, mais une déjà existante (le christianisme). Enfin, il a développé une méthode pour analyser les traductions existantes (il dit « éclairer nombre d’obscurités de la langue du Coran ») par le biais de sa thèse sur le syriaque comme langue prédominante dans la région à cette époque.
Quelles sont ses conclusions les plus explosives ? Pour commencer, il y a ce terme « Houri », traduit par « très belles femmes vierges aux grands yeux », celles qui attendraient les croyants au paradis pour les servir (et qui ont fait parler d’elles en occident avec les attentats terroristes, puisqu’on argue qu’une motivation principale de ces terroristes résiderait dans ce lot de 72 vierges qui leur seraient promis en récompense de leur acte). Selon Luxenberg, le terme signifierait en réalité « raisins d’un blanc éclatant ». Rien à voir, n’est-ce pas ? Si ces vierges sont vraiment des récompenses attendues, un plateau de raisins risque d’être une grosse déception. « Lâchez-moi la grappe ! », disent en substance les musulmans outrés. Ils avancent par exemple que maintes citations (12 selon certains auteurs) dans le Coran affirment que le texte est bien écrit en arabe et leur étude des lettres utilisées pour ce mot « Houri » leur font qualifier la thèse de Luxenberg de mensonge et de supercherie. Mais ce n’est pas tout. Le philologue s’attaque aussi à la sourate 24 (verset 31) qui exige des femmes qu’elles se couvrent (« qu'elles rabattent leur voile sur leurs poitrines »). Luxenberg déduit de sa propre traduction que le texte original dit en fait qu’il faut « serrer sa ceinture au-dessus de la taille ». Encore une fois, rien à voir avec la traduction la plus connue. Exit les hijab et autres burka (la sourate 33 (verset 59) dit aussi « ramener sur elles leurs grands voiles »), il serait en réalité question de ceinture (peut-être même, selon un commentateur, une injonction qui ne concernerait que des moniales et même pas les femmes de la société civile). Enfin, sa traduction corrigée retire carrément le statut de prophète à Mahomet en le qualifiant plutôt de « témoin ». Ce qui signifie que Mahomet ne serait que le rapporteur des prophètes venus avant lui (et donc un diffuseur de la Bible, pour revenir à la thèse de Luxenberg sur ce point). Inutile de souligner que cette thèse est pour le moins révoltante pour la plupart des musulmans. Luxenberg a subi également quelques critiques d’universitaires occidentaux qui qualifient son approche de « dilettantisme » « spéculatif » « qui n’apporte pas grand-chose à la question », malgré des « hypothèses convaincantes ». D’autres ne tarissent cependant pas d’éloges à son sujet.
Un exemple du travail de Luxenberg, hors des grands sujets brûlants de l'actualité, est mis en avant par Gilliot dans la traduction de la sourate 108 (dite al-KawÆar, « L’Abondance »). Une traduction conventionnelle donne : En vérité, Nous t’avons donné l’Abondance. Prie donc en l’honneur de Ton Seigneur et sacrifié! En vérité, celui qui te hait se trouve être le Déshérité. Cette sourate est un exemple de texte qui ne fait pas sens pour beaucoup de monde. Selon la lecture syriaque de Luxenberg, ça donne : Nous t’avons donné [la vertu] de la persévérance ; prie donc ton Seigneur et persiste [dans la prière] ; ton adversaire [Satan] est [alors] le vaincu. Convaincant ?
Qu’en penser ? Dans ces temps troublés, chacun y puisera ce qu’il veut selon ses affinités. De mon point de vue, un universitaire inconnu et invisible (qui pourrait être n’importe qui, sans même de titre universitaire) avec une intention confessionnelle (le pseudonyme chrétien et la thèse de la diffusion de la Bible) ne facilite pas la crédibilité du propos. En même temps, cette question des interprétations (et ça vaut autant pour la Bible que pour le Coran) est fascinante et incontournable dans une époque où les actes les plus abjectes sont fondés sur des traductions de textes anciens. Si la traduction consensuelle du Coran dans le monde musulman est bien la justification des actes les plus horribles pour certains extrémistes, comment ne pas imaginer une amélioration de notre situation mondiale si le raisin, les ceintures et les humbles témoins viennent remplacer les vierges soumises, les voiles de la peur et les prophètes intouchables ? La thèse de Luxenberg n’a pas changé le monde, puisque les attentats de 2001 et ceux que nous subissons actuellement sont survenus après la publication de son livre. Mais je la lis comme une invitation sérieuse et bienvenue à questionner les choix les plus affolants fondés sur des textes anciens aux sources discutées.
Bibliographie :
- « Die Syro-Aramäische Lesart des Koran : Ein Beitrag zur Entschlüsselung der Koransprache », Christoph Luxenberg, Berlin, 2000 (édité chez Schiler en Anglais, The Syro-Aramaic Reading of the Koran, A Contribution to the Decoding of the Koran, version augmentée et corrigée, en 2007)
- Compte rendus de lecture en français : dans la revue Critique, en 2003 « Coran, sortir du cercle », à l’ASSR, en 2004 par Constant Hamès, dans Le Monde, par Roger-Pol Droit en 2003, Claude Gilliot, « Méthodes et débats, une lecture syro-araméenne du Coran », 2003.
- Autres commentaires et critiques listés sur cette page http://www.christoph-heger.de/Christoph_Luxenberg.html
- Critique de musulmans : http://tunisdivagation.blogspot.fr/2007/07/luxenberg-houris-raisins-ou-tricherie.html