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Billet de blog 1 mars 2015

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Questions sur deux assassinats

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Questions sur deux assassinats

1/ Le 24 janvier 2015, au Caire, Shaima Al Sabbagh, une jeune femme d’une trentaine d’années est tuée à coup de chevrotines au Caire alors que, militante socialiste et laïque, elle allait déposer une couronne de fleurs en hommage aux nombreuses victimes de la répression du précédent régime, celui de Moubarak. Par nombre de preuves matérielles (circonstances, vidéos, photos, causes des blessures, etc.) de même que par plusieurs témoins dont les dépositions concordent, la responsabilité de la police est avérée. La vidéo montrant son compagnon relever Shaima ensanglantée et agonisante, et tenter de la sauver avant qu’il soit lui-même arrêté, a fait le tour du monde des réseaux sociaux, mais n’est pas passée sur les grandes chaînes télévisées. Le meurtre de Shaima a seulement fait l’objet de brèves informations « one shot » sur quelques grands médias. Ajoutons que plusieurs centaines (on parle de 1300) de personnes ont déjà été tuées par la police du maréchal Al Sissi lors de manifestations populaires depuis sa prise de pouvoir.

2/ Dans la nuit du 27 au 28 février 2015, Boris Nemtsov, 55 ans, est assassiné par un tireur circulant dans une voiture, par 4 balles, à quelques pas du Kremlin alors qu'il se promenait avec sa compagne, d'origine ukrainienne. Selon Wikipédia, « Boris Nemtsov, physicien de formation, avait commencé sa carrière politique en se faisant élire au Soviet suprême, le Parlement soviétique, en 1990.Après avoir été gouverneur de l'oblast ( = région) de Nijni Novgorod, à 400 km à l'est de Moscou, il avait entamé une ascension fulgurante sous la présidence de Boris Eltsine.Avant de devenir vice-premier ministre chargé de l'économie dans les cabinets de Viktor Tchernomyrdine de mars 1997 à août 1998, Boris Nemtsov était ministre de l'Énergie sous Boris Eltsine, ce qui lui valait d'être régulièrement dénoncé par le Kremlin [1] comme un homme politique lié aux oligarques qui ont profité de la vague de privatisations des années 1990. » Boris Nemtsov devait prendre la tête d’une manifestation contre la politique menée par le gouvernement de Poutine, quant à la Crimée et au conflit affectant les régions de l’est de l’Ukraine.

A la différence de l’assassinat de Shaima Al Sabbagh, dés l’annonce du meurtre de Boris Nemtsov, la réaction des grands médias, dans le monde, a été unanime et impressionnante. L’événement a rempli les « Unes », et rares ont été les contenus éditoriaux qui, en l’absence de tout résultat d’enquête sur un meurtre visiblement commis par des professionnels, ne mettent pas implicitement et immédiatement en cause le gouvernement de Vladimir Poutine.

Résumons : d’un côté, l’assassinat en plein jour par la police d’une jeune femme égyptienne porteuse de valeurs humanistes et laïques. Cela n’intéresse visiblement pas les grands médias, seuls s’y attachent, avec effarement et tristesse, les « réseaux sociaux ». De l’autre côté, l’assassinat d’un homme politique ayant été impliqué au niveau gouvernemental, et sur les questions du pétrole et du gaz, dans l’indéniable système de corruption généralisée qui fut celui du gouvernement Eltsine. Mais depuis qu’il en a été exclu lui-même (à l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir) Boris Nemtsov dénonce, à juste titre, la corruption des oligarques de Poutine. Vertu tardive à laquelle il convient de rendre hommage selon les immortels principes de Nicolas Machiavel.

Simples questions :

- Pour quelles justes raisons, l’assassinat d’une jeune femme humaniste dans un pays corrompu et visiblement dirigé de façon peu démocratique importe t’il infiniment moins aux « démocraties » que celui d’un homme politique dans un autre pays tout autant corrompu et dirigé de façon également peu démocratique ?

- Pour quelles justes raisons, l’assassinat d’une jeune égyptienne laïque n’a t’il pas été associé, aussitôt connu, par nos Autorités aux hommages adressés aux récents assassinés pour cause de laïcité, en particulier les journalistes de Charlie-Hebdo ?

- Pour quelles justes raisons, l’assassinat d’une jeune égyptienne à qui rien ne pouvait être reproché, si ce n’est son courage personnel pour défendre les valeurs de la démocratie, a t’il été délibérément oublié quand il fut question, quelques semaines plus tard, de vendre des avions de guerre à l’Etat qui l’a assassiné ?

- Pourquoi, aujourd’hui 1er mars, le déchainement des médias « démocratiques » à propos de l’assassinat d’un oligarque russe déchu du secteur du gaz et du pétrole écarte t’il systématiquement l’hypothèse que cet assassinat pourrait avoir une origine uniquement mafieuse ?

- Pour quelles justes raisons, nulle instance, en France, ne s’est encore mobilisée pour faire rendre un hommage public à l’admirable Shaima Al Sabbagh tuée à coup de chevrotines le 24 janvier par la police dans les rues du Caire ?

J’arrête, je sens que je vais m’énerver. Un Rafale vient de passer au-dessus de ma maison. J’en connais trop bien le bruit. Il faut d’ailleurs beaucoup de pétrole pour le produire. C’est un bruit de pet monstrueux, obscène, atroce. Et qui vous fout dans la bouche un goût horrible de sang.


[1] Seulement le Kremlin ? 

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