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Billet de blog 5 juin 2015

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Sur la "Démocratie", suite.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Faut-il désespérer du système électif ?

Une réponse qui vaut nombre de thèses et de discours est proposée dans l’un des plus beaux récits de voyage jamais publiés, celui de Nicolas Bouvier, L’usage du monde.

« Malgré la passion des Tabrizi (1) pour la politique, les élections n’avaient, cette fois, guère éveillé l’intérêt. Il faut dire que le Gouverneur avait d’avance calmé les esprits en laissant entendre que, quoi qu’il arrive, seuls ses candidats passeraient. Bien qu’il fût homme à tenir parole, quelques outsiders s’étaient tout de même monté la tête ; allant – comme ce médecin de l’hôpital – jusqu’à dormir sur une paillasse devant l’urne préalablement garnie par ses soins. Vainement.

Le vieux M…, notre voisin, avait par contre été réélu dans un gros bourg du Ghilan (2) où il possédait quelques terres. Régulièrement, car il se respectait trop pour tripoter le scrutin. Il avait même laissé son jeune adversaire - un instituteur progressiste - s’adresser le premier aux paysans réunis sur la place, s’en prendre à la corruption de Téhéran, à la rapacité des arbabs (3), et promettre la lutte. Quand son tour était venu, le vieux s’était contenté d’ajouter : « Ce que vous venez d’entendre n’est que trop vrai… moi-même, je ne suis pas un homme très bon. Mais vous me connaissez : je prends peu et vous protège de plus gourmands que moi. Si ce jeune homme est aussi honnête qu’il le dit, il ne saura pas vous défendre contre ceux de la capitale. C’est évident. S’il ne l’est pas, rappelez-vous qu’il commence sa vie et que ses coffres sont vides ; je termine la mienne, et mes coffres sont pleins. Avec qui risquez-vous le moins ?

Les paysans avaient trouvé qu’il parlait d’or… »

Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Droz, réédition 1999, page 168.

Il est intéressant de constater qu’en remplaçant « Tabrizi » par « Français » (ou n’importe quel nom de population) « Gouverneur » par « les Marchés » ( ou « les Institutions », comme pour la Grèce) et « arbabs » par « multinationales » (ou « banques ») on a une description plutôt convaincante de ce qui se passe actuellement en matière de « démocratie ». Si, au moins, nos élus avaient, dans leur cynisme, l'intelligence et la modération de ce vieux tabrizi... Un autre niveau que les Sarkos, Balkany, Fabius, Cambadélis, Copé, etc. non ? Le plus triste, ce n'est pas que l'on ne puisse pas cesser d'élire des crapules (et qu'étant élu par des élus - comme au Sénat - on est forcément élu par cette crapule) le plus triste, c'est le niveau franchement ras du cul, minable, de nos éligibles crapules.

(1)  Habitants de Tabriz, dans l’Azerbaïdjan oriental, au nord-ouest de l’Iran.

(2)  Région située sur la rive de la mer Caspienne, entre Tabriz (au nord) et Téhéran.

(3)  Grands propriétaires chefs de tribu : le pouvoir féodal.

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