L'article du 14 mars 15 de Philippe Ries comparant la Grèce et la Lettonie pour célébrer les mérites de l'austérité est un tel chef d'oeuvre de mauvaise foi que mon admiration lui est acquise quant à ce savoir-faire langagier performatif d’un probable savoir-être. Ceci dit, essayons de présenter quelque chose qui corresponde à une recherche de la vérité.
1/ P. Ries commence par convoquer la splendeur romane et cistercienne pour entamer son hymne à l'austérité. Les historiens de l'art, de la pensée et de la spiritualité apprécieront cette manipulation imagière, en l'occurrence aussi vaseuse qu'insignifiante. Faire un lien entre l'art religieux cistercien et les actuelles injonctions budgétaires du FMI ou de l'UE à l'égard des transferts de ressources aux plus pauvres témoigne d'une mentalité plutôt dérangée. Ce d'autant plus que, par la suite, Philippe Ries va tenter d'ironiser sur le caractère moral et "religieux" des critiques, pourtant très argumentées, concernant la légitimité du montant de la dette publique de la Grèce. On appréciera la cohérence globale
2/ P. Ries convoque ensuite l'argument qui va lui servir d'axiome pour échafauder sa construction pseudo objective : c’est la fameuse "confiance des investisseurs". Notons d’abord le choix sémantique. Ries rejoint le conformisme dominant qui dit "investisseur" là où on peut aussi bien dire "spéculateur", terme certainement plus approprié concernant des gens qui parient sur des dettes à partir de la cote qu’elles sont sur des marchés où les choses se jouent parfois au millionième de seconde. Concrètement : peut-on ranger dans le même sac dénommé « investisseurs » les assurances en recherche de placements longs, les fonds de pensions, les « hedge Funds » et les "fonds vautours" ? On laissera les niais tenter l'amalgame. Plus encore, en quoi la confiance très diversement « volatile » et souvent assujettie à des fins cupides à court terme, voire très court terme (cf. le millionième de seconde) de ces gens-là peut-elle être considérée comme un critère de bonne politique ? Ries n’en souffle mot, et il est sans doute incapable d’argumenter objectivement sur ce point.
3/ Philippe Ries s’attache à une « étude » montrant une sorte de mollesse de la Grèce dans l’ajustement des budgets publics par rapport à la courageuse Lettonie qui fit deux fois plus fort en 2008 et 2009 : - 14,7% contre seulement – 6,6% en deux ans. Il ne dit pas ce qu’il en résulta pour la population lettone, ceci n’étant pour lui et cette « étude » qu’un « détail » sous doute insignifiant. L’important était de retrouver la - redites-moi çà une fois - « confiance des investisseurs ». Justement, et voyez comme les choses sont bien faites, les « investisseurs » sont ceux qui se foutent effectivement du « détail » provoqué par les ravageuses, et meurtrières (hé, oui !) coupes dans les budgets publics. Maintenant, nous allons laisser Philippe Riés prendre son petit manteau, son petit chapeau et sa petite auto pour aller expliquer aux grecs, dans la rue, qu’ils ont été bien « mous » par rapport aux lettons. Des « mauviettes », quoi ! Mr Ries, vous partez quand ?
4/ Philippe Ries ne s’arrête pas là, il sort une nouvelle fois la ritournelle rigolote sur l’affaiblissement de la croissance provoquée par la part excessive des dépenses publiques par rapport aux dépenses privées. D’après lui, les dépenses publiques créent moins d’activité, moins d’emplois que les dépenses privées. Curieuse idée : on a plutôt l’impression, quand on regarde concrètement ce qui se passe, que, pour un même montant de dépenses, c’est « kif-kif » entre les deux secteurs. Il n’y a d’ailleurs aucune raison pour qu’en faisant passer une dépense par le privé, on obtienne quantitativement plus de croissance et d’emploi que par le secteur public. Simplement, la ventilation des dépenses ne sera pas la même : le privé aura plus de dépenses en rémunération des actionnaires, et le public aura plus de dépenses en traitement de fonctionnaires : qu’est-ce qui vaut mieux pour la croissance, sachant que les actionnaires peuvent se contenter de placer leurs gains dans une « inflation des actifs improductifs ( œuvres présumées d’art, spéculation foncière et immobilière, etc.)
Allons un peu plus loin : il est même probable que la faiblesse de la croissance provienne essentiellement de cette « inflation des actifs improductifs ». Exemple : la hausse des prix des logements anciens. Que reste t’il pour la « croissance économique » lorsque la part des dépenses de loyer d’une famille passe en une génération de 15/20% du revenu à 30%, voire 40% ? Philippe Ries fait semblant d’oublier que l’on retourne vers une lugubre et cynique « triomphe des rentiers »
5/ Philippe Ries continue en évoquant le caractère « moral » voire « religieux » des arguments qui contestent la légitimité de la dette actuelle de la Grèce et de bien d’autres Etats. Là, il tourne un peu au grotesque du « chaudron disant à la poèle qu’elle a le cul noir ». Car rien de plus moralisateur, borné et sectaire que le rentier et le banquier acharnés à faire valoir le remboursement de leur fric comme la priorité absolue. Le service en absolue priorité de la dette, c’est le culte du veau d’or, c’est le sacrifice de vies humaines - par manque de nourriture, d’abris, de soins, etc - au Dieu Baal des marchés. Là, la tentative de Ries pour inverser les qualifications comportementales devient odieuse sans cesser d’être ridicule
6/ Après çà, Philippe Ries poursuit en incriminant les gouvernements grecs jusqu’à l’arrivée de Syriza, ce en quoi on ne peut lui donner tort. De fait, les équivalents, en Grèce, de l’UMP et du PS ont porté pratiquement à la perfection pendant des années une étonnante capacité politicienne à se faire élire et réélire en joignant une parfaite et insoucieuse inefficacité dans la recherche du bien commun à une corruptibilité individuelle voire familiale et clanique sans faille dans sa persévérance. Mais, sans doute pris d’une pudeur de pucelle, Philippe Ries évite le moindre mot sur les instances publiques et privées qui ont apporté toute leur énergie et toute leur ingénierie à parfaire ce « foutage de gueule » : à la fois les dignes commissaires de l’Union européenne, les scrupuleux experts du FMI, les intransigeants directeurs de la BCE et les forts imaginatifs et pervers spécialistes de Goldman and Sachs, ces merveilleux truqueurs cyniques de comptes et spéculateurs à découvert à partir des juteuses saloperies qu’ils savent si contractuellement imposer. Philippe Ries souffrirait-il d’hémiplégie observationnelle ?
7/ Philippe Ries termine sa soupe avec une nouvelle louche quant à la nécessité de « la confiance des investisseurs". On présumera donc qu’il parle de l'obligation d'avoir la confiance de Goldman Sachs ou de HSBC, ces repaires d’humanistes dont la fortune, pour HSBC, a débuté, au19ème siècle, avec le financement du trafic de la drogue (en l’occurrence, la vente forcée de l’opium à la Chine : c’est dans tous les bons manuels d’Histoire) Golman Sachs, HSBC, et les autres : quels "investisseurs ! " Tiens, le gouvernement du Portugal s'en est fait des copains. Avec quelques bénéfices substantiels en certaines poches. Mais chut ! Ries cite l’exemple du Portugal qui réussit à se financer à 0,6% sur les marchés...
Dites, Philippe Ries, vous ne croyez pas finalement qu’il serait efficace – et nettement plus simple pour tout le monde – que la BCE refinance à 0,6% la Grèce par accord négocié avec le gouvernement Syriza ? Ce serait quand même un peu plus intelligent que de s’en remettre à nouveau à Goldman Sachs, HSBC et autres, non ? Vous ne croyez pas ? Vous êtes si copain que çà avec les « raclures de bidet » de ce genre de banque ?
Et cette mesure, simple à prendre, ne se justifierait-elle pas dés aujourd’hui, vu que le gouvernement de Mr Tsipras et de Mr Varoufakis est le premier gouvernement grec que l’on peut juger enfin crédible dans la lutte contre la corruption ?