Pour certains, il y aurait deux sortes de presse: classique et numérique. Je pencherais plutôt pour un autre classement: la bonne et la mauvaise. À savoir: une presse qui remplit correctement sa mission d'informer et une autre qui travestit les faits au service d'une caste, d'un clan, d'une idéologie. Les journalistes français ont tendance à penser que la presse de leur pays est libre, ce qui est leur droit. Ils savent bien pourtant que face aux pressions des annonceurs et du monde politique cette liberté s'avère toute relative. D'ailleurs, le classement 2009 de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF) donnait notre pays au 43e rang sur 175 pays classés. Entre le Surinam et Cap vert. En 2002, elle occupait la 11e place...
L’irruption récente de la presse numérique ne change rien à la donne de base. Un journaliste n’est libre que lorsque son journal l’est, c’est-à-dire quand ce dernier n’est pas tributaire de la publicité ou qu’il parvient à tenir celle-ci en respect. Comme le disait fort justement Hannen Swafer, journaliste britannique : « La liberté de la presse, c'est le droit de dire ce que ne pense pas le propriétaire du journal à condition que ça ne gêne pas les annonceurs »… De même la liberté de la presse se mesure à son indépendance à l’égard de tous les pouvoirs. L’exemple de Mediapart le démontre clairement, libre de toute publicité et, je le pense, de toute ingérence ou pression extérieures.
Si la presse quotidienne écrite se porte si mal, peut-être est-ce après tout de sa faute. Un journal doit satisfaire un lectorat. Quand celui-ci s’éloigne ou disparaît, c’est que la satisfaction du lecteur n’a pas été honorée. Un journal est fait pour informer, coûte que coûte, qu’on le lise en papier, qu’on l’écoute à la radio ou qu’on le regarde sur un écran. Aussi vouloir traiter par le mépris la presse numérique, quand elle fait son travail, relève de la tactique politicienne ou de l’ignorance la plus stupide (n’écartons pas cette hypothèse tout à fait plausible). Ceux qui, avec l’intention de détourner l’opinion et de la conditionner, crachent sur l’Internet sont les mêmes qui auraient fait brûler jadis des œuvres aujourd’hui universelles.
Historiquement, nous avons eu la presse écrite, puis la presse parlée et ensuite la presse télévisée. Aujourd’hui un quatrième média participe à la diffusion de l’information : l’internet. Les mal intentionnés qui feignent de confondre la presse en ligne avec les millions d’internautes qui n’ont rien à voir avec elle, sont simplement malhonnêtes ou ignares. Comme le dit justement, Daniel Schneidermann (@rrêt sur images) - un fin connaisseur - : « Heureusement que la presse en ligne est là, désormais, bien installée, avec sa sagesse et sa pondération, pour les modérer un peu. » Ce que conforte l’opinion de Pascal Riché, (Rue89) : «On compare souvent les sites Internet à la presse écrite, mais il faut plutôt les rapprocher de la radio. C'est un média souple, rapide dont l'écriture est plus informelle que celle des journaux. Cette immédiateté fait que ceux qui envoyaient leurs informations autrefois au Canard enchaîné ont tendance à s'adresser aujourd'hui aux sites Web. Les informations bénéficient sur Internet d'un effet de diffusion en réseau qui leur donne beaucoup plus d'écho. »
Feindre de croire que le numérique appartient aux seuls amateurs et pas aux professionnels relève une fois encore ou du mépris ou de l’aveuglement partisan. L’existence d’organisations propres aux journaux numériques souligne que les médias d’information présents sur la Toile appartiennent totalement à la presse. Ils obéissent aux mêmes règles et sont soumis aux mêmes devoirs. Leurs salariés journalistes ne diffèrent en rien par leur statut de leurs confrères des autres formes de presse.
Le Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (Spiil) représentant une soixantaine de titres entre membres fondateurs, membres et membres associés, le Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste) fort de 123 membres et le Forum des Sociétés de journalistes (FSDJ) comptant 25 sociétés, en apportant leur soutien à Mediapart, attaqué par l’Ump et l’Élysée ont rappelé cette évidence.
Les médias évoluent, mais pas les esprits. Pas ceux qui nous gouvernent en tout cas. Ces gens-là se souviennent-ils au moins de Voltaire ? Lequel écrivait en 1765 (Questions sur les miracles) : « Soutenons la liberté de la presse, c’est la base de toutes les autres libertés, c’est par là qu’on s’éclaire mutuellement. Chaque citoyen peut parler par écrit à la nation, et chaque lecteur examine à loisir, et sans passion, ce que ce compatriote lui dit par la voix de la presse. Nos cercles peuvent quelquefois être tumultueux : ce n’est que dans le recueillement du cabinet qu’on peut bien juger. C’est par là que la nation anglaise est devenue une nation véritablement libre. Elle ne le serait pas si elle n’était pas éclairée ; et elle ne serait point éclairée, si chaque citoyen n’avait pas chez elle le droit d’imprimer ce qu’il veut. »
Depuis quelques jours une meute apocalyptique se répand sur les ondes, à la télévision et dans les journaux aux ordres, le couteau entre les dents et les éléments de langage élyséens en bandoulière. Une date revient : 1930. Pourquoi pas plutôt 1933 ? Vous avez dit fascisme ?