Nul n’est censé être spécialiste en droit constitutionnel, même chez les protestataires guyanais. Ce qui est beaucoup plus grave, quand on épluche le document listant les revendications (et leurs acceptations, leurs remises à la Saint-Glinglin ou leurs rejets) publié et consultables ici et là, ce qui est beaucoup plus grave donc, est ce qui figure en creux: les incompétences des autorités locales et notamment celles de la Collectivité.
Oui ! l’État français s’est trop longtemps fichu de la tête des Guyanais (mais finalement n’est-ce pas le propre du colon envers ses colonies ?). Oui il y a un déficit de services publics dans ce coin d’Amazonie, mais, et il y a un gros mais : quid des élus locaux qui ont joué les courants d’air dimanche (2 avril 2017). En effet, ils ont brillé par leur absence. Déjà que le préfet semble totalement dépassé par les événements, les élus, eux, s’en moquent éperdument. C’est en tous les cas l’impression qu’ils donnent et c’est lamentable.
En fait, une vraie question se pose : que cache la discrétion des élus dans cette affaire ?
Peut-être la reconnaissance de leurs lourdes responsabilités dans la crise guyanaise. Parmi les revendications actées par les ministres, nombreuses sont celles relevant de la compétence (sic) de la CTG et des élus de terrain. À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’échec des négociations vient de tomber. Et aucune réaction de la part d’un seul élu (parlementaires, conseillers à la Collectivité, Président de cette collectivité, maires de Cayenne, de Kourou…).
Un exemple : le collectif Pou la Gwuyann dekol souhaite la gratuité des transports scolaires pour les communes (isolées de l’Est et de l’Ouest). C’est tout à fait légitime. Mais cela relève des compétences locales. À mettre en perspective avec le maire d’Apatou (Ouest, Maroni) qui, en son temps, avait fait scandale en se faisant offrir par son conseil municipal un 4 x 4 de luxe ! Autre exemple, toujours concernant l’éducation : le syndicat STEG-UTG demande, et c’est très censé, la gratuité de la cantine et une nourriture de qualité cuisinée essentiellement avec des produits locaux. Là encore, cela relève des maires et/ou de la Collectivité.
La liste est longue
Économie : l’Union des entreprises de l’Ouest guyanais voudrait que le prix des carburants soit aligné sur celui le plus bas dans les territoires d’outremer. Là encore c’est de la compétence de la Collectivité territoriale. Même chose à propos de l’octroi de mer dont est voulue l’exonération pour tous les navires guyanais au-delà des 12 000 nautiques. Ce sont des questions qui, avant tout, relèvent du bon sens ! Mais là où le bât blesse, c’est bien au chapitre de la sécurité : les habitants du Maroni (eux aussi constitués en collectif) demandent tout simplement des pompiers professionnels et qualifiés, ils veulent également… la création d’un service incendie ! Y en a pas ! Là encore compétence des élus ! Tout comme la réouverture de la PMI de Sinnamary réclamée par les Taureaux ou la sécurisation du financement de l’accueil de la petite enfance. Tout cela relève de la Collectivité et des élus ! Quant aux secteurs santé, social et emploi c’est le pompon ! Pas moins d’une quinzaine des revendications sont à porter directement devant les élus ! Et ces mêmes élus, où étaient-ils dimanche 2 avril, journée historique de négociations au long cours ? Ben on ne sait pas. Personne ne sait ! Les élus guyanais ont très mauvaise presse, n’avaient-ils pas là une occasion de se racheter un petit peu ?
Mauvaise réputation ?
Pour mémoire, le toujours maire de Saint-Laurent-du-Maroni (commune de l’Ouest à la frontière avec le Surinam) et ancien ministre a été condamné à… 3 ans de prison ferme ! (il fait tout pour ralentir la procédure, aidé en cela par une récente décision du procureur général de Cayenne [voir sur ce blog notre article])! Depuis 30 ou 40 ans, on ne compte plus les élus ayant eu de près ou de loin maille à partir avec la justice. Comme on ne compte plus les gestionnaires de collectivités locales recadrés régulièrement par la Cour des comptes ! Récemment encore, elle a épinglé les maires de Sinnamary et de Saint-Georges [respectivement à côté de Kourou et à la frontière brésilienne]. Et que dire de la députée de l’Ouest qui balance sans compter des subventions à des sectes et organisations religieuses !
Enfin, si nous continuons à prétendre que les cagoulés sont une faute de casting, nous affirmons que les revendications des Guyanais sont justes et doivent être portées haut. Toutefois, nous sommes tout simplement scandalisés par le fait que des ministres acceptent de discuter avec des excités que sont un flic défroqué et deux repris de justice (l’un pour orpaillage illégal et travail dissimulé, l’autre pour immigration clandestine en bande organisée, incroyable, non ?). À propos des 500 frères, c’est sans doute Lutte Ouvrière qui en parle le mieux : « Même s’ils sont applaudis par la population dans les ronds-points, même si leur stature, leurs cagoules noires […] leur donnent une image de groupe radical […] ces 500 frères ne proposent pas de solution. Ils ne sont pas l’émanation directe de la mobilisation populaire, mais un groupe à part, constitué avant le mouvement populaire, proche de la police […] ».
Pour résumer : les protagonistes [ministres, préfet, portes-parole des 500 frères] ne sont pas à la hauteur de cette révolte légitime ! Les ministres qui n’ont toujours pas mesuré l’ampleur de la grogne et dont les excuses n’avaient absolument rien de spontanées [*], le préfet qui s’est laissé déborder dès le début et certains collectifs dont les leaders roulent avant tout pour leurs propres personnes ! Quant à la situation au soir du 2 avril, France Guyane écrit : « A l’issue de quatre heures de discussion, le collectif Pou Lagwiyann dekolé a refusé les propositions du gouvernement, ce dimanche soir. Le collectif chiffre les besoins “immédiats” de la Guyane à 2,5 milliards d’euros. La mobilisation se poursuit ». Jusqu’à quand les Guyanais vont-ils tenir ? [vols annulés, pénuries en vue]. De plus les vacances approchent et avant l’été le gouvernement et la majorité parlementaire en France vont changer…
Dimanche soir, 21 heures, alors que l’on annonce une marche des collectifs sur la base de Kourou, aucun élu ne s’est fendu du moindre communiqué !!
Pour terminer, laissons le dernier mot à Bernard Lama [oui, le footeux] : « En Guyane, on envoie des satellites, mais nous sommes les derniers à avoir accès à internet » !
À propos du conflit et de ses retombées sur la base de lancement de Kourou, voir l’interview de Didier Faivre, son directeur, ici.
[Twitter] @DiogenedArc
Suivre les événements en direct avec @GuyaneActu [Twitter]
[*] Excuses totalement bidon. Elles ont fait le buzz, mais elles ont été prononcées le plus hypocritement du monde par Ericka Bareigts. Elles étaient tout bêtement dictées par des membres des collectifs, approuvées par l’équipe ministérielle.
Mise à jour: Lire la réaction de Maurice sur www.diogenedarc.com. Il est porteur d'un projet susceptible de créer des emplois en Guyane. Il est passablement dégouté par les obstacles qu'il rencontre et surtout par le manque d'intérêt de certains élus ou de certaines administrations locales...