En Algérie, usine de Boumédiène et méga-laiterie de Tebboune, des choix contestables
Djamel BELAID 1 septembre 2025
Dans les années 1970, à l’époque du président Houari Boumédiène, une usine produisant des tourne disques est construite en Algérie. Ce type de produits est vite dépassé par l’apparition des cassettes audio. Un projet de méga-laiterie vient d’être lancé suite à la demande du président Abdelmadjid Tebboune alors qu’à travers le monde les « laits » végétaux pour adultes prennent leur essor. L’Algérie est-elle condamnée à des choix industriels discutables ?
Dans le cas de l’usine de tourne-disques, le contrat avait été signé avec une entreprise étrangère pour la production d’un modèle de petite taille. Une fois le couvercle refermé, l’appareil pouvait être déplacé grâce à une poignée et ressemblait à un Jerrycane. En Algérie, les années 1970 ont été marquées par la construction d’usines « clés en main » par des partenaires étrangers. A l’époque l’encadrement technique local était incapable de faire évoluer ces produits. Le développement des cassettes audio a été fatal à cette production qui ne répondait plus aux attentes du public.
Une méga-laiterie au Sahara
Actuellement, les officiels et la presse algérienne font grand cas d’un projet de méga-laiterie implanté à près de 1 500 km au sud d’Alger en plein désert. La ferme attenante à la laiterie devrait s’étendre sur 117 000 hectares et comprendre 20 000 vaches. La production devrait couvrir 50% de la consommation locale de lait. Pas moins de 700 forages devraient être réalisés pour l’irrigation de champs de luzerne.
Le projet prévoit des investissements de 3,5 milliards de dollars dans le cadre d’un partenariat avec la méga-laiterie qatari Baladna.
Un choix discutable
Selon des données officielles, l’Algérie se classe comme le troisième importateur mondial de poudre de lait. Une partie du lait ainsi reconstitué est utilisée pour la confection de produits laitiers dont des yaourts et du fromage dont les consommateurs algériens sont particulièrement friands. Pour de nombreux observateurs, les consommateurs algériens calquent leur mode de consommation alimentaire sur celui des consommateurs européens. C’est-à-dire à base de protéines animales et cela au détriment des protéines végétales et de la diète méditerranéenne traditionnelle ayant eu cours en Algérie.
En Algérie, le lait est un produit subventionné. Actuellement étant donné le prix de la viande, pour les ménages à bas revenu, il constitue la principale source de protéines.
Eau et poudre de lait détournées
Aussi, le détournement par des industriels privés et même par des entreprises publiques de la poudre de lait subventionnée pour la confection de fromage peut être considérée comme une atteinte à l’approvisionnement en lait des ménages à faible revenu.
Une autre grille de lecture est possible. Considérée sous l’angle de l’utilisation des ressources d’eau souterraine du Sahara, la production de luzerne en plein désert nécessite de grandes quantités d’eau.
La production de lait est un objectif honorable dans la mesure où il est destiné aux populations à faible revenu. Cependant dans le cas où il est utilisé pour produire du fromage et satisfaire la consommation de la population du nord du pays, il peut être considéré comme une atteinte aux réserves en eau des populations sahariennes dont le nombre ne cesse d’augmenter. Sans eau, aucune activité n’est possible dans ces régions aux pluies rares.
Adrar, une production locale de fourrages
Le projet algérien d’une méga-laiterie en plein désert repose sur le modèle ayant cours dans les pays du Golfe. Un modèle qui repose sur l’importation de la totalité de l’alimentation des animaux, c’est-à-dire de fourrages grossiers et d’aliments concentrés. C’est le cas des laiteries Al Maraï et Baladna respectivement en fonction en Arabie saoudite et au Qatar qui comptent plusieurs dizaines de milliers d’animaux. De leur côté, les Emirats arabes unis poursuivent le même modèle mais avec des laiteries de moins d’une dizaine de milliers de vaches laitières.
Ce modèle présente donc un point commun : l’importation de fourrage (luzerne et herbes de Rhodes) notamment à partir du Soudan et des USA. Au Soudan la production de fourrage est permise par l’eau du Nil et les pays du Golfe ont participé au financement de barrages.
Concernant le maïs et le tourteau de soja nécessaires aux rations des animaux, ils sont également importés. Après quelques tentatives de production locale de fourrages, ces pays du Golfe ont pris l’option d’une externalisation de ce type de production du fait de l’épuisement de leurs réserves en eau souterraine. Le climat local particulièrement aride et la faiblesse du niveau des pluies rendent difficile la reconstitution des réserves d’eau de ces nappes souterraines.
Dans le cas de la méga-laiterie d’Adrar, il est prévu que les fourrages et le maïs soient produits localement grâce aux réserves souterraines en eau. Le chiffrage précis des quantités d’eau nécessaires est à faire. Il est question de réaliser 700 forages. Ces dernières années, selon le wali d’Adrar, la nappe se situe déjà à 70 mètres de profondeur. Il est à rappeler que les dépenses en énergie électrique nécessaires au pompage de l’eau sont proportionnelles à la profondeur de la nappe.
A notre connaissance pour ce projet, aucune étude prospective sur l’hydraulique de la région n’a été effectuée. Les décideurs algériens font l’hypothèse d’un approvisionnement suffisant en eau.
Lait de vache ou « lait » végétal
Face aux énormes besoins en eau pour produire de la luzerne et du maïs en climat aride, une autre alternative est possible. Il s’agit de produire de l’avoine et autres substrats végétaux pour confectionner du « lait végétal ».
Les besoins en eau pour produire de l’avoine dont le cycle de culture se situe principalement en hiver et au printemps sont nettement inférieurs à ceux nécessaires de la luzerne et du maïs dont le cycle de culture se situe en été.
Ce type de boisson qu’il est possible d’enrichir en protéines végétales est particulièrement adapté pour les adultes. Des adultes algériens concernés par une tendance au surpoids et dont 3 millions d’entre-eux sont diabétiques quand les services de santé indiquent qu’un grand nombre n’ont pas encore été diagnostiqués.
L’entreprise allemande GEA mandatée pour la construction de la méga-laiterie d’Adrar est en pointe dans les stratégies de valorisation des protéines végétales.
Un autre choix plus adapté aux réalités climatiques de l’Algérie aurait été possible. Mais les décideurs algériens se contentent de suivre des modèles anciens qui risquent d’être dépassés avec les effets du dérèglement climatique.