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Billet de blog 2 juillet 2025

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Algérie, hold-up sur la paille

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Algérie, hold-up sur la paille

Djamel BELAID 27 juin2025

A Mascara, c’est le temps des moissons. Pour l’occasion, les autorités locales ont fait le déplacement et lancent officiellement le début des opérations. La presse est présente, aussi le wali, le directeur des services agricoles ainsi que des agriculteurs donnent leur avis sur la campagne en cours. Alors que le wali intervient une ramasseuse-presse passe à proximité. En Algérie, le hold-up sur la paille se fait au vu de tous.

La wilaya de Mascara se situe à l’ouest du pays, à proximité du Maroc où sévit depuis 7 années la sécheresse.  Pourtant dans le champs moissonné les épis sont serrés les uns contre les autres et la paille est haute. Le blé ne semble pas avoir souffert de la sécheresse.

L’agriculteur confie à la presse : « on remercie les autorités pour nous avoir donné une autorisation de forage. Nous avons irrigué 20 hectares et si Dieu le veut, nous passerons à 50 hectares l’année prochaine. »

Si les blés sont beaux, c’est en fait que la parcelle a été irriguée. Voilà le secret. Les autorités de la wilaya n’allaient pas se mettre en scène dans une exploitation avec du blé clairsemé ayant souffert de la sécheresse.
D’ailleurs, dans les cas de parcelles sinistrée les agriculteurs n’attendent plus une éventuelle récolte. Dans le meilleur des cas, ils préfèrent faucher les rares tiges de blé et faire des bottes de paille. S’il n’est pas possible de faucher, ils louent la parcelle à des éleveurs.

Face à la presse, le wali se félicite de la construction de nouveaux silos. Vu la faiblesse de la production locale, ces silos seront remplis du grain qui viendra de l’étranger car passé le cas particulier des quelques parcelles irriguées, la culture souffre de la sécheresse. Et l’exportation systématique des pailles hors des parcelles n’est pas pour améliorer la fertilité du sol. Pour les agriculteurs, la priorité est de nourrir les moutons. C’est à se demander si en Algérie les agriculteurs cultivent du blé pour le grain ou pour la paille tant celle-ci fait l’objet d’une véritable vénération.

Quant au grain s’il en manque, pour l’agriculteur c’est à l’Etat de se charger d’en importer. Ce n’est surtout pas de sa responsabilité. En Algérie, les agriculteurs ont confié ce soin à l’Etat, non pas qu’ils ne soient pas intéressés par les grains. A raison de 6 000 DA payé le quintal de blé dur, les grains sont toujours bons à prendre, mais ce n’est pas la finalité pour les agriculteurs. Le mouton prime sur tout. L’agriculteur estime qu’il a fait la part de son travail, le reste c’est à l’Etat de le faire. De toute façon en Algérie, l’Etat a les moyens. Il peut importer des grains avec les revenus tirés de l’exportation du gaz. Puis l’Algérie n’est pas Gaza où, par manque de farine, la population mêle de la paille moulue à la farine.

Fertiliser le sol avec la paille

Alors que le wali indique espérer à l’avenir une production locale d’un million de quintaux, il ne fait pas attention à l’engin qui passe derrière lui. Assez prêt pour qu’il soit visible pour la caméra qui filme la scène mais assez loin pour ne pas couvrir la voix du représentant de l’Etat.

La ramasseuse-presse passe, elle est tirée par un tracteur. Le bras articulé qui presse la paille apparaît par intermittence au-dessus de l’engin. Ce bras se replie comme celui d’un être humain le temps que de la paille arrive dans l’étroite chambre de l’engin puis il se détend de tout son long acculant la paille dans cet espace restreint. Après plusieurs cycles un mécanisme enserre de fil de fer la botte de paille ainsi formée. Cette partie du hold-up ne dure que quelques secondes avant que la paille ne soit expulsée pour laisser la place à la suivante. Parfois lorsqu’il y a trop de paille au sol, le chauffeur arrête le tracteur le temps que le mécanisme de ramassage arrive à engloutir le trop plein de paille. Cette irrégularité des andains de paille au sol est le plus souvent due à un mauvais réglage de la MB. Dans ces cas-là, le propriétaire du champ n’hésite pas à affecter un ouvrier muni d’une fourche pour mieux canaliser la paille. Parfois il fait passer la ramasseuse-presse une deuxième fois. Pour que le butin soit le plus gros possible, pas un brin de paille ne doit rester au sol.

Lors de son passage à la foire internationale d’Alger, le président Tebboune s’est félicité de la production locale de moissonneuses-batteuses. L’usine de Sidi Bel Abbès en produit 7 par jour. Le président a estimé que c’est insuffisant et a demandé que l’usine passe en mode de 3 fois 8 heures. L’objectif étant d’arriver à la culture d’un million et demi d’hectares au sud alors que seuls 150 000 hectares le sont actuellement. Particularité des engins qui sortent de l’usine, l’absence d’un broyeur de paille intégré. Il s’agit d’engins conçus pour participer au hold-up sur la paille.

Dans les champs, lors de la moisson, l’agriculteur ne reste jamais bien loin du chauffeur de la MB. Il surveille en particulier la hauteur des chaumes après le passage de l’engin et s’énerve à chaque fois que cette hauteur lui semble trop importante. Elle signifie pour lui moins de paille sortant à l’arrière de la machine et moins de paille récupérée par la ramasseuse-presse qui suit. Pour le chauffeur trop baisser le tablier de coupe de la MB c’est risquer de ramasser un caillou et endommager l’engin. Tout au long de la moisson, le chauffeur et le propriétaire du champ jouent au chat et la souris. Ce dernier attirant l’attention du chauffeur par de grands gestes pour lui intimer l’ordre de baisser le tablier de coupe de l’énorme engin tandis que celui-ci a tendance à le remonter de peur des cailloux.    

Pour augmenter le butin, l’agriculteur ne se satisfait pas du travail de la ramasseuse-presse, il a recourt aux moutons. Dès que l’engin a pillé le maximum de paille, l’agriculteur loue les chaumes à un éleveur. Passés les longs mois à se nourrir de la maigre végétation des coteaux pierreux bordant les champs, les bêtes affamées s’élancent alors avidement vers les chaumes. Les brebis les plus expérimentée se pressent à la recherche d’épis de blé que la MB aurait pu oublier. C’est un festin par rapport à la paille indigeste que les animaux doivent consommer en grande quantité pour espérer en tirer quelque chose.

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