L'Algérie veut en finir avec le blé français et russe
Djamel BELAID 1 octobre 2025
L'Algérie veut se passer de blé français et ... russe. Pour le premier cela est déjà le cas depuis deux ans ; quant au second, c'est un objectif à plus long terme. Le président algérien souhaite en effet l'autosuffisance du pays en blé tendre. Le pari est ambitieux, voire difficilement réalisable.
C'est à l'occasion d'un récent entretien avec la presse algérienne que le président Abdelmadjid Tebboune a indiqué que l'Algérie souhaitait aller vers l'autosuffisance. Un objectif déjà annoncé il y a quelques mois mais aujourd'hui clamé avec plus de force.
Sous le mot d'ordre « Taghliss fatouratte el istirad » (réduction de la facture des importations ) les autorités algériennes pensent à l'après pétrole - et gaz. Aussi pratiquent ils une politique économique de substitution des produits importés par des produits locaux. Cela vaut autant pour la mayonnaise que les voitures montées en Algérie. Et les exportateurs français qui n'ont pas pris conscience de ce tournant en sont pour leurs frais. C'est ce qui explique par exemple les déboires du constructeur Renaut accusé de ne proposer qu'un taux d'intégration de 5% dans son usine algérienne à l'arrêt alors que le groupe Avril est satisfait de sa production de mayonnaise et autres sauces condimentaires avec un partenaire local.
Déjà l'autosuffisance en blé dur
Le fait que l'Algérie aurait atteint cette année son autosuffisance en blé dur – le président a déclaré attendre le bilan définitif du ministère de l'Agriculture - semble avoir encouragé les décideurs algériens à proclamer une volonté de produire localement la totalité du blé tendre actuellement importé.
Cependant, la différence entre les quantités de blé dur et de blé tendre consommées est grande. Le premier sert à la confection du couscous et des pâtes alimentaires tandis que le second permet la confection de baguettes de pain. Des baguettes que certaines familles achètent par dizaine quotidiennement.
Les importations de blé sont de l'ordre de 9 millions de tonnes alors que, bon an mal an, la production locale n'est que de 2 à 3 millions de tonnes. L'objectif est donc de tripler la production locale. Avec des rendements moyens de 17 quintaux par hectare le chemin sera long. Certaines exploitations du Constantinois produisent 40 quintaux en blé dur, mais pour bon nombre d'exploitations les rendements sont faibles et le revenu est complété par l'élevage du mouton.
L'Ouest du pays est affecté par les mêmes sécheresse que connait le Maroc. Un agriculteur du sud de Tiaret témoignait cet été : "sur 7 ans nous avons connu 5 années de sécheresse et 2 qu'on peut qualifier de moyennes". A plusieurs reprises c'est l'Office des céréales (OAIC) qui a fournit gratuitement semences et engrais aux agriculteurs affectés par la sécheresse.
Les grands projets du sud
L'espoir des autorités algériennes réside dans « l'agriculture saharienne » et ils tentent de reproduire l'expérience saoudienne de production de blé en zone désertique. Depuis plusieurs années dans le grand Sud, l'attribution de concessions agricoles à des investisseurs locaux ainsi que de généreuses subventions a permis de produire au sud 10% de la production locale de céréales. Des projets pharaoniques avec le Qatar, l'Italie et l'Arabie saoudite devraient permettre d'arriver à irriguer un million d'hectares pour produire blé, fourrages et autres « cultures stratégiques ». Des productions dans le désert et situées à 1 500 km d'Alger en utilisant l'eau des nappes souterraines. Avec le pétrole et le gaz, les forages ont permis de découvrir des réserves d'eau, en grande partie fossiles et parfois chargées en sel. Ces réserves sont estimées entre 30 et 50 milliards de m3 et jugées comme inépuisables dans l'imaginaire algérien. Que ce soit chez les décideurs ou l'opinion publique, le mythe de « l'Algérie grenier de Rome » reste tenance.
En novembre 2021, le premier ministre algérien, Aïmene Benabderrahmane, s'était publiquement demandé comment se faisait il que l’Algérie qui « nourrissait l’Europe » importe aujourd'hui des céréales d’un pays aussi petit en superficie que la Lituanie.
C'est oublier une population qui va vers 50 millions d'habitants, la désertification du pays suite à l'élevage anarchique du mouton en milieu steppique, l'artificialisation des terres au nord – dont une partie de la Mitidja - et la raréfaction des pluies du fait du réchauffement climatique.
Promouvoir la céréaliculture au nord
La culture des céréales au nord du pays permet actuellement de produire 90% de la production locale. Les réserves de productivité sont considérables. Lors de ses missions en Syrie, Irak et Algérie l'agronome australien Jacky Desbiolles a eut l'occasion de dire que le retard technique de ces pays était de 30 ans par rapport à ce qui se fait en Australie.
Un exemple permet d'illustrer ce retard. Alors qu'en France ou en Australie chaque agriculteur est abonné à deux ou trois revues techniques, il n'existe aucune revue de ce genre en Algérie. « Ils ont internet » nous répondait récemment un des responsables algérien de la filière céréales.
Plus grave, alors que dans les zones semi-arides d'Australie ou des USA la charrue est abandonnée du fait qu'elle est la cause de l'érosion , en Algérie c'est l'Etat qui les produit. La façon dont est menée actuellement l'association de l'élevage du mouton à la céréaliculture est la cause de la perte de fertilité des sols et de la faiblesse de rétention d'eau dans les sols. Il n'y a aucune restitution des résidus de récolte au sol.
Fin septembre, lors d'un entretien avec la presse, le président Tebboune s'est indigné que le prix d'un mouton atteigne 20 millions de centimes. Par comparaison, le SMIC est de 2 millions de centimes.
L'irrégularité des pluies, les sécheresses printanières et le caractère séchant d'une partie des sols nécessitent l'emploi de techniques de dry farming qui ne sont pas mises en œuvre actuellement. Plus grave, ces techniques de conservation des sols sont étrangères à l'esprit de l'encadrement technique local. Au nord du pays, seule est prônée « l'irrigation d'appoint ». Mais comment irriguer 7 millions d'hectares de terres céréalières en période de sécheresse lorsque les barrages et les nappes d'eau souterraines sont à moitié vides ? D'autant plus que les surfaces en de pomme de terre, oignon ou tomate doivent être également irriguées.
Coopération technique avec la France
En Algérie, l'augmentation de la production de céréales passe par le développement de la coopération technique avec les pays étrangers : Espagne, Italie, France, Australie. Russie ?
Pour progresser, il s'agit de nouer des partenariats avec des organismes étrangers et s'intéresser à leurs pratiques. Alors que le Maroc vise pour 2030 l'abandon de la charrue sur un million d'hectares au profit d'une « agriculture de conservation des sols » et de la pratique du semis-direct, cette alternative reste ignorée des des ministres de l'agriculture qui se sont succédés ces dernières années en Algérie.
En Algérie, comme le suggère l'agro-économiste Ali Daoudi, il s'agit également d'aller vers une agriculture inclusive qui associe les agriculteurs aux prises de décision et les associe à la gestion de projets de développement locaux.
En matière de coopération technique avec l'Algérie, traditionnellement la France a toujours était bien placée. Nombreux sont les agronomes formés en France ou en Algérie par des enseignants français. Des spécialistes français tels Michel Sebillotte, Marc Dufumier, Frédéric Thomas ou Lucien Seguy ont eu l'occasion de travailler sur les problématiques céréalières locales. Un autre facteur est à prendre en compte, la langue française encore largement pratiquée en Algérie. En l'absence de revues professionnelles locales, les ingénieurs, techniciens et agriculteurs pourraient consulter les nombreuses revues agricoles françaises. Malheureusement celles-ci sont absentes sur le territoire algérien.
Cependant, pour la filière céréales de France, il s'agirait de ne plus considérer l'Algérie seulement comme un marché pour ses excédents et d'aller vers un partenariat win-win en se défaisant du syndrome d'Issigny (voir nos dernières analyses).
Algérie, se passer du mouton
A plus d'un titre le mouton est un obstacle à l'objectif de l'autosuffisance en blé. Déjà par la pression sur la paille et les chaumes, mais également du fait des superficies laissées en jachère pâturées une année sur deux et des surfaces fourragères. Ces surfaces en jachères sont estimées à 40% des 7 millions d'hectares de terres céréalières.
Cependant, la viande de mouton fait partie des produits animaux que le public algérien aspire pouvoir consommer : lait, fromage, œufs, viande de bœuf.
Or, ces produits présentent tous un point commun : leur production réclame de grandes quantités d'eau. Une eau que l'Algérie dispose de moins en moins, de même que le voisin marocain confronté à des sécheresses récurrentes.
La logique voudrait que soient réduites les surfaces consacrées à l'alimentation animale pour laisser plus de place aux céréales et aux légumes secs riches en protéines (pois-chiche, lentilles, fèves) destinés à l'alimentation humaine.
L'espoir d'une autosuffisance en céréales est seulement à ce prix. Il n'y a pas d'autres alternatives faisait déjà remarquer en 1980 Dominique Badillo dans une étude prospective consacrée à l'agriculture algérienne de 2000.
Jouer sur la demande en céréales
Il semble illusoire de penser pouvoir produire de façon durable 9 millions de tonnes de céréales en Algérie. Aussi, à une politique de l'offre s'agit-il d'envisager une politique de la demande.
A ce niveau, il existe de nombreuses réserves de productivité. Il existe des détournements frauduleux de blé meunier importé utilisés pour engraisser les moutons. Différentes enquêtes universitaires, journalistiques et de gendarmerie révèlent l'ampleur du phénomène. Des universitaires ont montré que pour la fête de l'Aïd, des moutons étaient engraissés à base de rations comportant du blé tendre mélangé à de l'orge. A raison de 20 millions de centimes le mouton, il est à craindre que le phénomène soit difficile à juguler.
Au niveau des moulins, il existe une fraude sur le taux d'extraction de la farine. Celui-ci est fixé, en moyenne, à 75%. Les enquêtes de la gendarmerie ont montré que certaines minoteries privées réduisaient drastiquement ce taux de façon à avoir de plus grandes quantités d'issues de meunerie dont de son de blé. En effet, celui-ci est très recherché par les éleveurs de moutons et les minoteries ont toute liberté d'en fixer les prix, du moins pour une partie de leur production. Les services de gendarmerie ont mis la main sur des lots de son de blé qui ressemblaient plus à de la farine qu'à du son.
Au niveau de la consommation, il n'existe pas de pain complet ou semi-complet à base de farine T-80, mais uniquement du pain confectionné avec de la farine blanche. L'Algérie compte actuellement 3 millions de diabétiques et les services de santé affirment que ce chiffre est fortement sous-évalué du fait des diabétiques qui ignorent leur état.
Il apparaît que si l'objectif d'autosuffisance en blé tendre est louable et illustre la volonté louable des autorités algériennes de réduire la facture des importations, il n'en demeure pas moins difficilement atteignable. Les sols et les ressources hydrauliques locales ne peuvent permettre à la fois d'être autosuffisant en blé et en autres produits agricoles.
La poursuite d'un tel objectif ne manquerait pas de nuire en particulier à la production de pomme de terre, un produit qui en matière de consommation fait aujourd'hui part égale avec celle des céréales.
Certes, il est possible de produire plus de blé tendre, mais pour cela une coopération technique étrangère est nécessaire. Il est à espérer que la « brouille » avec la France ne dure pas. Par ailleurs, il sera indispensable de jouer sur la demande en céréales mais également sur celle en produits animaux. Dominique Badillon prônait en 1980 le retour à la diète méditerranéenne. A une révolution agronomique doit être également présente une révolution des modes de consommation alimentaire. Le consommateur algérien ne peut vouloir consommer les mêmes produits que son cousin installé en France. Pour les décideurs, il s'agit d'aller vers un changement de paradigme. En auront-ils la sagesse et le courage? Pour le moment rien ne l'indique. Jusqu'à présent, en Algérie, la politique céréalière a consisté en la distribution de généreuses subventions et en une politique extractive.
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