Guerre du blé entre Algérie et France. Quelle sortie de crise ?
Djamel BELAID 4 septembre 2025
La guerre du blé entre France et Algérie atteint son paroxysme. L’Algérie n’a pratiquement rien importé ces derniers mois et les stocks de blé français augmentent dans un contexte de perte des marchés algérien et chinois. Cet affrontement est dommageable pour les deux pays. Des sorties de crise sont possibles.
En matière de céréales, l’expertise de la filière française pourrait être mise au service de la reconquête du marché algérien. Le principe des contrats industriels et d’armement serait à appliquer aux contrats céréaliers. La vente des céréales françaises à l’Algérie pourrait être accompagnée d’une aide technique multiforme.
Il y a une dizaine d’années, l’organisme Bretagne international a participé au projet Alban qui a permis de moderniser des exploitations laitières algériennes et de mettre sur pied des équipes locales d’appui technique.
En France, des exploitations céréalières dans le rouge
Traditionnellement estimées à 2,6 millions de tonnes, les stocks de blé français culminent aujourd’hui à 4 millions de tonnes.
Selon de nombreux analystes, il manque 30 € par tonne pour que les céréaliers français soient correctement rémunérés.
La mauvaise récolte de 2024 a dégradé les trésoreries des exploitations céréalières. La bonne récolte de 2025 ne permet pas de les redresser du fait de la baisse actuelle des prix. On assiste même à une baisse des surface cultivées en céréales. Des exploitations au nord du bassin parisien peuvent trouver des sources de revenu en cultivant de la pomme de terre ou du lin, mais nombreuses sont les exploitations qui risquent de se trouver dans des situations délicates.
En Algérie, des réserves de productivité
Côté algérien, la situation n’est pas meilleure. De nombreuses exploitations ne subsistent que grâce au soutien financier des pouvoirs publics. C’est notamment le cas dans l’ouest du pays limitrophes du Maroc où les années de sécheresse sont nombreuses. L’Office Algérien Interprofessionnel des Céréales (OAIC) est obligé d’indemniser les exploitations touchées par la sécheresse à travers des livraisons gratuites de semences et d’engrais.
Mais la sécheresse n’explique pas tout. Les techniques inadaptées des agriculteurs obèrent toute possibilité de progression. C’est le cas de la poursuite de l’utilisation des labours alors que le semis direct est préférable dans cet environnement semi-aride. C’est également le cas d’une association céréales-élevage ovin inappropriée qui pille la paille et empêche toute amélioration, voire le simple maintien de la fertilité des sols et de leur capacité à emmagasiner l’eau des pluies.
Les exploitations du centre et de l’est du pays bénéficient d’une pluviométrie plus favorable. Cependant, là encore, les techniques restent rudimentaires et les coûts de production élevés.
Quant à la culture du blé sous pivot d’irrigation dans le grand sud à 1 500 km d’Alger, si elle assure 10% de la production avec près de 3 millions de quintaux, elle reste coûteuse et a besoin d’ajustements techniques dans un environnement aride.
Plus grave, les réponses des services agricoles et des CCLS ne sont pas à la hauteur. Le suivi technique des exploitations est indigent. Le spécialiste australien Jacky Desbiolles qui est souvent venu en mission en Algérie a eu l’occasion de dire que les pays du Proche-Orient et du Maghreb présentent un retard technique de 30 ans par rapport à ce qui se fait en matière de céréales en Australie.
A noter que les sociétés d’agro-fourniture se démarquent en proposant un service technique et même une aide financière à travers des paiements après récolte.
L’expertise française vers l’Algérie
En matière d’appui au développement des grandes cultures au Maghreb, les organisations professionnelles françaises disposent d’un réel savoir-faire. C’est le cas de l’opération Maghreb-Oléagineux organisée par la filière des oléagineux. Et a concerné essentiellement le Maroc et la Tunisie.
L’association FERT est également présente dans les pays maghrébins et notamment en Algérie. Il y a également des transferts de savoir-faire sous forme de suivi de terrain de la part des firmes d’agro-fourniture présentes en Algérie dont Timac-Agro.
A noter également l’aide de techniciens indépendants qui ont développé des liens avec des exploitants locaux en dehors des réseaux officiels que ce soit du côté algérien ou français.
Quelle pourrait être la forme de l’expertise française à l’Algérie ?
Le retour du monopole de l’importation des céréales au seul bénéfice de l’OAIC met de facto hors-jeu les propriétaires algériens de moulins. Certains moulins disposent de moyens considérables pour les plus grands d’entre-eux mais ils sont totalement déconnectés du monde agricole dans la mesure où leur interlocuteur est principalement l’OAIC. C’est cet office qui leur attribue des quotas de céréales.
Pour tout projet de coopération officiel, le principal interlocuteur reste donc le ministère algérien de l’agriculture qui a la tutelle sur l’OAIC, les instituts techniques dont l’ITGC et les Chambres d’agriculture.
Toute opération de transfert de savoir-faire accompagnant un contrat devrait bien sûr être précédé d’un diagnostic. Cependant, il est possible d’envisager des pistes d’action d’autant plus que tout reste à faire en Algérie même si des progrès sont notables en matière de stockage des céréales, de disponibilité en matériel agricole, de semences certifiées ou d’engrais.
Une des formes les plus simple pour la filière française consisterait à recevoir de courtes visites de délégations algériennes composées de céréaliers et de techniciens. Ces délégations pourraient découvrir, des exploitations, des coopératives, des moulins, des stations de recherche et des organisations professionnelles agricoles.
Il est possible d’envisager l’envoi de missions d’experts pour des missions d’appui technique au champ, au niveau des silos ou des organismes agricoles (services agricoles, chambre agriculture, stations de traitement des semences, …).
Ne pas insulter l’avenir
Il ne s’agit pas d’être naïf. Actuellement, les relations entre les deux pays sont fortement dégradées. Cependant, l’activité des entreprises françaises installées en Algérie (Groupe Avril, Danone, Arvalis, Cristal Union, Clextral, …) se poursuit.
A ce propos, il est intéressant de consulter l’analyse de Michel Bissac, le représentant de la Chambre de Commerce Algéro-française.
Pour la filière céréales françaises, il ne s’agit plus de penser seulement à constituer des trains pour Rouen à destination de l’Algérie, mais d’avoir une vision à long terme en faisant valoir son expertise et les possibilité de transmission d’une partie d’entre elle.
En dépit de la brouille actuelle entre les deux pays, il s’agit d’avoir en tête certains fondamentaux. Les besoins algériens en céréales sont de 9 millions de tonnes par an. Les pouvoirs publics souhaitent développer la production de céréales, d’oléagineux, de maïs, de betterave à sucre et de lait d’autant plus que la population devrait être de 50 millions d’habitants dans les prochaines années. Les consommateurs ont abandonné la traditionnelle diète méditerranéenne pour un mode de consommation à l’européenne avec plus de produits laitiers et de viande. Cette évolution amplifie la demande.
Cette demande en produits alimentaires s’accompagne d’un contexte marqué par le réchauffement climatique et le déclin de la rente en hydrocarbures. Ainsi selon des experts locaux, en 2030 l’Algérie devra choisir entre exporter son gaz naturel ou le réserver à la consommation locale. Une consommation locale dopée par le développement actuel de cimenteries (dont Lafarge-Holcim), usines d’engrais et aciéries fortes consommatrices de gaz. A cela s’ajoute le raccordement du moindre douar au réseau de distribution du gaz naturel et une demande en énergie qui explose en été du fait du fonctionnement des climatiseurs. En effet, la plus grande partie de l’énergie électrique est fournie par des centrales à gaz.
Aussi, face aux défis auxquels est confrontée l’Algérie, la filière céréales française ne doit surtout pas insulter l’avenir. Entre les deux pays, des partenariats gagnant-gagnant sont possibles.